Le revirement de la situation est peut-être dû à une injonction du roi Mohamed 6 de remettre sur rail l’unique raffinerie marocaine, qui doit beaucoup d’argent à la BCP et à Attijariwafabank, banques que le monarque, affirme-t-on, contrôle via les filiales bancaires de son groupe, l’Omnium nord-africain (ONA). En effet, une liquidation judiciaire n’induit pas forcément que tous les créanciers seront payés et en intégralité.
Mercredi 18 mai, au tribunal de commerce de Casablanca, un véritable coup de théâtre s’est produit. Le Procureur du Roi, Mohamed Arsalan, a fait un étonnant réquisitoire qui demande tout simplement un redressement judiciaire de la Société marocaine de l’industrie du raffinage (Samir), alors que tous les protagonistes de cette affaire s’attendaient à une confirmation de la liquidation judiciaire. Dans son réquisitoire, le procureur a estimé que cette société, détenue à 67,3% par le magnant saoudien Mohamed Al Amoudi, ‘’a été paralysée à cause de l’avis à tiers détenteur (ATD) engagé par la Douane auprès des banques et des fournisseurs’’. Il a ajoute : ‘’L’arrêt forcé de la production (en août 2015, NDLR) a été engendré par la saisie des comptes de Samir pour recouvrer une créance publique..’’. Et, argument massue du ministère public : ‘’’La compagnie a toujours payé régulièrement ses dettes aux banques’’, même si ces mêmes banques, en réalité, avaient été obligées de forcer le recouvrement de leurs créances par un ATD et qu’elles sont plutôt favorables à l’option de la liquidation de la Samir.
Que s’est-il passé entre mars dernier et le 18 mai 2016 pour que le dossier de la Samir change de cap ?
Les promesses d’Al Amoudi
Il y a d’abord cette lettre d’Al Amoudi lue par son avocat Abdelkbir Tabih à l’audience du 11 mai dernier dans laquelle le président et principal actionnaire de la Samir avait promis d’injecter 670 millions de dollars (6,4 mds de DH) de fonds propres pour éviter la liquidation judiciaire et renflouer en cash la société, en proie à de graves difficultés financières, avec une dette énorme de plus de 40 milliards de DH, soit plus de 2,5 milliard d’euros. Al Amoudi a bâti sa défense sur trois points : la Samir ‘’est viable, elle a continué à payer ses dettes, et ni ses créanciers ni le procureur n’auraient jamais demandé sa liquidation’’.
Au sein des travailleurs et du syndicat de la Samir, l’option est nettement pour une reprise des activités de la société, et donc pour un redressement judiciaire, car il ‘’a l’avantage de couvrir les créanciers vis-à-vis de leurs assureurs’’ et que ‘’la liquidation judiciaire n’induit pas forcément que tous les fournisseurs seront payés et en intégralité’’, relève un juriste cité par L’Economiste.
La main du Roi ?
Il n’est pas exclu que ce revirement de la situation soit dû à une injonction du roi Mohamed 6 de remettre sur rail la Samir : cette société, en effet, doit beaucoup d’argent à la BCP et à Attijariwafabank, banques que le monarque contrôle via les filiales bancaires de son groupe, l’Omnium nord-africain (ONA).
Le verdict de cette affaire, prévu le 1er juin prochain, devrait conforter la nouvelle orientation du dossier, c’est-à-dire un redressement judiciaire, avec à la clé une promesse d’injection dans les comptes de la société de quelque 6,4 Mds de dirhams.
La Samir avait suspendu ses activités en août 2015, au plus fort de ses difficultés financières. Elle a une dette bancaire et obligataire de plus de 10 milliards de dirhams, outre des impayés aux douanes estimés à 13 milliards de dirhams. A cela s’ajoutent près de 10 milliards de dirhams vis-à-vis des fournisseurs. Les dettes cumulées de la Samir s’élèvent à 40 milliards de dirhams. Sa cotation à la bourse de Casablanca est suspendue depuis mai 2015.
Une ‘’mauvaise privatisation’’
La Samir est née en 1999, après une opération de privatisation. C’est en 1997 que le groupe Corral Petroleum Holdings, de Mohamed Al Amoudi, avait remporté l’appel d’offres international pour le monopole du raffinage au Maroc. Pour 74,5 % de la Samir et 81,3 % de la Société chérifienne des pétroles (SCP), Corral a mis sur la table, en deux ans, l’équivalent de plus de 380 millions d’euros. Puis, lors de la fusion des deux structures, en 1999, le nouvel actionnaire de référence, Al Amoudi, s’est engagé pour un business plan de 4,6 milliards de dirhams. Ce programme d’investissement ne sera jamais appliqué totalement.