Dans la deuxième partie de cette intervention, nous allons aborder les actions à mener pour augmenter les liquidités bancaires. Celles-ci doivent être enterprises par la Banque d’Algérie et par le Gouvernement. Notons que la plupart des ces actions ont été déjà proposées dans divers documents l’auteur du présent document, soit seul soit avec Raouf Boucekkine, en particulier le document d’avril 2017 cité ci-dessus. Tous ces documents sont disponibles à https://nourmeddahi.github.io/El-Djazair/El-Djazair.htm
- Actions que doit entreprendre la Banque d’Algérie
La Banque d’Algérie est en charge de la politique monétaire et donc de la liquidité bancaire. Elle doit donc agir sur les différents outils dont elle dispose dès que son nouveau Gouverneur sera nommé, une urgence absolue.
B-1) Baisse du Taux de Réserve Obligatoire (TRO) des banques
Les banques sont tenues de déposer auprès de la BA (contre une rémunération de 0,5%) un pourcentage (dit TRO) des dépôts dans leur compte. Quand les liquidités bancaires étaient élevées, ce TRO était de 12%. En 2017, il avait baissé jusqu’à 4%. La BA l’a baissé à plusieurs reprises depuis un an pour le porter de 12% à 6%. Il pourrait baisser jusqu’à 2% si nécessaire. Chaque pourcentage libérera un montant proche de 110 mds DA de liquidités.
B-2) Reprendre la baisse du Dinar
Un élément de premier ordre dans la réduction du déficit de la balance des paiements est la valeur du Dinar. Il est très surévalué étant donné les montants des déficits externes (balance de paiements) et interne (budget de l’Etat).
Le Dinar a connu une baisse en mars puisque la valeur d’un Dollar est passée de 120 DA à 128,5 DA. Depuis fin avril, la valeur du Dinar est stable par rapport au Dollar. Il est en baisse depuis quelques semaines par rapport à l’Euro car ce dernier s’est apprécié par rapport au Dollar, mais cette dégradation n’est pas du ressort de la BA. La baisse du Dinar par rapport au Dollar doit reprendre et se faire de manière graduelle pour que son impact sur l’inflation soit lissé dans le temps, comme ce fut le cas entre juin 2014 et décembre 2015. En plus de freiner les importations, une dévaluation du dinar va augmenter la fiscalité pétrolière et les dépôts de Sonatrach, ce qui sera bon pour la liquidité bancaire. Cette opération va aussi augmenter les dividendes que verse depuis plusieurs années la BA au Trésor et qui proviennent des bénéfices de change que la BA fait en vendant ses devises.
B-3) Opérations d’Open Market
Depuis trois années, la BA a commencé à développer le marché appelé « Open Market » où les banques commerciales et la banque centrale se prêtent de l’argent à très court terme, de l’ordre d’une semaine en Algérie et une journée dans les pays où les marchés financiers sont développés. L’Open Market est l’outil moderne le plus important pour la gestion des liquidités et c’est celui qui permet le mieux la transmission de la politique monétaire d’une Banque Centrale car les taux pratiqués sont très proches de son taux directeur.
Pour le moment, ce marché ne peut pas régler tous les problèmes de liquidités dont a besoin le pays, surtout au vu du défi budgétaire. Le montant de l’argent injecté par la BA dans ce marché était de 160 mds DA en décembre 2019. Il doit poursuivre sa progression. Notons que ce montant avait atteint les 600 mds DA en octobre 2017, pour passer à zéro deux mois après que le système bancaire a été inondé par la planche à billets.
