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Nour Meddahi : « Un système bancaire au bord de l’asphyxie » (Partie III)

Par Maghreb Émergent
août 7, 2020
Nour Meddahi : « Un système bancaire au bord de l’asphyxie » (Partie III)

Dans la dernière partie de la contribution signée par le professeur Nour Meddahi et consacrée au système bancaire algérien, l’expert s’attarde sur les actions que doit prendre le Gouvernement pour soulager tenter de lui redonner un second souffle.

C-1) Réduire le déficit de la balance de paiements 

Il est difficile d’augmenter à court terme les exportations du pays. Malheureusement l’effondrement du prix du pétrole et la réduction des volumes d’hydrocarbures exportés depuis janvier vont évidemment réduire les exportations en valeur et creuser le déficit de la balance de paiements. C’est donc sur les importations qu’il faut agir. Il faut d’abord augmenter les prix des importations en dévaluant le dinar comme discuté ci-dessus et augmenter les droits de douane.

Plusieurs actions de sauvegarde ont été récemment été prises avec l’augmentation des droits de douanes. Il faut continuer dans cette action. Les services aussi, gros consommateurs de devises, sont aussi sous la loupe. D’autres actions doivent être prises, en particulier dans les travaux publics. Il faut arrêter de confier à des compagnies étrangères la construction de logements et d’infrastructures que des entreprises algériennes peuvent faire. Ces dernières pourront confier certains travaux qu’elles ne maitrisent pas à des compagnies étrangères. Les délais de livraison seront surement plus longs ; tant pis. La priorité devrait être de confier le travail à des algériens et aussi de garder les dinars (et les devises) au pays qui vont êtres réinjectés une seconde fois dans l’économie du pays. Ceci aidera évidemment à la diversification de l’économie du pays.

C-2) Refinancement des prêts bancaires et moratoire pour les entreprises publiques

Comme indiqué ci-dessus, il parait nécessaire de restructurer les prêts bancaires de certaines entreprises publiques pour les rendre éligibles au refinancement de la BA.

Par ailleurs, les entreprises publiques ont siphonné les liquidités bancaires puisqu’elles détiennent la moitié des prêts bancaires. Il est temps de mettre un coup d’arrêt et de les obliger à se financer sur le marché obligataire, comme c’est la norme ailleurs. C’est à elles de proposer des obligations attractives sur les plan financier et religieux pour se financer ; voir ci-dessous pour des exemples d’obligations attractives. Ceci aidera aussi au développement du marché financier du pays et va tirer la croissance vers le haut. Ces entreprises doivent aussi revoir leur plan d’investissements pour les mettre en adéquation avec les besoins et moyens financiers du pays.

Le cas de Sonelgaz est vraiment particulier. Depuis une dizaine d’années elle investit massivement pour satisfaire la pointe de l’été, pointe qui ne dure qu’un mois. Les capacités de production sont très largement au-dessus des besoins sur le reste de l’année. Il faut plutôt modifier la politique tarifaire de Sonelgaz en introduisant pour l’été une heure de pointe en milieu de journée comme c’est fait ailleurs. Il faut absolument interdire à Sonelgaz d’augmenter ses capacités de production dans le conventionnel. Le nouveau Ministre de l’Energie a tracé une excellente feuille de route pour cette entreprise : raccorder les zones industrielles et les zones agricoles à l’électricité et le gaz et investir dans le renouvelable.

De manière plus générale l’intervention à la Radio Nationale du nouveau Ministre de l’Energie est à saluer par sa qualité, sa rationalité et sa clarté. Il faut espérer qu’il va durer et que l’on va le laisser travailler. Les attaques ont déjà commencé avec cette affaire de prime d’intéressement des employés de Sonelgaz. Un classique. L’étape d’après sera des grèves dans son secteur et enfin la dernière étape sera sous forme d’attaques personnelles. Il serait naïf de penser que les prédateurs et vautours qui mettaient la main sur les 300 mds DA d’investissement annuel de Sonelgaz vont laisser le nouveau Ministre faire son travail.

