Comme la Norvège, l’Algérie est un pays pétrolier. Contrairement à la Norvège l’Algérie fait un usage peu vertueux de ses richesses. En Norvège, le prix de l’essence est l’un des plus élevés dans le monde, en Algérie, c’est l’un des moins chers au monde. B.Mahdi fait la comparaison entre la vertueuse Norvège et une Algérie envasée dans une version « spécifique » du syndrome hollandais.
On vient d’apprendre que les Norvégiens sont devenus tous millionnaires. Même si c’est en couronnes Norvégiennes, cela reste méritoire surtout qu’il ne s’agit pas de patrimoine ou de revenu national brut mais tout simplement de l’encours du fond souverain Norvégien investit en actions pour faire fructifier les revenus liés aux hydrocarbures. Pourtant au départ, on peut trouver des points communs à l’Algérie et à la Norvège. Ils ont une production de pétrole (plus exactement d’hydrocarbures liquides) équivalente de 1,9 Mbj, de gaz presque identique (114 mds m3 pour la Norvège et 85 mds m3 pour l’Algérie), le PIB à parité de pouvoir d’achat équivalente (274 mds USD contre 272 mds USD). La ressemblance s’arrête ici. Car si on s’intéressait au PIB per capita, la Norvège avec 55000 USD est parmi les pays les plus riches au monde et l’Algérie avec 7300 USD est classée 138eme. Il y’a une autre différence : la Norvège est le pays où l’essence est la plus chère au monde et l’Algérie parmi les pays où l’essence est la moins chère. Comment expliquer que malgré un prix de revient sur les marchés internationaux d’environ 0,7 Euro le litre, la Norvège a décidé d’appliquer une forte surtaxe et le vend à 1,8 Eur le litre alors que l’Algérie a choisi d’ajouter de sa poche pour le vendre à 0,13 Euro ? Parce que la la Norvège a tout fait pour éviter de tomber dans ce qu’on appelle le syndrome Hollandais. De quoi s’agit-il ?
Le syndrome Hollandais
Disons brièvement que c’est inspiré du cas des Pays-Bas dans les années 60 quand elle s’est mise à exporter massivement le gaz découvert, au détriment de son industrie manufacturière qui s’est mise à péricliter. Le problème étant que l’augmentation des exports globaux s’accompagne par une appréciation de la monnaie qui pénalise l’industrie locale ou l’agriculture soumise à la concurrence internationale. Il y a aussi un effet revenu. Les revenus supplémentaires à la disposition des agents économiques du pays vont accroître la demande de biens, importante principalement pour le secteur non exportateur (construction d’infrastructures par exemple), et provoquer une hausse générale des prix dans le pays. Cette hausse des prix se fait au détriment du secteur exportateur le moins compétitif, qui devra payer ses fournisseurs et ses employés plus cher (désindustrialisation indirecte). Les prix à l’exportation de celui-ci augmenteront, alors que ceux des secteurs exportateurs resteront fixés par le marché international. Le secteur peu compétitif soumis à la concurrence internationale est pénalisé, et donc se réduit. Pour éviter que les rentes pétrolières soient consommées directement, la Norvège a, dès les années 90, mis en place un fonds d’investissement (Governement global pension fund) alimenté par les revenus pétroliers et directement géré par la banque centrale norvégienne. Ce fonds ne prend pas plus de 5% de participations dans une société et s’intéresse plutôt aux grandes sociétés multinationales des différents indices. Ce fonds, a pour principe de mettre de l’argent à coté pour les générations futures qui ne pourront plus bénéficier de la manne pétrolière lorsque celle-ci se serait tarie.
La version nationale du syndrome
Le problème ne se posait pas beaucoup en ces termes en Algérie. Quand la rente est venue enrichir le pays, il n’y avait pas une industrie manufacturière exportatrice mais par contre l’agriculture l’était. On semble l’oublier aujourd’hui, mais l’agriculture que les colons ont établis surtout au milieu du 19eme siècle en Algérie était qualifiée de moderne et était en avance même sur bien des points sur celle de la métropole Française. Néanmoins, l’Algérie a essayé de construire (et surtout de maintenir) à l’ombre de la rente une industrie manufacturière tout en essayant de l’isoler de la concurrence internationale par des mesures administratives (restrictions sur le commerce extérieur, non convertibilité de la monnaie, taux de change administré etc.). Bien entendu, le résultat n’est guère différent. En plus du contexte défavorable du syndrome, s’ajoutent les spécificités propres à la gestion publique des entreprises : non rentabilité, absence de managérat, sureffectifs et obsolescence etc… Et là où ailleurs, on aurait tiré les conclusions en faisant passer par pertes et profits l’industrie non rentable, on la maintient encore sous perfusion en Algérie avec des plans d’assainissement et de restructurations constamment répétés mais aux résultats touts identiques. Car au moins ailleurs, ces boulets ne consomment pas les ressources nationales, alors qu’en Algérie c’est au mieux de l’entêtement idiot, au pire du détournement simple.
Le fonds de régulation de la… Rachka !
Du côté du privé, ce n’est guère mieux. Alors que comme on l’a vu, le premier effet du syndrome était le handicap de l’appréciation de la monnaie locale, on a un patronat qui a officiellement demandé la réévaluation du Dinar… Par contre, le deuxième effet du syndrome qui est l’augmentation des revenus distribués notamment par la construction des infrastructures sans réel impact sur la croissance locale est bien visible et la balance des paiements est bien là pour le montrer. Enfin, pour être juste, l’Algérie a bien mis un semblant de fonds alimenté par la rente, le FRR (fonds de régulation des recettes) mais il a surtout servi de cagnotte pour la « rachka » que le père noël déverse à chaque élection présidentielle sur les wilayas et qui nourrissent les nombreux « PCD trottoirs ». En réalité, il y a une énorme différence de vue entre les deux pays, la Norvège et l’Algérie. Les uns pensent qu’ils ne sont que les dépositaires des ressources et qu’il est de leur devoir de les transmettre à d’autres générations comme ils l’ont eux-mêmes reçus. Les autres ont un comportement de nouveaux riches ou plus exactement de fils de nouveaux riches et brulent la chandelle par les deux bouts. N’ayant pas ou peu connu les temps où ils étaient pauvres, ils croient que l’aisance leur est naturellement due et qu’elle est éternelle. Tiens, l’Algérie n’est pas ce pays où l’un de ses plus grands chanteurs finit sa qasida par «Que ne laisse à l’héritier ni un rond, ni une once d’or » ( La ykhelli lal ouareth la fels oula ouikia ) ? C’est peut-être culturel…