M A G H R E B

E M E R G E N T

Opinions

Lorsque les « regrets » de Paris sont présentés comme un succès diplomatique (opinion)

Par Yacine Temlali
octobre 25, 2015
Lorsque les « regrets » de Paris sont présentés comme un succès diplomatique (opinion)

Les regrets exprimés par Paris au ministre algérien Hamid Grine, fouillé dans un aéroport de Paris comme n’importe quel passager ordinaire, ressemblent à un message personnel adressé à des « amis » complices plus qu’à un message officiel d’un gouvernement à un autre*.

 

 

Le ministre de l’Intérieur français, Bernard Cazeneuve, a adressé une lettre à Hamid Grine, ministre algérien de la Communication, pour lui faire part de ses regrets pour ce qui était arrivé à ce dernier à l’aéroport d’Orly. Cette information, on ne la trouve que dans les médias algériens !
Une chaîne privée a confirmé l’information en citant le porte-parole du ministère algérien des Affaires étrangères tandis qu’un journal électronique s’est chargé de rapporter la confirmation du ministère de la Communication.

Les médias français qui ont traité de l’incident, très peu nombreux dont l’agence AFP, l’ont fait en rapportant ce que les médias algériens en disent … La presse française, dans son ensemble, ne semble avoir trouvé de raison valable de prendre attache avec les responsables de la police à l’aéroport d’Orly pour connaître les détails de l’histoire.

Certaines questions doivent être soulevées au sujet de cet incident. Pourquoi la presse algérienne a été la seule à diffuser le récit de ce qui s’est passé dans un aéroport français est l’une de ces questions. La seule réponse est que la source de l’information sur la fouille d’Orly est algérienne.

 

Une médiatisation et des questions?

 

Il est même fort probable que ce soit le ministre lui-même qui a divulgué cette histoire aux médias connus pour lui être proches. Dans la foulée, on a révélé également que deux autres ministres, Abdesselam Bouchouareb et Abdelmadjid Tebboune, ont subi le même traitement auparavant sans que cela ne provoque des réactions de leur part.

Le communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères publié après la convocation de l’ambassadeur de France a confirmé cette information.

Nous sommes, dès lors, devant une autre question : le ministre a-t-il médiatisé les détails de l’incident sur suggestion du ministère algérien des Affaires étrangères ? C’est une hypothèse plausible. Son but serait de rendre publique l’affaire pour amener la France à changer sa manière de traiter les responsables algériens qui vont en France plus que vers toute autre destination.

Aujourd’hui que le tintamarre a eu lieu, comme l’ont souhaité ceux qui ont divulgué l’information, quel est le résultat ? Un commentaire du Quai d’Orsay qualifiant l’incident de « regrettable » et promettant de discuter la question du transit des responsables avec la direction du groupe Aéroports de Paris.

On ne sait pas ce que l’ambassadeur de France en Algérie a dit après sa convocation aux Affaires étrangères. Et, pour terminer, nous avons une lettre de Cazeneuve à Grine qui ramène toute l’affaire à une dimension personnelle.

Nous sommes devant un incident qui n’a suscité aucun intérêt en France mais qui s’est transformé en tempête intérieure en Algérie, les autorités cherchant à faire de la convocation de l’ambassadeur de France une grande réalisation diplomatique censée permettre de rééquilibrer la relation avec la France.

Malheureusement, ce qui a été dit par le Quai d’Orsay n’était suffisant, il a été donc « soutenu » par un autre message, plus proche de la lettre personnelle à « un ami » que du message officiel dans le cadre de relations entre deux pays.

En vérité, ce n’est pas la première fois que la France réduit sa relation avec l’Algérie à une dimension personnelle. En décembre 2013, François Hollande a téléphoné à Abdelaziz Bouteflika après sa lourde plaisanterie sur le retour du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, sain et sauf d’un voyage en Algérie. Un retour qui serait une réalisation en soi… car aller en Alger, n’est-ce pas, c’est très risqué ! Le président français avait alors exprimé son « regret » au sujet de la « mauvaise interprétation de ses propos par la presse ».

 

Confusions

 

Il semble que le plafond du « regret » n’ait pas changé depuis. Et nous ne connaissons pas, à ce jour, ce que Hollande a dit à Bouteflika. La relation avec la France parait ainsi être marquée par une confusion entre les dimensions « personnelles » et « officielles ».

Le ministre qui a subi une fouille à Orly n’était pas en mission officielle. Certains ont voulu justifier ce qui lui est arrivé par la confusion qu’il a faite entre sa qualité de ministre et son statut de citoyen ordinaire en voyage à l’étranger.

Mais même quand l’incident se transforme en affaire d’Etat, il se règle prestement par une lettre personnelle d’un ministre de l’Intérieur français au ministre de la communication algérien… On est sur ce registre même si Grine s’est abstenu de faire de commentaire en laissant la chose au ministère des Affaires étrangères.

La France sait parfaitement que n’importe quel problème avec l’Algérie peut être réglé par un coup de téléphone ou par une missive destinée à apaiser les esprits. Elle sait aussi que les autorités, ici, envoient, de temps à autre, des signaux à la population pour lui signifier qu’elle a un État craint et respecté et que nul n’ose porter atteinte à ses symboles.

Il semble cependant que le signal émis se soit soldé cette fois-ci par un échec. Il a donné des résultats contraires à ceux qui étaient souhaités. La concomitance de l’incident avec l’anniversaire de la « ratonnade » du 17 octobre 1961 à Paris a aggravé les choses.

Le plafond du « regret » français reste encore très bas et ceux qui dirigent l’Algérie ne font rien pour transformer le regret en « excuses », que des millions d’Algériens estiment justifiées s’agissant des crimes de la colonisation et des « dépassements » répétés de la France.

 

(*) Cet article est publié sur le blog de l’auteur, sur le Huffington Post Algérie. Le titre est de Maghreb Emergent.

ARTICLES SIMILAIRES

Actualités Opinions

Ihsane El Kadi : 600 jours derrière les barreaux, la liberté de la presse en otage

Aujourd’hui marque un triste anniversaire pour le journalisme algérien. Ihsane El Kadi, figure emblématique de la presse indépendante, boucle ses 600 jours de détention. Son crime ? Avoir osé exercer… Lire Plus

Actualités Opinions

Lettre à Ihsane El Kadi pour son deuxième anniversaire en prison : Radio M et le bureau des légendes

Par Saïd Djaafer Que souhaiter à un ami qui passe un deuxième anniversaire en prison ? J’avoue que je suis en peine d’imagination et encore plus d’avoir à le faire… Lire Plus

Contributions Opinions

Blog⎥Ihsane El Kadi, l’amoureux du désert qui refuse la désertification de la nation   

Un an ! Un an de prison, c’est long, très long, trop long ! Et elle est encore plus longue la peine que l’on persiste à infliger à Ihsane El Kadi, à sa génération… Lire Plus

Actualités Opinions

Le martyre de Ghaza, l’Occident et les “esclaves de maison” (Blog de Mohamed Sahli)

Le massacre des femmes et des enfants palestiniens, validé par l’Américain Joe Biden, dénoncé sur Twitter sous le sobriquet de “Genocide Joe”, a repris après une petite trêve. Les Etats… Lire Plus

À l'honneur Á la une

Affaire Ihsane El Kadi: des rapporteurs de l’ONU saisissent le Gouvernement algérien

Trois rapporteurs du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU ont saisi le Gouvernement algérien sur le cas de l’incarcération du journaliste et directeur de Radio M et de Maghreb… Lire Plus