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Nassim Oulmane : «Une intégration maghrébine approfondie serait le meilleur moyen de tirer profit du marché continental »

Par Mohamed Boukhalfa
novembre 9, 2015
Nassim Oulmane : «Une intégration maghrébine approfondie serait le meilleur moyen de tirer profit du marché continental »

 

 

Nassim Oulmane, Economiste Senior et Directeur par interim du Bureau Afrique du Nord de la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) revient dans cet entretien sur le processus de mise en oeuvre d’une zone de libre-échange continentale pour l’Afrique et ses implications. « La vraie question n’est pas si la ZLEC va aboutir, mais de savoir qui sera préparé pour en tirer le plus grand profit et qui ne le sera pas », dit-il.

 

 

Pourriez-vous, d’abord, nous parler de l’initiative de création d’une zone de libre-échange continentale pour l’Afrique ?

C’est un processus lancé par les chefs d’Etat et de gouvernement africains en 2014 et qui s’inscrit dans le cadre général de l’agenda du Traité d’Abuja instituant la Communauté Economique Africaine, qui a été signé en 1991 et qui est entré en vigueur en 1994. L’article 6 du Traité envisageait bien la mise en place d’une ZLE Continentale au terme de la 4ème étape du processus de mise en œuvre. Et 2017 correspond bien au chronogramme initial. Il ne s’agit donc ni d’une initiative nouvelle, ni d’une accélération subite du calendrier.

Ce processus intéresse plus d’une cinquantaine de pays, une population de plus d’un milliard de personnes et un PIB de plus de 3000 milliards de dollars. Nos travaux à la Commission Economique pour l’Afrique permettent de relever que la mise en place de la ZLEC, accompagnée par les mesures adéquates en matière de facilitation de commerce pourrait produire une croissance du commerce intra-africain de 52% à l’horizon 2022. Encore plus intéressant, la majorité de ces échanges porterait sur des produits manufacturiers et industriels.

 

Quels sont les moyens mis en œuvre pour sa réalisation ?

Le processus de négociation en est à ses débuts, et les moyens de mise en œuvre feront probablement partie du ‘package’. On notera tout au plus la mise en place depuis 2014 d’un Comité de Haut Niveau composé de quelques chefs d’Etat qui doit en assurer le pilotage politique, ainsi que l’adoption récente à Johannesburg de quelques principes directeurs qui vont encadrer le travail des négociateurs. On en citera en particulier le rôle dévolu aux Communautés économiques régionales (CER) comme building blocs de la future ZLEC, la consolidation des acquis, le principe de flexibilité ou encore celui du traitement spécial et différencié.

 

Pensez vous que ce projet va aboutir lorsque l’on sait que le projet de l’espace maghrébin de libre-échange peine à se concrétiser ?

Il y a de bonnes raisons de penser que le processus continental aboutisse si on se réfère à l’engagement des chefs d’Etat et de gouvernement, aux étapes déjà franchies par plusieurs CERs/CESRs (EAC, UEMOA, CEDEAO, COMESA notamment) et surtout à la dynamique générée par l’Initiative Tripartite EAC-SADC-COMESA. Cette initiative s’est traduite par le lancement en juin dernier d’une ZLE qui regroupe 26 pays africains de l’Egypte jusqu’en Afrique du Sud. La vraie question n’est pas si la ZLEC va aboutir, mais de savoir qui sera préparé pour en tirer le plus grand profit et qui ne le sera pas.

Au niveau maghrébin, la ZLE peine effectivement à se mettre en place, comme celle de la CEEAC en Afrique centrale, mais c’est cela aussi l’intégration économique. Ce n’est pas un évènement, c’est un processus, avec parfois des retards et des accélérations.

L’intégration maghrébine suit donc son chemin en faisant face aux obstacles et défis que l’on connait. Il est évident que le processus peut gagner en efficacité et la CEA ne ménage aucun effort dans sa collaboration étroite avec le Secrétariat Général de l’Union du Maghreb Arabe pour faire face à ces défis et répondre aux aspirations du peuple maghrébin.

