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Monia Jeguirim Essaidi (Patronat tunisien): « L’Algérie et la Tunisie échangent plus dans l’informel »

Par Yazid Ferhat
juillet 9, 2017
Monia Jeguirim Essaidi (Patronat tunisien): « L’Algérie et la Tunisie échangent plus dans l’informel »

La présidente de Conect International accuse l’Etat tunisien et l’Etat algérien de ne pas respecter les accords de coopération qu’ils ont signés et plaide pour la fluidification des relations économique entre les deux pays. « Pourquoi commercer librement avec l’UE et pas entre nous ? » s’interroge-t-elle.

 

La Tunisie traverse visiblement une situation économique difficile qui fait qu’il est à la fois urgent d’investir et maintenir une certaine politique sociale pour assurer la stabilité du pays. Comment les patrons vivent-ils cette situation ?

La Tunisie est en pleine transition. Elle vit de grandes difficultés économiques et sociales notamment. Mais je pense que c’est naturel après les profonds changements politiques qu’elle a vécus. Nous avons réussi une mutation politique, installé des institutions élues et élaboré une Constitution qui est reconnue à l’échelle internationale comme étant avant-gardiste. Aujourd’hui, le défi est économique et social : nous avons besoin d’investissement et de résorption du chômage qui devient de plus en plus menaçant. Nous, en tant qu’organisation patronale, nous avons un grand rôle à jouer en attirant l’attention des autorités sur le climat des affaires, notamment ce qui pénalise notre économie tel que l’informel qui représente plus de 50% de notre sphère économique. Nous devons faire beaucoup d’efforts pour relever ce défi et je pense que le Gouvernement en est conscient. Preuve en est la lutte contre la corruption qu’il a lancée afin d’assainir l’environnement des affaires et mobiliser la population autour de sa démarche. Les bons signes s’annoncent déjà avec l’augmentation de 3% des investissements étrangers par rapport à l’année passée. Par conséquent, même si la situation est difficile, elle est prometteuse et nous y souscrivons.

Le chef du Gouvernement, Youssef Chahed, classe parmi ses priorités, la lutte contre la corruption. Adhérez-vous à cette vision ? La corruption est-elle le plus grand mal dont souffre la Tunisie ?

Il existe une liste de priorités. Il faut une réforme de l’administration,  du système éducatif, du système bancaire, du système fiscal, etc. Mais la lutte contre la corruption et le terrorisme, ainsi que leur corollaire l’informel, reste un axe fondamental sans lequel rien n’est possible. A la Conect, nous prônons la bonne gouvernance, l’éthique dans les affaires, la citoyenneté. La lutte contre la corruption, la moralisation de la vie économique du pays, sont des éléments absolument nécessaires. Nous soutenons et adhérons parfaitement à la lutte contre la corruption que mène le Gouvernement parce qu’elle répond à nos engagements et ambitions.

 

Vous liez la question de la corruption à celle de l’informel. Les deux sont-elles inséparables ? Cela veut-il dire qu’il n’y a pas de corruption dans le secteur formel ?

Les fléaux que sont la corruption, l’informel et le terrorisme sont liés.  Ils évoluent en dehors de l’Etat et échappent à tout contrôle. Des sommes gigantesques circulent dans des circuits incontrôlables.  Ces sommes, qui n’ont aucune traçabilité, peuvent servir pour la corruption mais aussi  au financement du terrorisme. Dans les rouages de l’Etat, dans le secteur formel, la corruption existe certainement. Elle est sans doute importante. Mais le Gouvernement s’attelle à la combattre. Des têtes commencent déjà à tomber dans plusieurs administrations. Il faut que la situation économique soit assainie pour que les entreprises normalement constituées ne souffrent pas d’oppression et de pression fiscales au détriment d’autres entreprises qui travaillent dans l’informel, dans l’opacité et l’impunité. L’intérêt de l’économie tunisienne est primordial.

 

Les entreprises tunisiennes font face à un double problème : la pression fiscale d’un coté et la difficulté d’accéder à des financements d’un autre. Quelle la marche à suivre pour desserrer l’étau sur elles ?

Le problème du financement se pose avec acuité pour les entreprises.  L’essentiel du tissu industriel et économique tunisien est composé de PME. Ces petites et moyennes entreprises ont d’énormes difficultés à accéder aux financements faute d’aptitude à présenter des garanties. Elles ont notamment des problèmes de trésorerie et des problèmes de sous-capitalisatiobn. Donc, les banques ne leurs prêtent pas parce qu’elles n’aiment pas prendre des risques. Les Banques, comme on dit, ne prêtent qu’aux riches. Elles aident les grands groupes à se développer, elles donnent parallèlement toutes sortes de financements aux consommateurs, mais rien ou très peu aux PME. Pour venir à bout de ce problème, il y a nécessité de développer les fonds d’investissement, particulièrement les fonds d’investissement régionaux pour aider les régions du pays à se développer et à se prendre en charge localement.  Les investissements et les décisions doivent être pris en charge au niveau des régions pour d’une part, déstresser la capitale et d’autre part, être efficace en évitant les lenteurs administratives qu’entraine la centralisation de la décision et de la gestion. Mais pas seulement. Le problème d’accès au financement impacte aussi les grands groupes industriels qui veulent s’internationaliser. Certaines entreprises ont atteint une taille leur permettant de le faire mais elles trouvent d’énormes difficultés à se déployer à l’international faute d’accompagnement financier. Le marché tunisien est devenu exigu avec l’instabilité que vit la Libye avec laquelle nous faisions d’importantes transactions et le  manque de fluidité dans les échanges avec l’Algérie. Cette situation met certains groupes industriels dans l’obligation d’aller à l’international pour chercher de nouveaux marchés et survivre. Or, il n’est pas aisé d’y arriver faute de financements adéquats. Il est nécessaire de mettre en place un ou des fonds d’investissement spécifiques pour les accompagner. Il en existe certes mais ils sont insuffisants  compte tenu des besoins et des ambitions des entreprises.

