Cet économiste marocain s’indigne : « Au nom de quoi est-ce qu’un salarié marocain devrait être imposé jusqu’à 38% là où un résident étranger est soumis à 10% ? Au nom de quoi est-ce qu’un investisseur étranger devrait bénéficier de conditions plus favorables qu’un investisseur national ? Au nom de quoi est-ce que les bénéfices réalisés dans l’agriculture devraient avoir un régime fiscal plus favorable que ceux des services et de l’industrie ? ».
Au Maroc, comme dans tant d’autres pays de la région, le secteur informel occupe une place non négligeable dans l’économie. Ainsi, il assure 41% des emplois (hors agriculture, administration et collectivités locales) et 14% du PIB. Il est aussi pointé du doigt pour expliquer l’origine de certains maux : fraude fiscale et sociale, exploitation de la main d’œuvre, corruption, etc.
Ce ne sont, cependant, pas ces éléments qui interpellent Hamid Bouchikhi, professeur de management et d’entrepreneuriat à l’ESSEC Business School. Dans une analyse publiée par le site d’informations industrielles L’Usine Nouvelle, il appelle à une réforme du secteur formel « vécu par la majorité des agents économiques (marocains) comme inefficient, contraignant, punitif et confiscatoire ».
Selon Hamid Bouchikhi, l’agent économique rationnel, voire le citoyen ordinaire, « a tout intérêt à l’éviter (le secteur formel). De fait, moins on a affaire aux responsables du secteur formel et mieux on se porte ».
S’il admet volontiers que le poids du secteur informel est un obstacle au développement de l’économie marocaine, cet économiste n’en pense pas moins que ce poids est « une réponse rationnelle aux nombreuses pathologies » du secteur formel : « Autrement dit, ce n’est pas le secteur informel qu’il faut soigner mais le secteur formel. Si les responsables du pays veulent encourager les agents économiques à agir dans la légalité, il leur faut accomplir une réforme radicale du secteur formel pour le rendre plus attractif. »
Pour illustrer son propos, Hamid Bouchikhi relate une expérience personnelle. « Il y a quelques mois j’ai eu besoin de faire ‘’légaliser’’ la copie d’un document à Rabat. Outre le fait que je ne comprends plus l’intérêt de la procédure de ‘’légalisation’’ dans des situations où un fonctionnaire peut vérifier de visu qu’une copie correspond à l’original d’un document remis dans un dossier, je me suis trouvé dans des locaux délabrés où des fonctionnaires qui n’avaient pas l’air heureux d’être derrière le guichet prenaient tout leur temps pour ‘’servir’’ des usagers qui se disputaient pour savoir qui était le suivant ».
L’inadéquation du secteur formel
Dans un autre cas, écrit l’économiste marocain sur L’Usine nouvelle, des citoyens forment une association pour acquérir un terrain dans la perspective de construire des logements. « Pendant plusieurs années, la commune a été incapable d’indiquer clairement quelle parcelle il fallait réserver à la construction d’une école ou d’une mosquée paralysant ainsi la totalité du projet », observe-t-il. « Pourquoi demander une autorisation lorsque le service habilité à la délivrer n’est pas capable de bien y répondre dans un délai raisonnable? », s’interroge-t-il.
Pour ce professeur, c’est aux responsables du secteur formel de prouver aux agents économiques qu’il est plus rationnel d’agir dans la légalité. Autre preuve de l’inadéquation du secteur formel est, selon ce professeur, le nombre croissant de dérogations qu’il faut accorder aux résidents et investisseurs étrangers ou au MRE (Marocains résidents à l’étranger) pour les encourager à s’établir et à investir
dans le pays. Et de s’indigner : « Au nom de quoi est-ce qu’un salarié marocain devrait être imposé jusqu’à 38% là où un résident étranger est soumis à 10% ? Au nom de quoi est-ce qu’un investisseur étranger devrait bénéficier de conditions plus favorables qu’un investisseur national ? Au nom de quoi est-ce que les bénéfices réalisés dans l’agriculture devraient avoir un régime fiscal plus favorable que ceux des services et de l’industrie ? ».