 

Beaucoup d’experts suggèrent de procéder par la constitution de blocs sous-régionaux avant d’aller vers la ZLEC. Qu’en pensez-vous ?

L’existence des blocs sous-régionaux est déjà une réalité. Si ces derniers sont investis officiellement du mandat de négocier les outils et paramètres de la ZLE, ce serait probablement plus aisé pour tous. Il est plus facile de négocier en étant huit CER qu’en étant plus d’une cinquantaine d’Etats. Et l’exemple de la Tripartite montre la voie.

 

Est-ce que la création d’une ZLE au Maghreb est un préalable à la constitution d’une ZLEC ?

La mise en place d’une ZLE maghrébine reste un objectif à réaliser, dans le cadre de la construction d’une communauté économique maghrébine. En soi, elle ne peut pas constituer un préalable à la constitution de la ZLE Continentale. L’adhésion par CER – si elle peut être privilégiée-, ne devrait pas être exclusive d’une adhésion par pays ; les deux peuvent être combinées. Les négociateurs et les chefs d’Etat indiqueront en temps opportun la voie à suivre. Ceci dit, il est évident que d’un point de vue stratégique, une intégration maghrébine approfondie serait le meilleur moyen de tirer profit d’un marché continental. En effet, les études de la CEA montrent qu’en plus de favoriser les échanges des pays maghrébins avec le reste du continent,! la ZLEC a ceci de remarquable qu’elle dynamise les échanges intra-maghrébins essentiellement dans les secteurs industriels. Autrement dit, la ZLEC favorise le développement de chaînes de valeurs maghrébines dans les secteurs industriels et ces chaînes de valeurs régionales sont le meilleur moyen de concurrencer sur le continent des acteurs économiques globaux.

 

Quel est le moyen à même, selon vous de débloquer cette situation ? N’y a-t-il pas de moyens de contourner les divergences politiques ?

Laissons les questions politiques au niveau des décideurs, autrement dit des chefs d’Etat. L’intégration reste un choix politique, et de ce point de vue, les politiques restent des acteurs incontournables. Les opérateurs économiques via les patronats nationaux, les syndicats, le monde académique et la société civile –y compris les médias- ont un rôle à jouer dans ces processus d’élargissement des marchés nationaux – et il faut les y impliquer pleinement-, mais il y aura toujours des étapes qui nécessiteront l’intervention directe des décideurs, donc des politiques.

 

L’établissement d’une zone de libre-échange au Maghreb ne doit-il pas être l’œuvre de deux pays locomotives (Algérie-Tunisie par exemple) pour le généraliser à l’ensemble de la région ?

Plusieurs accords bilatéraux existent déjà dans l’espace maghrébin, et suppléent avec plus ou moins de réussite aux lacunes du projet maghrébin. Vu sous cet angle, tous ces accords – et pas seulement l’accord Algérie – Tunisie – ont vocation à servir de passerelles à la ZLE sous-régionale. Il s’agira de capitaliser leurs acquis respectifs et de tirer leçon de leurs faiblesses. Il n’en demeure pas moins que, contrairement aux accords bilatéraux, l’UMA offre un cadre institutionnel régional qui permet de développer la dimension « coopération » de cette construction maghrébine. Ce n’est pas la ZLE qui fera la différence, ce sera les mécanismes d’accompagnement qui vont aller avec, qui vont prendre en compte le renforcement de certaines faiblesses et qui vont permettre d! ’enclencher une intégration beaucoup plus approfondie au bénéfice de tous.

 

Ou même, ne faut-il pas intégrer l’intégration maghrébine dans un espace élargi à toute l’Afrique du Nord…

Pourquoi pas ? Puisque l’ambition est d’intégrer tout le Continent. On notera néanmoins que l’Egypte et la Libye sont déjà partenaires de la ZLE COMESA, donc engagées dans la Tripartite. Aux pays maghrébins d’apprécier cette opportunité, même si les blocages actuels ne laissent pas envisager un tel scénario à court terme. Et 2017, c’est dans deux ans.

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