 

Qu’est-ce qu’il y a d’urgent à faire pour parer à ces problèmes ?

Il faut des fonds régionaux pour développer les régions, des fonds internationaux pour développer et accompagner les entreprises désireuses de  se déployer à l’international et des fonds sectoriels pour développer certaines branches dans les services et les TIC qui sont très porteuses et qui nécessitent un financement spécifique étant donné qu’elles n’ont pas de garanties à présenter, ni de terrain ou de bien à hypothéquer ; ce sont des branches  intangibles.  Les réformes à mener doivent fondamentalement répondre aux besoins, souvent spécifiques, de la PME. Une telle démarche nécessite une souplesse du système financier et bancaire. La Conect est née au lendemain de la révolution justement pour répondre à la problématique du développement de la PME qui est marginalisée dans notre système économique.  Depuis, nous avons soulevé plusieurs problèmes et proposé des solutions qui ont été pris en considération par le Gouvernement. D’autres viendront.

Etes-vous satisfaits du rôle que joue l’Etat tunisien dans l’économie ?

L’Etat, notamment depuis la révolution, joue plutôt un rôle de pompier.  A chaque fois qu’un incendie démarre quelque part, le Gouvernement tente de l’éteindre en faisant des promesses de développement. Or, l’Etat doit être visionnaire, proactif et tracer une stratégie avec la participation active des opérateurs économiques et des populations des régions.  Les grandes lignes, c’est l’Etat qui les fixe certes mais il est impératif de libérer l’initiative. L’Etat doit jouer un rôle beaucoup plus de catalyseur, d’arbitre que d’acteur économique. 

 

Les échanges entre la Tunisie et l’Algérie sont très faibles. Ils le sont également dans toute la région maghrébine. Selon certains experts, la non-intégration du marché maghrébin coûte aux pays de la région environs 30 milliards de dollars par an. Dans quelle mesure l’intégration économique maghrébine vous semble une perspective souhaitable ?  Qu’est-ce qui empêche son avènement ?

La coopération commerciale et en matière d’investissement entre l’Algérie et la Tunisie reste effectivement faible. Il y a à peine 100 entreprises tunisiennes installées en Algérie et  seulement 39 algériennes installées en Tunisie dont environs 13 dans le textile.  Ces chiffres sont loin de refléter la taille des deux marchés. Les échanges commerciaux sont également très en dessous des potentialités des deux pays.  Toutefois, ce qui ne s’échange pas dans le secteur formel s’échange dans le secteur informel. Il y a des échanges informels très importants entre les deux pays, notamment dans l’agroalimentaire, le textile, le cuir et la chaussure, l’essence et le gasoil. Nous n’avons pas de chiffres sur les volumes de ces échanges mais il est certain qu’ils sont supérieurs à ceux qui se font dans le circuit formel. On est tenu de faciliter les échanges entre les deux pays pour éviter ces circuits qui pénalisent les économies des deux pays et dont les fonds peuvent être utilisés pour financer le terrorisme. L’informel constitue une menace certaine pour la sécurité et la stabilité des deux pays. On a bien fluidifié nos relations avec l’Union Européenne dans le cadre de l’accord de libre échange, pourquoi pas la même chose entre l’Algérie et la Tunisie ? Les deux pays importent et exportent de et vers l’Union Européenne avec facilité. Pourquoi pas entre nous ? Les accords commerciaux en vigueur dans le cadre de la Zone Arabe de Libre Echange et l’Accord commercial préférentiel tuniso-algérien sont certes importants mais ils ne sont pas toujours appliqués. Très souvent, leur application est entravée par des procédures administratives qui n’encouragent pas les échanges.  Il y a un décalage entre les textes et la réalité.  Les deux pays ne respectent pas leurs engagements.

Pour ce qui est de la région maghrébine, il est évidement souhaitable d’aller vers une intégration économique. Les opérateurs économiques souhaiteraient bien qu’on aille vers un marché commun, une monnaie commune, etc. Mais il est difficile d’y parvenir en ce moment compte tenu des problèmes qui touchent notamment la Libye et qui existent entre l’Algérie et le Maroc.  Plus pragmatiquement, il faut briser les barrières progressivement dans des cadres bilatéraux. C’est une étape importante vers une intégration économique régionale. 

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