C-3) Mettre les mauvais crédits dans une entité à part : Sauvetage des banques publiques

Nous avons indiqué ci-dessus qu’il est probable que les banques ne vont pas récupérer près de 2.500 mds DA de prêts consentis aux oligarques et à l’ANSEJ. Ces mauvais crédits vont plomber pour longtemps les bilans et les paramètres prudentiels des banques publiques, ce qui est mauvais pour le financement de l’économie. La méthode classique pour éviter ce problème est de loger tous ces mauvais crédits dans un organisme à créer qui s’occupera de gérer ces crédits et de récupérer le maximum d’argent. C’est un travail de longue haleine, qui ne fait pas forcément partie des compétences classiques d’une banque. C’est l’approche suivie par l’Etat français en 1994 et 1995 pour gérer les turpitudes du Crédit Lyonnais. Il faudra aussi trouver une solution pour les crédits contractés Sonelgaz.

Il ne faut pas se voiler la face. Nous parlons ici de plans de sauvetages des banques publiques. Il faudra en faire.

C-4) Démonétiser l’économie : Favoriser les moyens de paiements scripturaux et le M-paiement

Il faut absolument réduire le montant d’argent qui circule hors des banques. Il faut commencer par interdire toutes les transactions en liquide qui dépassent le montant de 500.000 DA.

Par ailleurs, il faut inciter les personnes physiques à utiliser les cartes bancaires et les chèques pour payer leurs transactions. Pour cela, il faut évidemment réduire les coûts de ces moyens. Il faut aussi, pour lancer la pompe, mettre des incitations fiscales. Nous pensons à un remboursement d’une partie de la TVA (pour les personnes physiques), par exemple 5% dans un premier temps, pourcentage qui devrait baisser dans le temps.

Il faut enfin créer et favoriser le M-paiement. Une très grande majorité d’algériens possèdent des téléphones dits intelligents (« smartphone »). L’utilisation de simples applications permettrait d’utiliser ces téléphones pour payer des transactions (et profiter de la remise d’une partie de la TVA) et aussi de donner de l’argent à une autre personne. Le M-paiement est probablement l’outil numéro un pour démonétiser de manière substantielle l’économie d’un pays comme l’Algérie.

Notons qu’il vaut mieux éviter l’aventurisme : Lancer une opération de retrait des billets comme le recommandent certains serait un acte de folie étant donné les problèmes politiques et économiques du pays. Il y a beaucoup d’outils à mettre en place pour réduire le montant de l’argent hors banque et la taille de l’économie informelle. Nous avons donné une liste de mesures à prendre pour le premier problème. Il en existe d’autres pour réduire la taille de l’économie informelle, mais qui sont hors sujet pour le présent document.

C-5) Fusionner Poste Algérie et Mobilis pour en faire une Banque Postale

Algérie Poste a autant d’agences que toutes les autres banques réunies. Elle est présente sur tout le territoire national et a 22 millions de clients avec cartes actives. Elle est la mieux placée pour être la locomotive de la démonétisation des particuliers. Il faut en faire une vraie banque, qui, de surcroît, soit spécialisée dans le M-paiement. Il faut la fusionner avec un opérateur mobile, Mobilis parait le plus approprié. Il faut aussi lui apporter un savoir-faire bancaire. Une des possibilités serait de la fusionner avec une banque publique ; l’autre solution est qu’une grande banque publique crée une filiale qu’elle fusionne avec Poste Algérie ; la BEA semble la plus indiquée.

C-6) Emission d’obligations attractives

Le Gouvernement doit lancer des opérations d’emprunts obligataires. Il ne faut surtout pas rééditer l’épisode précédent de financement intégral du déficit budgétaire par la planche à billets. Il parait aussi nécessaire d’émettre de nouvelles formes d’obligations qui soient attractives. Deux formes paraissent intéressantes.

La première consiste en des obligations qui garantissent l’inflation (« Treasury Inflation Protected Securities » ou TIPS). Les obligations souveraines protégées de l’inflation ont connu un essor phénoménal dans les pays anglo-saxons et les pays émergents. Il nous parait très pertinent de le faire en Algérie. Un premier montant de 100 mds DA pourrait être émis pour connaitre le goût des algériens pour ce produit. Il devrait être populaire car la baisse du dinar et la baisse des subventions vont créer de l’inflation.

La seconde serait une obligation indexée sur une devise ou à un panier de devises. Voici un exemple : vous achetez le 4 août 2020 un bon de 100.000 DA de maturité un an. Sa valeur est 778,2 dollars américain car un dollar vaut 128,5 DA. Dans un an, vous récupérez 778,2 fois la valeur en dinars d’un dollar du 3 août 2021. Par exemple, si le 3 août 2021 un dollar vaut 135 DA (hausse du dollar), vous récupérez 105.057 DA ; s’il vaut 125 DA (baisse du dollar), vous récupérez 97.275 DA. Des produits plus sophistiqués peuvent êtres émis, par exemple en prenant la valeur moyenne d’un dollar sur un an et non pas la valeur terminale.

