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Loucif Said (Psychosociologue): »Les mouvements sociaux sont l’expression d’une frustration généralisée »

Par Lynda Abbou
février 17, 2018
Loucif Said (Psychosociologue): »Les mouvements sociaux sont l’expression d’une frustration généralisée »

Professeur de Psychologie Sociale des Organisations à la faculté des Sciences Politiques et des Relations Internationales, Université d’Alger 3, Loucif Said analyse, dans cet entretien, l’effervescence qui s’est emparée du front social.   

Comment analysez-vous les différents mouvements de grève qui secouent actuellement beaucoup de secteurs ?

Je pense que les mouvements sociaux, qui secouent actuellement beaucoup de secteurs d’activité, sont des mouvements qui essayent de s’approprier ou se réapproprier un champ de contestation sociale qui a été interdit aux Algériens depuis des décennies. Pour bien comprendre ces mouvements, il est impératif de les inscrire, comme il a été fait par Gustave Le Bon au 19èmesiècle, dans un courant d’analyse psychosociologique contextualisé. A mon sens, ces mouvements sont l’expression d’une frustration généralisée face à l’archaïsme d’un système social et politique qui refuse, l’un et l’autre, de se transformer. Maintenant, il faudrait être attentif et suivre l’évolution de ces mouvements : aboutir à une transformation sociale passe nécessairement par la transformation des rapports de domination et la construction d’une historicité telle que développée par Touraine ou la reconnaissance défendue par Honneth ou Sztompka. Un autre aspect qui ne doit pas nous échapper dans l’analyse, c’est de ne pas voir ces contestations comme uniquement des mouvements de grève sectoriels ou professionnels, qui s’inscrivent dans un temps événementiel, loin de la durée et les processus de résistances sociales. A mon humble avis, Ils doivent être appréhendés comme des entreprises collectives conscientes et rationnelles, productrices de sens social et politique, visant à établir un nouvel équilibre sociétal, voire un nouvel ordre Citoyen. Au plan strictement politique, la lucidité intellectuelle et l’expérience vécue par les algériens par rapport au jeu du système, fait que l’analyse psychosociologique et l’intellectualisation du phénomène n’occulte pas deux autres hypothèses :-La première tend à considérer ces mouvements comme éphémères, exprimant des stratégies de luttes claniques et de « Assabiyattes », on fera alors transgresser l’appellation mouvement social vers clans d’intérêts ;-La seconde met en évidence l’acharnement du système  de vouloir à tout prix se maintenir et durer par la stratégie de ce qu’on appelle en chimie « l’éclatement du champ cristallin », c’est-à-dire la séparation par l’éclatement des niveaux d’énergies (mouvements) pour éviter la formation d’une force, qui peut remettre en cause le système lui-même.           

-Cette effervescence coïncide avec l’entrée en vigueur de la Loi de finances…y a-t-il un lien de cause à effet ? 

-Je ne peux vous dire qu’il y a un lien de cause à effet avec l’entrée en vigueur de la loi de finance 2018, mais une chose est certaine c’est qu’il y a relation. La loi de finance 2018 a grevé considérablement le pouvoir d’achat de larges couches d’algériens ; mais c’est l’échec systémique et les frustrations qui créent la souffrance sociale, et de ce fait elles constituent le moteur déclencheur de ces mouvements. On peut avancer alors, que ces mouvements traduisent au fond un ras-le- bol de « classe » (la classe moyenne, en l’occurrence), dirigé non pas contre l’Etat mais contre une menace sociale : l’Oligarchie.

-Les revendications sont essentiellement d’ordre économique, mais peut-on inscrire ces mouvements dans la logique de quête de liberté et de démocratisation ?

-Même si les revendications apparaissent à première vue comme essentiellement d’ordre économique, néanmoins la dynamique du mouvement cache aussi bien un malaise social qu’une aspiration de liberté politique et de démocratisation.  Les acteurs de ces mouvements ne fondent pas leur identification autour de codes exclusivement socioéconomiques établis (médecins, médecins spécialistes, enseignants, etc…), mais leur identité est construite aussi autour d’une revendication profonde, légitime et juste : Les libertés démocratiques et le refus de la « hogra ».  Vouloir amener les revendications sur la place publique (la capitale et sa symbolique) n’est-il pas, en fin de compte, un acte politique qui se fait au nom des défenses des valeurs de liberté individuelle et collective ?  Si la rationalisation de la vie moderne, comme l’indiquait Simmel, n’a pas empêchée l’affirmation des émotions et des passions individuelles, il s’avère malheureusement pour l’algérien que cette rationalisation et cette expression émotionnelle lui sont interdites, il se trouve réduit au statut de sujet. 


-Pourquoi, selon vous, les syndicats sont plus mobilisateurs que les politiques ?

-La plus grande performance du système durant les deux dernières décennies a été sans doute l’anéantissement de l’activité politique et la dislocation du tissu social. Désormais, les syndicats restent le seul rempart organisé, le seul espace institué de revendication politique et de mobilisation sociale. L’histoire récente est là pour nous rappeler que c’est dans le sillage des travailleurs immigrés en métropole, que s’est développé le mouvement politique revendiquant l’indépendance nationale. 

-Comment vous voyez l’évolution de la situation politique et sociale du pays d’autant que nous sommes à une année de l’élection présidentielle ?  

-Nous assistons à des visions, parfois antagonistes, sur l’avenir politique du pays : certaines tendent à être optimistes, d’autres, au contraire, baignent dans un pessimisme total. Ce qui est certain, c’est que nous nous trouvons à la croisée des chemins, les contradictions systémiques sont là et nous devons y faire face sans faire de faux pas : la flèche du temps et celle des projections historiques nous interpellent collectivement.      

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