Les avocats de la défense du journaliste en prison Mustapha Bendjama ont introduit, ce jeudi, une demande de remise en liberté auprès du parquet du pôle pénal spécialisé de Constantine, a-t-on appris de Me Abdallah Haboul.
Condamné à six mois de prison ferme dans l’affaire « Amira Bouraoui », le journaliste Mustapha Bendjama n’a pas été remis en liberté le 7 novembre, le jour de l’énoncé du verdict. Pourtant, il venait de purger huit mois et deux semaines en détention provisoire.
Ce jeudi 16 novembre, les avocats Me Abdallah Haboul et Me Azzedine Bahloul, membres du collectif de défense du journaliste, ont introduit une demande de remise en liberté auprès du parquet du pôle pénal spécialisé de Constantine. Ils estiment que Mustapha Bendjama a purgé sa peine puisqu’il a été placé sous un double mandat de dépôt.
Deux mandats de dépôt simultanés
Mustapha Bendjama a été arrêté le 8 février 2023 dans le cadre de l’enquête sur la sortie du territoire national de la militante Amira Bouraoui. Il a été poursuivi en justice dans deux affaires distinctes, dont la première est délictuelle et la seconde est criminelle. « Deux dossiers relatifs à deux poursuites étaient au niveau du pôle pénal spécialisé de Constantine. Le premier concerne l’affaire « Amira Bouraoui », tandis que le second concerne l’affaire du présumé « financement étranger » et de « publication d’informations classées secrètes », explique l’avocat Haboul.
Le 19 février 2023, le juge d’instruction de la première chambre a auditionné Mustapha Bendjama dans une première comparution. Il a ensuite émis deux ordonnances de détention provisoire. Celles-ci ont été suivies par deux mandats de dépôt dans deux affaires distinctes. « Il a été conduit par la force publique à la prison d’Abdelhafidh Boussouf, où il a été incarcéré simultanément dans les deux affaires. La défense a interjeté appel contre les mises en détention provisoire et la chambre d’accusation a confirmé, le 6 mars, les deux ordonnances de mise sous mandat de dépôt« , explique-t-il encore.
Le 28 août 2023, la chambre d’accusation a confirmé la requalification des charges criminelles dans l’affaire « Amira Bouraoui ». Celle-ci a été transférée à la section correctionnelle. « Au procès Bouraoui, le tribunal a requalifié les faits. M. Bendjama n’est plus accusé de « trafic illicite de migrants ». Le tribunal l’a condamné pour « complicité avec le délit de quitter le territoire d’une manière illégale », ajoute-t-il.
M. Bendjama aurait pu être libéré le 26 octobre 2023 avec ses coaccusés Habes Mountaha et Raouf Farrah, s’il ne faisait pas l’objet d’un mandat de dépôt dans l’affaire « Amira Bouraoui ». La Cour d’appel avait réduit sa peine de deux ans de prison ferme, prononcé par le tribunal de première instance, à huit mois de prison ferme et une année avec sursis. Il venait de purger l’équivalent de la période qu’il a passé en détention provisoire. « C’est une preuve irréfutable que les mandats de dépôt étaient exécutés en même temps », affirme Me Haboul.
« Une erreur dans l’application de la loi »
« On s’attendait à ce que M. Bendjama soit remis en liberté. Il y a eu une erreur dans l’application de la loi », soutient l’avocat, qui cite l’article 13 du code de l’organisation pénitentiaire :
« Lorsqu’il y a détention provisoire, celle-ci est intégralement réduite de la peine et se calcule du jour où le condamné est incarcéré pour l’infraction ayant entrainé sa condamnation », stipule l’article 13 de cette loi.
Dans le cas de Mustapha Bendjama, qui est sous un double mandat de dépôt prononcé à la même date, soit le 19 février 2023, et dans deux affaires distinctes, le même article stipule :
« En cas de pluralité des poursuites successives dans le temps et sans interruption de détention, la peine privative de liberté a pour point de départ le premier acte d’écrou même s’il résulte de la première poursuite ou d’acquittement, un sursis, une peine non privative de liberté, une ordonnance ou un arrêt de non-lieu » (Art13)
Me Haboul cite également l’article 365 du code des procédures pénales. Selon cet article : « est, nonobstant appel, mis en liberté immédiatement après le jugement s’il n’est détenu pour autre cause, le prévenu détenu qui a été acquitté, ou absous ou condamné soit à l’emprisonnement avec sursis, soit à l’amende. Il en est de même du prévenu détenu condamné à une peine d’emprisonnement aussitôt que la durée de la détention aura atteint celle de la peine prononcée ».
« Le maintien de Bendjama en détention est illégal »
S’appuyant sur ces textes de loi, Me Haboul estime le maintien de Mustapha Bendjama en détention est « illégal » :
« C’est une atteinte à son droit fondamental à la liberté et la sécurité sur sa personne. Et ce droit est garanti par la constitution et les conventions internationales ratifiées par l’Algérie et la législation, notamment l’article 44 de la constitution et l’article 9 du pacte international des droits civils et politiques, alinéa 1 et 2, applicable par l’article 171 de la constitution », soutient l’avocat.
L’article 9 du pacte international des droits civils et politiques stipule, dans l’alinéa 1, que « tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévue par la loi ».
Dans l’alinéa 2 du même article, il est indiqué que « tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui ».
Dans le même contexte, l’article 44 de la constitution stipule la chose suivante :
« Nul ne peut être poursuivi, arrêté ou détenu que dans les conditions déterminées par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites. Toute personne arrêtée doit être informée des motifs de son arrestation. La détention provisoire est une mesure exceptionnelle dont les motifs, la durée et les conditions de prorogation sont définis par la loi. La loi punit les actes et les faits d’arrestation arbitraire »
Me Abdallah Haboul rappelle que Mustapha Bendjama a introduit un pourvoi en cassation à la Cour suprême dans l’affaire du présumé « financement étranger » et de « publication de documents classés secrets », et un appel contre le verdict de six mois de prison ferme prononcé dans l’affaire « Amira Bouraoui ». Pour toutes ces raisons, il estime que M. Bendjama doit être remis en liberté :
« Premièrement, la durée qu’il a passée en détention provisoire couvre la peine. Les condamnations ne sont pas définitives. Et, les mandats de dépôt étaient exécutés en même temps. Ils ne sont pas consécutifs. Deuxièmement, la durée de la détention provisoire dans les deux affaires couvre les deux condamnations à la prison ferme. Dans la première affaire, il a purgé 8 mois et 7 jours, et dans la deuxième affaire 8 mois et 19 jours », soutient le même avocat.
Mustapha Bendjama est le journaliste le plus poursuivi en justice en Algérie. Depuis 2019, il a été jugé dans une dizaine d’affaires en lien avec sa profession. Depuis le 3 octobre, il est en grève de la faim à la prison d’Abdelhafidh Boussouf, à Constantine, pour protester contre sa détention arbitraire.