B-4) Opérations de réescompte ou refinancement
Le réescompte est un refinancement des prêts d’une banque par la BA. Prenons un exemple pour expliquer ce qu’est une opération de réescompte. Une banque commerciale dispose de 120 millions de DA qui proviennent de dépôts (à vue ou à terme) ; elle prête à une entreprise 100 millions de DA au taux du marché, 6,5%. Une seconde entreprise approche la banque pour un prêt de 50 millions de DA ; la banque ne dispose que de 20 millions. Elle peut s’adresser à la BA et lui demander de refinancer le prêt de 100 millions. La BA va étudier la qualité de l’entreprise à qui la banque a prêté les 100 millions pour évaluer ses capacités de remboursement. Elle va appliquer une décote faible, par exemple 20%, pour une entreprise dont le risque de défaut de remboursement est faible, et une décote élevée, par exemple 70%, pour une entreprise dont le risque de défaut de remboursement est élevé. Selon le cas, la BA prêtera à la banque commerciale 80 ou 30 millions DA (décote de 20% ou 70%). Le taux appliqué pour ce prêt est le taux directeur de la BA, qui a été baissé à deux reprises depuis un an pour le porter de 3,5% à 3%. La banque commerciale pourra donc prêter à la seconde entreprise les 50 millions de DA, au taux de marché, sachant qu’une partie de cet argent est un prêt de la BA au taux directeur.
Néanmoins il y a des conditions pour qu’un prêt bancaire soit éligible au refinancement de la BA. Une des conditions est que le prêt n’est pas dans une phase de grâce de remboursement. Malheureusement, comme expliqué ci-dessus, une très grande majorité des prêts bancaires aux entreprises publiques sont dans cette phase de grâce. En avril 2017, Raouf Boucekkine et moi avions expliqué comment restructurer ces prêts pour enlever cette période de grâce afin de rendre ces prêts éligibles au réescompte.
Lors de son récent passage à la Radio Nationale, le Directeur du Trésor a dit qu’ils y avaient des discussions pour le refinancement des prêts syndiqués. Ceci concerne probablement une partie des prêts à des entités publiques comme l’AADL, prêts qui ont été syndiqués auprès de plusieurs banques. Ces prêts ont des périodes de grâce et ne son pas éligibles au refinancement de la BA, à moins de changer la réglementation ou de les restructurer comme nous l’avons suggéré.
B-5) Financement du Trésor par la BA : prêts directs ou indirects ?
L’épisode de la planche à billets de l’automne 2017 est bien connu ; voir en particulier nos documents d’Avril 2017, Novembre 2017 et Avril 2019. Entre Novembre 2017 et Janvier 2019, la BA sous la Gouvernance de Loukal a imprimé 6556 mds DA (32% du PIB de 2018), inondant le marché bancaire de liquidités et neutralisant les outils de politiques monétaires mis en place par son prédécesseur, en particulier l’Open Market. Le comble a été poussé jusqu’à obliger la BA à reprendre le programme de reprises de liquidités pour retirer d’une main les liquidités injectées par l’autre main (à travers la planche à billets), et comme le ridicule ne tue pas, un taux de 3,5% a été appliqué pour les reprises de liquidités (contre 0,75% du temps du Gouverneur Laksaci) et 0,5% pour les prêts au Trésor.
L’argent a été utilisé pour financer le déficit budgétaire depuis Novembre 2017, pour rembourser Sonatrach qui importe du carburant au prix international et le revends à perte au prix subventionné, pour rembourser des prêts de la BNA à Sonelgaz, pour financer le déficit de la CNR de 2018 à 2020 (1.800 mds DA), et pour alimenter le FNI pour financer des projets AADL et autres projets structurants. Le montant imprimé était tellement énorme et hors des besoins du pays que le reliquat était de 1774 mds DA en décembre 2019, dont deux tiers dans le compte du FNI. Le déficit actuel du budget comme celui de la caisse de retraite sont actuellement financés par ce reliquat.
Bien avant la crise sanitaire, nous avions prédit que l’utilisation de la planche à billets était inévitable en 2020 pour le pays, cette crise ayant juste rapproché le moment de reprise de ce mode de financement. Il faut aussi observer que partout dans le Monde les plans de réactions à Covid-19 et les plans de relances économiques sont financés par des prêts des Banque Centrales. D’ailleurs, le club des soutiens à la planche à billets s’est soudainement élargi au niveau national, avec parfois quelques escroqueries intellectuelles. Même les opposants n’osent plus s’exprimer sur la question. Il est vrai qu’il n’y a pas eu d’inflation malgré l’énorme montant d’argent créé.
