Mouloud Hedir, qui était cette semaine l’invité de Radio M, sait de quoi il parle. Ancien Directeur général du commerce extérieur, il a été aux premières loges à l’occasion de la préparation de l’Accord d’association Algérie –UE et a dirigé pendant plusieurs années la délégation algérienne aux négociations pour l’accession à l’OMC.
Mouloud Hedir commente la récente annonce d’une «révision» de l’Accord d’association avec l’Union européenne en insistant sur le fait que la démarche des autorités algériennes porte pour l’instant seulement sur une «évaluation commune» des résultats de 10 années d’application avec la partie européenne. Pour l’expert algérien, la communication officielle, relayée d’ailleurs sur cette question par la plus grande partie des médias nationaux, a voulu faire passer un message composé de 2 éléments principaux. Le premier indique que l’Algérie «n’est pas satisfaite» des résultats de cet accord. Le second est que la situation actuelle de crise financière que traverse le pays «influe négativement sur sa capacité à le mettre en œuvre ».
Pas de détournement des flux commerciaux en faveur de l’UE
Mouloud Hedir tient, sur ces différents aspects, à mettre en garde contre quelques idées reçues. Il souligne tout d’abord, chiffres à l’appui, que «sur le plan commercial l’application de l’Accord d’association n’a pas donné lieu à un détournement de flux commerciaux. Depuis dix ans, la part des pays de l’Union européenne dans les importations algériennes s’est, en fait, sensiblement réduite au profit de quelques pays émergents ; Chine, Turquie et Brésil en tête». Simultanément, la part de l’UE dans les exportations de l’Algérie «a fortement augmenté et se situe aujourd’hui à un niveau proche de 70% ». L’argument commercial sera donc difficile à soutenir dans les prochaines discussions, d’autant plus que si les exportations hors hydrocarbures «stagnent , vers toutes les destinations», ce n’est pas en raison essentiellement d’une supposée fermeture des marchés européens mais «à cause de l’absence ou de l’insuffisance d’une offre nationale dans ce domaine».
Quel impact pour le démantèlement tarifaire ?
L’argument budgétaire aura-t-il plus de chance de convaincre les partenaires européens? Pas sûr. Mouloud Hedir relativise d’abord le montant du manque à gagner pour le budget de l’Etat. «Environ un milliard de dollars en cumulé depuis la mise en œuvre du processus de démantèlement tarifaire ». On est loin des milliards de dollars annuels évoqués par différentes sources, y compris gouvernementales. Ce qui ne devrait pas dispenser, selon Mouloud Hedir, le gouvernement de réaliser les «analyses d’impact actuel et surtout pour l’avenir qui pour l’instant ne semblent pas avoir été effectuées par l’administration algérienne».
Les causes de sauvegarde plutôt que les licences d’importation
L’expert algérien n’est pas davantage convaincu par la récente introduction de licences d’importation. «Une décision unilatérale en contradiction avec les accords signés et qui risque de renforcer la réputation d’instabilité et d’imprévisibilité du cadre juridique du commerce algérien». Sur ce point Mouloud Hedir souligne que «l’Accord d’association comporte de nombreux instruments et clauses de sauvegarde qui ne sont pas utilisées et qui auraient pu être invoquées dans le but d’introduire, en concertation avec les partenaires, les ajustements rendus nécessaires par la forte réduction de nos revenus extérieurs». Plus généralement, l’expert algérien ne croit pas à l’efficacité d’une «gestion administrative des importations par les quotas» qui nous éloigne des enjeux véritables d’un commerce extérieur qui doit être mis au service du développement de l’économie.
Vers un report de l’échéance de 2020 ?
Dans ces conditions, Mouloud Hedir attire l’attention sur l’importance des prochaines négociations qui devraient permettre de faire le point de 10 ans d’application de l’Accord avec le partenaire européen. Il recommande d’abord au gouvernement algérien de «faire sa propre évaluation, contrairement à ce qui s’est passé en 2009». Mouloud Hedir souligne également que dans les termes actuels de cet accord «on a repoussé vers 2020 le démantèlement de toutes les positions tarifaires importantes». Une démarche qui pourrait se révéler «intenable en provoquant des pertes importantes de recettes douanières à un moment où, précisément, les finances publiques de l’Algérie risquent d’être le plus fragilisées». L’expert algérien n’exclut d’ailleurs pas que, pour cette raison, «l’échéance de 2020 pour la création d’une zone de libre échange soit de nouveau repoussée de quelques années. Surtout si les autorités algériennes savent mettre en avant, dès maintenant, les résultats très décevants du processus de Barcelone ».
«La démarche dilatoire : un mauvais calcul»
C’est précisément cette démarche à «caractère dilatoire» consistant à «allonger les délais» qui semble avoir de longue date la préférence des autorités algériennes. Aussi bien dans le cas de l’Accord d’association que, de façon presque caricaturale, dans celui de la négociation pour l’accession à l’OMC. «Mauvais calcul et mauvaise stratégie », selon Mouloud Hedir. L’esprit des accords commerciaux signés par l’Algérie consiste à fixer des échéances auxquels les opérateurs économiques aussi bien que les administrations concernées doivent se préparer en effectuant leur mise à niveau. Ce que pour l’instant ni les unes ni les autres ne semblent, dans la plupart des cas, s’être résolu à faire.
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