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Maroc – Il faut éviter une nouvelle « Guerre du Rif »

Par Yacine Temlali
juillet 27, 2017
Maroc – Il faut éviter une nouvelle « Guerre du Rif »

Le Maroc est secoué depuis un temps par des troubles au Rif dont la gravité ne doit pas être sous-estimée pour la France et l’Europe. Ils pourraient n’être que la répétition d’une nouvelle guerre du Rif mettant en péril les intérêts stratégiques de la rive nord d’une Méditerranée guère plus mer commune, mais zone de périls*.

 

  

Avec la grève du samedi 22 juillet faisant suite à nombre d’autres, parties de la ville côtière d’Al Hoceima et allant crescendo, le Rif marocain connaît un regain d’effervescence du fait surtout de l’absence de réponse adéquate du pouvoir aux revendications populaires.

Le pouvoir marocain ne pouvait pourtant continuer à jouer le pourrissement de la situation ou à espérer renverser la donne ainsi qu’il l’a fait au lendemain des événements de Tunisie en 2010-2011, déclencheurs de ce qu’on a appelé Printemps arabe.

C’est d’ailleurs de ce qui se passe toujours en Tunisie, comme le récent sit-in d’Al-Kamour, aux confins de Tataouine,* que s’inspirent pour une bonne part les manifestants marocains. Ce qu’ils réclament est bien légitime, relevant de la justification même de l’existence de l’État national, ne pouvant ni ne devant se réduire au maintien de l’ordre, notamment s’il est au service exclusif d’une minorité qui en profite pour sauvegarder ses privilèges acquis.

Plus que jamais, les masses populaires rappellent à l’État ce qu’il omet sciemment de faire en un Sud déshérité où ses élites favorisées ne peuvent user, comme au Nord, du paravent de la prospérité économique pour se soustraire à leurs devoirs de développement économique et humain, et qui sont la base même de sa légitimité.

 

Renouvellement nécessaire du contrat social     

 

Rappelons que le Rif, la région montagneuse du nord du royaume s’étendant de Tanger à la frontière algérienne, est une zone connue pour avoir été toujours un véritable trublion, aussi bien avant que pendant le protectorat et après l’indépendance. Aujourd’hui, la région suscite toujours une animosité à peine cachée dans les cercles du pouvoir gravitant autour du Palais (le fameux Makhzen, qu’on peut traduite par l’arsenal).    

Or, les manifestations ne s’y arrêtent pas depuis le drame du jeune marchand de poisson broyé dans une benne à ordures, symbolisant, comme pour la Tunisie, la coupure totale entre le peuple et ses élites gouvernantes.

Malgré leur caractère généralement pacifique, elles se sont heurtées à une répression féroce des autorités. Or, si les relents d’un passé traumatique n’ont certainement pas manqué dans les événements actuels dont la manifestation du 22 courant est le point d’orgue, leurs causes immédiates demeurent la résilience de l’autisme caractérisant les rapports de l’État avec la société.

Malgré de nombreuses démonstrations populaires de mécontentement, défilés de casseroles, marches aux bougies et mêmes manifestations aquatiques, la réaction des autorités n’a cessé d’incarner une démission coupable quant à ses autres devoirs que celui d’assurer l’ordre public, un ordre voulu synonyme de celui des cimentières.

Le palais et ses serviteurs semblent trop préoccupés par leurs guéguerres politiciennes, notamment avec l’ancien chef des islamistes qu’ils ont fini par réussir de débarquer de la présidence du gouvernement, pour réaliser que ce sont les fondements mêmes de la monarchie qui risquent d’être ébranlés par ce qui se passe au Rif.

Car ce qui constitue l’effervescence actuelle du Rif n’est que la manifestation de la fracture dans le pays qui n’arrête de s’approfondir entre le pays réel et le pays légal, le peuple et ses gouvernants du Makhzen.

C’est la notion même du — contrat non seulement social, mais aussi de confiance entre le roi et ses supposés sujets — qui est aujourd’hui en cause. Or, en postmodernité, notre époque, il importe de savoir remettre à plat les droits et les devoirs des uns et des autres, cette époque étant l’ère des masses et le triomphe des valeurs des déshérités, dans la pire des violences s’il le faut.

Aussi, le Maroc étant une monarchie, il a intérêt à évoluer, non pas vers une démocratie parlementaire, la démocratie étant un concept périmé (ce qui a, au demeurant, lamentablement échoué), mais vers une sorte de démopraxie où la rue a son mot à dire, la puissance sociétale étant appelée à se manifester par ce qu’on a appelé démocratie locale ou participative et qui ne serait qu’une démoarchie, pendant de la monarchie, le pouvoir de la société civile.

