Nouredine Bouderba, est militant politique et syndicaliste. Militant de l’UGTA depuis 1987 et membre du bureau de la fédération des pétroliers (1992-1995) chargé de la législation et du social. Il a été Suspendu de 1995 à 1997 pour avoir été l’un des principaux animateurs des deux grèves des parapétroliers (3 jours puis 10 jours) pour s’opposer aux privatisations des entreprises du secteur, prônées par le FMI, et revendiquer la création d’un groupe pétrolier public avec Sonatrach. Réhabilité en 1997, il a fini par démissionner à cause de la politique de l’UGTA et de son fonctionnement antidémocratique. Depuis 2015 conseiller et accompagnateur des syndicats autonomes.
Depuis le début des protestations contre le régime le 22 février dernier, plusieurs sections syndicales de l’UGTA se sont démarqué du bureau national, qui soutenait le 5ème mandat de Bouteflika, et ont apporté leur soutien au mouvement populaire.
Maghreb Émergent : Actuellement, que reste-t-il de l’union générale des travailleurs algériens (UGTA) ?
Nouredine Bouderba : L’UGTA, en dehors de ses syndicalistes de base, est devenue un appareil de bureaucrates illégitimes, dont la plupart ne vivent pas de leurs salaires, qui se sont mis au service d’une oligarchie et non d’une organisation syndicale qui défend les intérêts matériel et moraux des travailleurs.
En matière d’implantation elle est minoritaire dans la Fonction publique et inexistante dans le secteur privé. Elle n’est majoritaire que dans le secteur économique public grâce à la volonté des pouvoirs publics, qui ne tolèrent pas l’émergence de syndicats libres et surtout combatifs. Et comme la politique libérale en vigueur tend à tout privatiser, autant dire que l’UGTA est assise sur une branche que ses amis oligarques sont en train de couper.
On peut dire aussi que l’UGTA n’est plus que l’ombre d’un syndicat.
Est-ce que les positions politiques du bureau exécutif de l’UGTA sont la raison qui a conduit le syndicat à se défragmenter ou bien d’autres raisons en sont la cause?
Ce qui fait la force d’un syndicat c’est sa capacité d’incarner les aspirations de ses adhérents, d’être interactif avec sa base et la capacité de ses militants et cadres de faire converger leurs efforts et leurs actions en vue de réaliser sa raison d’être, c’est-à-dire la défense des intérêts matériels et moraux des travailleurs.
Or depuis 25 ans, l’UGTA n’a pas fini de tourner le dos aux travailleurs en devenant un suppôt du pouvoir. Il a soutenu toute la politique néolibérale allant de la mise en œuvre du plan d’ajustement structurel imposé par le FMI en 1994 à l’austérité inaugurée en 2015 en passant par les privatisations entamées en 1996 et du bradage du secteur publique économique durant les années 2000. Les tripartites, censées êtres un cadre du dialogue social, sont devenues un tremplin d’enrichissement pour les prédateurs avec la complicité de l’UGTA. Le pacte social de 2006 et ses révisions de 2011 et 2014 ont beaucoup servi les oligarques et pas du tout les travailleurs qu’il a, au contraire, muselés. Pourtant ces oligarques, devenus alliés privilégiés de l’appareil UGTA, bien qu’ils aient été les principaux bénéficiaires du bradage des actifs du secteur public, ne respectent ni le droit syndical, ni le SNMG, ni le droit du travail ni le droit de la sécurité sociale. La remise en cause de la retraite sans condition d’âge après 32 ans d’activité et de la retraite proportionnelle a été faite à la demande de l’UGTA qui a soutenu le processus de réforme du code du travail qui prévoit de généraliser la précarité et réduire les protections des travailleurs.
Ceci pour dire que l’engagement politique de l’UGTA, au profit des oligarques et du clan Bouteflika n’est que la conséquence de son éloignement des travailleurs et non la cause. Et la responsabilité de cette dérive ne saurait se limiter au secrétaire général ou au secrétariat national.
Avant le 5éme mandat de Bouteflika l’UGTA avait soutenu les 4 mandats passés et la quasi-totalité des instances citées s’étaient impliquées. L’UGTA a même régulièrement présenté des candidats députés, élus sur les listes du RND et du FLN. Pour la petite histoire Sidi Saïd a retiré un million de formulaires de signature pour le 5éme mandat. Pensez-vous que ça aurait été possible de recueillir près de 1 million de signatures des travailleurs, pour la plupart à leur insu, sans la complicité des instances verticales, horizontales et nationales de l’UGTA ?
Plusieurs syndicalistes mènent actuellement des actions contre l’actuel secrétaire général de l’UGTA, Abdelamdjid Sidi Saïd, quels sont les mécanismes possibles pour appeler à une assemblée générale élective et changer le secrétariat national ?
