Ce texte est une réponse au point de vue développé par Yassine Temlali dans une interview publiée par Libre Algérie, le 10 mai 2016. Nous la publions ici comme contribution au débat sur l’officialisation récente de la langue berbère.
Je ne pense pas être sur la même longueur d’onde que Mr Yassine Temlali dans l’interview qu’il a donnée au journal FFS, Libre Algérie, que je liais au début des années 1980, au sujet de la reconnaissance nationale et officielle de tamazight : au sens juridique du terme, elle n’est ni l’un ni l’autre ; formellement, du fait que la supposée constitutionnalité manque de clarté à partir du moment où elle est suivie du terme « également » et du préambule qui précise – aussi bien dans la version arabe que française – l’appartenance de l’Algérie à la terre et au pays arabes. Cela ce passe de tout commentaire.
Comparativement à la langue arabe, confirmée dans son statut, cette Constitution n’en donne aucun à tamazight, reconnue dans le préambule, après l’arabité et l’islamité, uniquement comme troisième composante de l’identité algérienne, c’est-à-dire inversement à l’ordre d’implantation historique conforme à la géographie. De plus, l’article 3 reconduit l’arabe comme langue nationale et officielle avec une précision de taille : « elle demeure langue officielle de l’État ». Ce qui fait d’elle, l’unique instrument national et officiel des deux segments de la société algérienne. C’est à se poser moult questions sur cette forme rédactionnelle et des capacités juridiques, constitutionnelles et politiques des rédacteurs qui ont repris presque, les mêmes termes que les précédentes Constitutions et ceux de l’article 5 de la nouvelle loi fondamentale marocaine.
L’article 3-bis de l’ex-Constitution, devenu article 4 dans celle de 2016, stipule, sans aucune précision, que tamazight est « également » langue nationale et officielle. Par contre, ce même article précise bel et bien qu’elle est soumise à une loi organique en vue de concrétiser à terme (encore une copie collée de la marocaine) son statut non pas en tant que langue, existant depuis 3.000 ans avant JC, mais comme un ensemble de variantes linguistiques en usage sur le territoire national et ce, après avoir réuni les conditions de sa promotion. Cela veut dire morcellement de tamazight, abonder dans le sens de la balkanisation linguistique comme souhaité par certaines voix et son renvoi aux calendres grecques ou à la semaine des quatre jeudis ; autrement dit, c’est, en quelques sorte, la confirmation du mot « jamais » de Mr Bouteflika..
Quant à l’ex article 178, devenu art 212, (quatrième chapitre) dans la nouvelle Constitution, tamazight ne fait pas partie de l’ensemble des 8 dispositions suivantes :
– caractère républicain de l’Etat ;
– à l’ordre démocratique basé sur le multipartisme (?) ;
– à l’islam en tant que religion de l’Etat ;
– à l’arabe comme langue nationale et officielle ;
– aux libertés fondamentales, aux droits de l’homme et du citoyen ;
– à l’intégrité et l’unité du territoire national ;
– à l’emblème national et l’hymne national en tant que symbole de la révolution et de la république
– à la rééligibilité une seule fois du Président de la République ;
auxquelles nulle atteinte ne sera portée en cas de nouvelle révision constitutionnelle. Cela veut dire que tout est révisable, y compris le statut de tamazight, sauf ces huit dispositions rendues tabous, donc ad vitam æternam, par le fait du prince et de la cour.
Sans entrer dans les détails, je dirais que juridiquement, tamazight n’a aucun statut déterminé : tout ce qui est écrit n’est que phraséologie et théorisation. Il n’y a rien de concret. Cette prétendue reconnaissance n’est claironnée que par ceux qui veulent y croire, tout comme elle est destinée aussi à la consommation extérieure. En un mot, d’une profonde lecture de cette énième version constitutionnelle, il n’en est rien sinon un leurre et une tromperie qui ne disent pas leur nom : tout est factice. D’ailleurs, au-delà de l’ambiguïté sur tamazight et à l’exemple des paragraphes 2 3 4 12 13 et 17 du préambule et des articles 2 – 3 – 4 – 32 – 34 – 38 – 42 – 48 – 49 – 50 – 52 – 53 – 87 – 90 – 208 – 212, que je ne détaille pas en raison de leurs contenu; de cette constitution présentée comme un élément cardinal démocratique et républicain apparaît sournoisement un Etat islamique, une absence de cohésion, une incohérence et une contradiction indescriptibles qui laissent tout juriste et tout constitutionnaliste sidéré à tel point qu’il est à se demander s’il y a un pilote dans l’avion et un personnel navigant à bord.
Tout ce tiraillement aurait pu être dépassé s’il y avait une rationalité dans la pensée et dans l’inspiration, des propositions citoyennes multiples conjuguées avec une réelle volonté politique afin de ne pas alimenter l’extrémisme d’où qu’il vienne et de se mettre au diapason de la réalité historique, géographique, des déclarations, conventions et Chartes africaines et internationales.