Cela transparaît d’ailleurs dans l’action de plus en plus efficace des associations, même si elles sont un peu trop instrumentalisées par les idéologies, notamment islamistes, les mieux organisées.

Aussi, faut-il un concours extérieur des amis traditionnels du Maroc pour le sauver des lendemains qui déchanteront assurément, non seulement pour le royaume, mais pour tout le bassin méditerranéen et les pays occidentaux qui en profitent bien plus que les ressortissants de ces pays, leurs dirigeants servant moins leurs intérêts que les leurs propres, liés à ceux de leurs soutiens.

 

Le Rif, axe majeur dans l’histoire marocaine

 

Ni les autorités marocaines ni leurs amis d’Occident n’ont intérêt à ce qu’une nouvelle guerre du Rif éclate au Royaume; or, les événements actuels ont tout d’une nouvelle guerre du Rif, cette guerre coloniale qui a opposé, de 1921 à 1926, aux armées coloniales espagnoles et françaises les tribus marocaines rifaines.

Son origine fut la politique coloniale espagnole soucieuse de protéger les intérêts des ports présents sur le territoire marocain en colonisant de nouvelles terres enlevées aux tribus qui s’y opposèrent. Ainsi, le 21 juillet 1921, l’émir Abdelkrim Khattabi défait l’armée espagnole à la tête d’une armée de libération du monde musulman; c’est la célèbre bataille d’Anoual.

Les Espagnols ayant abandonné le terrain, l’émir fonde la République du Rif qui, si elle commet l’erreur d’appliquer la charia, le code obsolète musulman, ne se dote pas moins d’institutions supposées modernes avec notamment l’ambition de dépasser l’esprit tribal et de créer une solidarité pan-clanique. Devenu président de la République, Abdelkrim ne se nomme cependant pas sultan, continuant à reconnaître la suzeraineté de ce dernier. Son but était donc bien national, exclusivement dirigé contre la colonisation.

Or, malgré son autorité reconnue par la République du Rif, le sultan a choisi de se soumettre aux diktats des occupants étrangers et de se ranger du côté de l’alliance franco-espagnole contre les Rifains, à laquelle s’est jointe la Grande-Bretagne. La guerre fut atroce, voyant même l’emploi d’armes chimiques par les Espagnols en 1924. Ce qui a permis qu’elle se termine par la reddition d’Abdelkrim, le 30 mai 1926, soucieux d’empêcher l’extension de l’horreur chimique et ses massacres.

Outre l’usage du gaz moutarde, la guerre du Rif a marqué l’entrée de l’aviation comme nouvelle arme de guerre, un autre épisode traumatisant qui continue à marquer l’inconscient des Rifains, exciter leur fibre nationaliste.

En effet, outre la période Abdelkrim, le Rif s’était déjà illustré dans la lutte contre le colonialisme espagnol, dès 1909 dans la région est, avec le mouvement conduit par Mohamed Cherif Amezyane, et ce jusqu’à sa mort en 1912.

Une telle fibre nationaliste des gens du Rif n’a jamais plu aux cercles du pouvoir, lui rappelant par trop ses compromissions avec l’étranger; aussi, ce qu’on appelle Maghzen a toujours été prompt à dénoncer d’illusoires velléités de séparatisme des gens du Rif à la moindre contestation de sa politique.  

Il faut dire que l’inféodation obligée de la monarchie à la France dans le cadre de la sphère d’influence occidentale est forcément mal perçue par une population qui n’en tire concrètement pas profit. Car la France est le premier investisseur étranger au Maroc qui est le premier bénéficiaire des financements de l’AFD; et le français a au Maroc les privilèges d’une langue nationale. Pourtant, le citoyen marocain n’a aucun privilège en retour, même pas de circuler librement entre le Maroc et ce pays qui y est pourtant quasiment chez lui ! Certes, il ne s’agit que de non-dit, qui n’est pas moins lourd de conséquences dans l’inconscient collectif et l’imaginaire populaire.

Par ailleurs, comme les relations de la France et le Maroc sont de plus en plus soumises aux orientations européennes, ce qui la concerne, en matière de circulation humaine par exemple, implique l’Europe. Rappelons, à ce propos, ce qu’a dit le nouveau président français à Versailles sur la reconstruction de l’Europe, à savoir que la construction européenne est «fragilisée par la prolifération bureaucratique» et «le scepticisme croissant qui en découle… la décennie qui vient de s’achever (ayant) été pour l’Europe une décennie cruelle. Nous avons géré des crises, mais nous avons perdu le cap».