Comme je viens de le préciser la restitution de l’UGTA aux travailleurs ne dépend nullement du seul départ de Sidi Saïd et des membres du secrétariat national. Beaucoup parmi ceux qui se présentent comme les sauveurs de l’UGTA sont des rentiers qui se sont enrichis sur le dos des travailleurs qui croient qu’une fois le « Hirak » calmé ils pourront, moyennant le SACRIFICE DE SIDI SAID et des membres su secrétariat national, conserver leurs privilèges adossés à la rente que leur procure leurs postes à l’UGTA. On retrouve aussi des anciens secrétaires nationaux ou députés et des retraités qui n’ont rien donné aux travailleurs lorsqu’ils étaient aux commandes de l’UGTA.
Il y a aussi des syndicalistes combatifs à l’exemple de ceux des wilayas du centre qui appellent à un rassemblement des travailleurs et des syndicalistes pour le 17 avril 2019 à la maison du peuple pour exiger le renouveau de l’UGTA. Mais pour être crédibles et se présenter en alternative ces derniers doivent aller au bout de leur logique en appelant à un congrès extraordinaire de restitution de l’UGTA aux travailleurs.
C’est dans ce cadre que j’ai lancé, en date du 16 mars 2019, mon « appel pour l’organisation d’un congrès extraordinaire de l’UGTA et sa restitution aux travailleurs ». Un congrès qui doit être préparé par une commission dont les membres ont la confiance de la base des travailleurs et auquel ne peuvent prétendre participer que des délégué(e)s dument mandaté(e)s par les travailleurs en Assemblées générales.
J’appelle les signataires de l’appel au rassemblement du 17 avril 2019 à rejoindre mon appel pour conjuguer les efforts en vue de préparer un véritable congrès extraordinaire démocratique ou les travailleurs à la base seront souverains. Ils doivent appeler à un gel de toutes les instances nationales, de wilaya et fédérales de l’UGTA et mettre en place une commission souveraine de préparation du congrès extraordinaire.
Les travailleurs ont exprimé à maintes reprises depuis le 22 février 2019 leur implication dans le mouvement populaire, qu’attendent les travailleurs de ce mouvement et quel rôle doit jouer l’UGTA pour atteindre les revendications populaires ?
Les travailleurs ont soutenu et participé spontanément au Hirak parce qu’il incarne leurs aspirations profondes à la démocratie, au changement et à l’amélioration de leur conditions de travail et de vie.
Les travailleurs aspirent à une Algérie démocratique et sociale autrement rien ne changera dans leur vécu. Pour eux la question démocratique ne peut être dissociée de la question sociale. Ils veulent une Algérie solidaire ou il fera bon vivre pour tous les algériens dans un pays ou les richesses seront équitablement distribuées et ou la pauvreté bannie. Un pays ou aussi bien le président de la république que l’ouvrier puisse avoir accès aux soins dans un hôpital public performant. Un pays ou l’enfant du ministre côtoie celui de l’ouvrier sur les mêmes bancs d’une classe. Un pays ou aucun citoyen ne sera en situation de précarité alimentaire ou énergétique.
Plusieurs collectifs ont organisé des débrayages pour marquer leur adhésion à cette intifada populaire. Les travailleurs agissent pour refonder l’UGTA et renforcer les syndicats autonomes parce qu’ils ont compris que l’Algérie démocratique et sociale à construire est un chantier de longue haleine et que le syndicat est un instrument irremplaçable pour peser sur les évènements en cours.
Est-ce qu’une grève générale des travailleurs peut nuire ou affaiblir le mouvement populaire ?
Les appels répétés à des grèves générales de la part de parties anonymes ou fantômes qui n’ont aucune implantation au milieu des travailleurs ne sont que des manipulations. Une grève générale qui paralyse les ports et aéroports dans un pays ou 70 % des produits alimentaires et des médicaments sont importés n’aura pour effets que d’empêcher l’approvisionnement de la population en denrées sensibles sans rien apporter aux travailleurs bien au contraire.
Arrêter la production du pétrole et du gaz aura des conséquences, parfois irrémédiables sur les installations pétrolières et gazières, les puits et même les gisements. L’arrêt de la production de l’électricité, de l’oxygène et des carburants ainsi que la distribution de ces derniers aura pour effets d’entrainer la paralysie des transports, celle des hôpitaux et des centres de soins ainsi que des boulangeries et des commerces des denrées alimentaires.
Les travailleurs ne doivent répondre qu’à des appels non anonymes pour des actions collectives encadrées, répétitives mais non illimitées. Les grèves ainsi déclenchées doivent assurer les activités névralgiques ci-dessus énumérées et assurer un service minimum pour les autres activités essentielles pour la population