Pour Nazim Zouioueche, ancien PDG de Sonatrach, les résultats du dernier appel d’offre d’Alnaft sont non seulement décevants mais inquiétants. Invité de l’émission Radio M, de mardi dernier, il explique les raisons de cet échec, et propose des solutions.
Même pour l’ancien PDG Sonatrach, Nazim Zouioueche, un observateur très critique des évolutions récentes de la gestion du secteur algérien de l’énergie, les résultats du 4e appel à manifestation, lancé en janvier dernier par Alnaft, et dont l’ouverture des plis s’est déroulée mardi dernier au siège de l’Agence au Ministère de l’Energie, sont une mauvaise surprise. Lui qui s’attendait à l’attribution d’ »au moins une dizaine de périmètres d’exploration », il qui ne songe pas une minute à s’en féliciter.
Invité de Radio M de cette semaine, on sentait chez cet ancien responsable du secteur, beaucoup de perplexité. Que faire maintenant ? Les échecs à répétition des appels d’offre ne sont en effet pas les seules mauvaises nouvelles des dernières années ou des derniers mois. Ils s’ajoutent à des performances en baisse sensible en matière de découvertes de nouvelles réserves et surtout à une baisse tendancielle et apparemment irrésistible de la production et des exportations d’hydrocarbures en volume de notre pays. Les nouvelles ne sont pas plus rassurantes sur le front des prix internationaux du pétrole et du gaz. Nazim Zouioueche relève, au cours des derniers mois, « une tendance baissière malgré une situation politique très tendue au Moyen Orient ». Il l’attribue à une conjonction de facteurs au premier rang desquels figurent : « une demande mondiale rétrécie par la crise économique, l’augmentation de la production américaine d’hydrocarbures non conventionnels et le développement rapide du renouvelable dans beaucoup de pays comme l’Allemagne ».
« Tout remettre à plat »
La tentation de désigner des responsables, la valse des PDG et les modifications incessantes du cadre juridique, qui ont été les options choisies par les décideurs algériens au cours des dernières années, sont clairement des fausses pistes. « Les résultats sont là », souligne Nazim Zouioueche. « Vous vous rendez compte qu’il n’y a pas eu de concurrence dans les périmètres proposés ? Les grandes multinationales cherchent des personnes qui parlent le même langage professionnel qu’elles. Elles ont besoin d’avoir des réponses quand elles les cherchent, d’avoir des explications et des orientations quand elles les demandent, et surtout d’avoir une stabilité institutionnelle. Je pense que c’est à la fois un problème relationnel et institutionnel. L’investisseur a besoin d’être encouragé ». Pour toutes ces raisons, l’ancien responsable de Sonatrach estime qu’il faut « tout remettre à plat ». Pour lui, les compagnies pétrolières internationales trouvent qu’il est « difficile de travailler en Algérie ». Non pas principalement en raison des problèmes d’insécurité puisqu’elles « n’ont pas hésité à le faire dans les années 90″, mais parce qu’elles s’ »inquiètent d’un environnement trop fluctuant et du manque de réactivité des autorités algériennes à l’égard de leurs interrogations ».
« Nous ne sommes pas prêts pour le gaz de schiste »
Au delà d’une conjoncture difficile, quelles pourraient être les orientations stratégiques afin d’éviter le déclin annoncé et redouté de notre production d’énergie ? Les déclarations des responsables algériens du secteur, favorables à l’option de l’exploitation du gaz de schiste, inspirent des commentaires extrêmement réservés, pour ce spécialiste du terrain dont une grande partie de la carrière s’est déroulée à Hassi Messaoud. Pour Zouioueche, le message que les pouvoirs publics algériens cherchent à faire passer consiste à suggérer que l’Algérie « dort sur un trésor ». « On dit aux algériens, bonnes gens dormez tranquilles, il y a encore de la ressource ». Mais, « les multinationales sont assez mûres et ont assez d’expériences et de connaissances pour savoir qu’il est trop tôt pour aller maintenant vers un marché du non conventionnel en Algérie », ajoute M. Zouioueche. « Des données disent que nous possédons les troisièmes réserves mondiales en matière de gaz de schiste, mais nous ne connaissons pas le potentiel réel de l’Algérie en la matière. Il faudrait que nous fassions tout d’abord des études à fin de connaitre notre véritable potentiel, le valoriser, puis faire une estimation sur ce qu’on pourrait produire et les moyens à mobiliser pour y arriver. Sur ce point, les professionnels savent très bien que l’Algérie n’est pas encore à ce stade », précise-t-il à ce sujet. L’ancien PDG de Sonatrach avertit : « Sur le gaz de schiste, il faut rester en veille. Son développement est une affaire de 20 à 30 ans. Il faut attendre la technologie, faire des études, forer des puits pilotes. »
Les gisements géants n’ont pas dit leur dernier mot
Sa connaissance du terrain et de l’état des gisements a au contraire convaincu Nazim Zouioueche, c’est d’ailleurs l’aspect le plus original de sa contribution au débat public au cours des derniers mois, que l’avenir énergétique immédiat de l’Algérie se situe dans le développement de ses ressources conventionnelles. Même s’il est le premier à regretter, et à confirmer, « l’hyper exploitation (de Hassi R’mel) pour des raisons de facilité, dans un contexte où les prix internationaux étaient très élevés ». Il croit encore à l’avenir des gisements géants qui doivent faire l’objet d’un « screaming » pour évaluer leur état et définir un profil d’exploitation optimal. Pour l’ancien PDG de Sonatrach, les solutions à court terme pour faire face à la baisse tendancielle de notre production gazière se situe dans une combinaison d’économies. Il cite à ce propos « le torchage du gaz (qui) continue à nous faire perdre 6 milliards de mètres cubes par an » et, suggère aussi, une « accélération de la mise en exploitation de nos gisements du Sud ouest qui peuvent apporter 12 milliards de mètres cubes supplémentaires et soulager Hassi R’mel ».
Les ressources conventionnelles pour M. Zouioueche, c’est aussi et toujours le pétrole. « Pourquoi dit-on que l’Algérie est d’abord un pays gazier ? Il faut concentrer le gros de nos efforts sur Hassi Messaoud. Augmenter de 1% le taux de récupérations de Hassi Messaoud ferait augmenter nos réserves de plus de 500 millions de barils », selon lui.
Hausse des salaires : Cibler les filières techniques
Mais pour parvenir à cet objectif l’Algérie a aussi besoin d’une compagnie nationale performante. Pour l’ancien PDG, « la force de Sonatrach a longtemps reposé sur sa capacité à former et à générer une ressource humaine de qualité. Tous les anciens PDG ont été formé par l’IAP ». Alors que ce qu’on observe aujourd’hui c’est « une contraction de l’effort de formation ». « On préfère importer des techniciens que maintenir un outil de formation de qualité », dit-il. La question des rémunérations serait-elle à l’origine du départ de nombreux cadres de l’entreprise ? « On a augmenté les salaires au cours des dernières années » mais « ces augmentations ont été attribuées de façon uniforme, alors qu’il aurait fallu adopter une démarche plus ciblée qui privilégie en particulier les filières techniques qui sont au cœur du métier de l’entreprise. »
Extraits vidéos : http://bit.ly/1BAn88g