Or, comme l’a si bien dit M. Macron, il importe de «reprendre l’Europe à son début» et lancer d’ici «la fin de l’année des conventions démocratiques pour refonder l’Europe». Toutefois, un tel contenu de ces conventions ne saurait ignorer plus longtemps la façade sud de la Méditerranée et la nécessaire intégration institutionnelle des pays du Maghreb à l’Europe, le Maroc et la Tunisie en premier.

 

Éviter une nouvelle guerre du Rif

 

Le sûr est que nul ne peut douter de l’importance et du caractère stratégique des intérêts de la France et de l’Europe au Maroc; aussi, ce qui s’y passe aujourd’hui, comme hier, ne saurait les laisser indifférents.

Pour cela, le nouveau président français a eu raison de faire du royaume sa première destination étrangère. Et cela n’a pas manqué de rappeler le ballet diplomatique qui a suivi ce qu’on a appelé révolution tunisienne; les chancelleries occidentales allant à Tunis s’assurer que rien n’y changerait pour leurs intérêts.

Pourtant, tout devait changer, à commencer par la nécessaire libre circulation humaine. C’est parce qu’on ne l’a pas voulu de part et d’autre, que cela a donné lieu aux événements regrettables qui ont secoué et secouent encore le pays. Cela tient au fait que, malgré la révolution réelle au niveau de la mentalité populaire, celle des élites est restée à l’antique, manifestée par des lois obsolètes de la dictature auxquelles on tient comme à la prunelle des yeux.

C’est exactement pareil au Maroc où le subterfuge de la nouvelle constitution, qui est venu désamorcer la première grave crise du royaume, a épuisé ses effets en demeurant lettre morte, comme en Tunisie, ce qui a exacerbé et exacerbe la défiance populaire. C’est ce qu’on voit aujourd’hui au Maroc. Ce sera le cas également demain dans les deux pays si rien n’y change concrètement.

La situation des deux pays est similaire et les intérêts de la France et de l’Europe y sont identiques, avec juste une mainmise française bien plus grande au Maroc, ayant perdu la main en Tunisie face à la lex americana, la Tunisie étant aujourd’hui à la mode yankee.

Doit-on rappeler enfin les énormes intérêts français et européens au Maroc ? Si jamais la monarchie vacille au royaume, n’est-ce pas de tels intérêts qui le seront en premier? 

Il faut donc se rendre à l’évidence que ce qui se passe au Maghreb, aujourd’hui les événements du Rif au Maroc, hier ceux du sud tunisien, Ben-Guerdane et El-Kamour, n’interpelle pas que la monarchie ou Carthage, mais aussi et surtout la France et l’Europe. Car en un monde globalisé, s’il importe toujours d’agir localement, il ne faut pas moins penser l’action globalement pour qu’elle soit la plus pertinente.

C’est dans le cadre de l’appartenance du Maroc et de la Tunisie à la sphère d’influence occidentale qu’il faut désormais concevoir leurs rapports dans le cadre du nouvel équilibre mondial à inventer afin de remplacer l’actuel désordre qui ne peut plus durer.

Un nouveau monde est en gestation dans lequel tout milite pour que le Maghreb, du moins le Maroc et la Tunisie, cessent de ne relever que des faux-semblants actuels : ce faux partenariat, même s’il est pompeusement qualifié de stratégique.

Le Maroc comme la Tunisie font partie informellement de l’Europe, sans avoir les droits inhérents à la qualité de membres. On ne peut plus se dérober au devoir de formaliser un tel état de dépendance et manifester les droits de ces pays par des actes immédiats et concrets, telle l’ouverture des frontières aux humains.

Pour cela, un moyen fiable existe, respectueux des réquisits sécuritaires actuels : c’est le visa biométrique de circulation. On verra, en en faisant usage, si la situation ne sera pas sérieusement assainie au sud de la Méditerranée, en aidant à sortir les populations de la désespérance actuelle et du pur bluff d’État de droit qui ne saurait être sérieux que s’il est articulé à un système de droit avéré, celui de l’Europe.

C’est cela qui revitalisera, dans le même temps, l’idée européenne actuellement en crise en la refondant sur des bases solides, celles de la prise en compte des intérêts légitimes des pays du sud de la Méditerranée, leurs citoyens et nos leurs élites.

Terminons en disant que le plus grand penseur occidental avait déjà noté l’appartenance à l’Europe de l’Afrique du Nord. Et c’est le défi de demain à relever aujourd’hui aussi bien par les élites du sud, que celles du nord de la Méditerranée premières concernées. Aura-t-on donc assez de sagesse pour le faire et surtout quand ? Toute la question est là, car c’est le fatal sens de l’histoire selon Hegel !   

 

(*) Cet article a été publié initialement sur le blog de son auteur sous le titre : « Le Rif marocain face à la monarchie, la France et l’Europe aussi ». Nous le publions ici avec son aimable accord.

 

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