En avril dernier, la BA a modifié ses textes de refinancement des valeurs du Trésor, en diminuant les décotes mentionnées ci-dessus. Ainsi, les décotes passent de 10% à 5% pour les valeurs dont l’échéance (résiduelle) est inférieure à un an, de 20% à 10% pour celles dont l’échéance est inférieure à cinq ans, et de 30% à 15% pour celles dont l’échéance est supérieure à cinq ans.
En pratique, ceci veut dire qu’une banque commerciale peut acheter des bons du Trésor et se faire refinancer auprès de la BA. Par exemple, elle peut acheter 100 mds DA de Bons du Trésor au prix du marché, et se faire refinancer 95 mds DA si l’échéance du Bon est inférieure à un an, 90 mds DA si l’échéance est inférieure à 5 ans, et 85 mds DA pour une échéance supérieure à cinq ans. Ce refinancement se fait au taux directeur de la BA.
Autrement dit, la BA vient de faciliter le financement du Trésor à travers les banques commerciales. C’est donc de la planche à billets via les banques commerciales, alors que l’épisode de 2017 fut un financement direct de la BA au Trésor. A priori, avec 100 mds DA de liquidités, une banque commerciale peut acheter jusqu’à 666 mds DA (100/décote) de Bons du Trésor dont l’échéance dépasse cinq années et se faire refinancer 566 mds par la BA. Néanmoins, ceci n’est possible que si la banque respecte les règles prudentielles de la BA.
Ainsi, pour la BA, financer le Trésor en passant par les banques commerciales est un moyen de limiter les montants prêtés et aussi de s’assurer que les taux pratiqués sont ceux du marché. Qui peut reprocher une telle prudence à la BA après la politique menée par le Gouverneur Loukal ? Rappelons que la Banque d’Angleterre a décidé il y a quelques mois qu’elle prêterait directement de l’argent au Trésor anglais, c’est-à-dire sans passer par les marchés financiers, bien que ces derniers soient très développés, ce qui n’est pas le cas chez nous.
Maintenant, il faut regarder les choses en face. Que la BA prête de l’argent au Trésor directement ou indirectement est secondaire. Le problème n’est pas d’ordre économique mais politique. Le Président n’aura aucun mal à nommer un Gouverneur qui rééditera la politique menée entre octobre 2017 et janvier 2019. Ce qui importe est de savoir quelle politique économique le Président compte mener, à commencer par la consolidation des déficits interne et externe, et les réformes économiques qu’il veut lancer, en particulier celles qui seront impopulaires (subventions, retraites). Veut-il comme son prédécesseur continuer le statuquo et livrer le pays au FMI ou veut-il mener le redressement économique du pays ?
Un mode opérationnel adéquat serait de définir la trajectoire des déficits du Trésor au cours du mandat du Président et de fixer les montants maximaux de création monétaire par la BA pour chaque mois à venir sur cette période. Tout le reste est de secondaire.
Il est essentiel que ça soit le Président qui prenne les engagements et non pas le Premier Ministre car ce dernier peut avoir sa fin de mission à tout moment.
Terminons sur le risque d’inflation que l’on ne peut éviter quand on parle de création monétaire. Nous avions dit à plusieurs reprises en 2016 et 2017 qu’il n’y en aurait pas, et il n’y en a pas eu. Une nouvelle création monétaire ne devrait pas l’engendrer, étant donné le déficit externe et la récession créée par la pandémie. Cela dit, l’inflation a repris de plus belle sous les effets de l’augmentation du prix de carburant et celle du salaire minimum, sans oublier la récente baisse du dinar. Il y aura de l’inflation au cours des années à venir car le dinar et les subventions énergétiques vont baisser, mais la création monétaire d’un montant raisonnable et gérée de manière appropriée et de concert par la BA et le Trésor, ne va pas produire de l’inflation.
Nour Meddahi
Professeur des universités
Nour Meddahi : “un système bancaire au bord de l’asphyxie” (partie I)