Plusieurs remarques sont nécessaires. Une obligation contient deux risques, le risque de défaut de remboursement et le risque d’inflation. Pour une obligation souveraine, le risque de défaut est très faible mais pas nul. Par exemple l’Allemagne emprunte moins cher les mêmes obligations en Euro que la France car le marché estime que son risque de défaut est plus faible que celui de la France. Notre pays n’a jamais eu de défaut de paiement. Dans une obligation classique, les risque d’inflation est partagé entre l’émetteur et l’acheteur, alors que pour une obligation de type TIPS, le risque d’inflation est porté par l’émetteur.

Le second produit assure aussi une partie l’inflation car normalement les fluctuations du dinar tiennent compte de la différence entre les inflations de l’Algérie et de ses partenaires commerciaux.

Il est bien connu que certains citoyens préfèrent transformer leur épargne en devises, ce qui n’est pas bon pour l’économie du pays. Le second produit offre exactement les mêmes avantages que la transformation en devises de dinars et il est bénéfique pour le pays car il finance son économie.

Il nous a été porté que des prêts entre individus indexés sur une devise sont fréquents dans la réalité, et que ces prêts sont vus comme étant Charia compatibles. Le prix de la devise est souvent celui du marché parallèle, mais ce qui est important est que des obligations suivant la seconde forme sont déjà une réalité dans l’économie informelle.

Enfin, pour toutes ces raisons, il faut limiter les premières opérations de ces deux produits aux personnes physiques car sinon les entreprises, en particulier les assureurs, vont rafler toutes les quantités émises.

C-7) Innovations financières par les banques publiques

Le secteur financier est dominé par les institutions publiques. Le Gouvernement doit mettre l’innovation financière et l’augmentation des ressources collectées comme objectifs prioritaires à ces institutions. Le lancement par deux banques publiques de produits financiers compatibles avec la Charia est à saluer, même s’il ne faut pas s’attendre à des miracles à court terme. C’est principalement les dépôts à vue qui vont aller vers ces produits. Plus généralement, collecter 1% du PIB (200 mds DA) pour ces produits à la première année serait un excellent résultat.

D’autres innovations financières sont nécessaires. L’une d’elles est la création de produits qui rendraient les obligations plus liquides. Dans tous les pays du monde, les obligations sont moins liquides que d’autres actifs financiers, ce qui les rend moins attractives auprès d’une clientèle à fort potentiel, en particulier les personnes physiques et les personnes morales qui peuvent avoir des chocs de liquidités. La solution standard est d’utiliser les OPCVM (Organisme de placement collectif en valeurs mobilières) et les SICAV (Société d’investissement à capital variable) obligataires, ce que permet la législation actuelle.

C-8) Privatisations de sociétés publiques

Quand l’argent manque, un moyen usuel d’en avoir est de vendre certains de ses actifs, autrement dit privatiser des sociétés publiques. Il faut passer par la Bourse, en privatisant 20% pour commencer. Les prix seront relativement bas car l’économie ne va pas très bien. L’Etat pourra vendre plus de parts une fois l’économie en meilleur état afin d’éviter ce qu l’on appelle le « fire-sale », c’est-à-dire la vente à prix cassé. Des entreprises de différents secteurs devraient être concernées, en particulier les banques et les assurances, les télécommunications, les transports, l’hôtellerie, et les industries.

Il y a deux types d’erreurs à éviter. Il faut couper le cordon entre le politique et les sociétés cotées en bourse où l’Etat reste l’actionnaire majoritaire. Le cas de Saidal est emblématique avec la valse des PDG. Ce qui compte est d’instaurer une gouvernance compétente et indépendante. Ce type de gouvernance devrait éviter d’avoir la situation de Saidal qui en 2016 avait le même capital qu’une autre société privée du même secteur (Biopharm) et qui avait généré 3,5 fois moins de revenus. N’importe quel patriote devrait être interpellé par un tel résultat.

L’autre erreur à éviter est de privatiser des sociétés et de les confier à des concurrents sur le même secteur, qui vont réduire les plans de développement des sociétés algériennes pour favoriser l’importation auprès de filiales à l’étranger du nouveau propriétaire, Arcelor Mittal étant le meilleur exemple.

C-9) Incitations fiscales pour stimuler les produits financiers

Les pouvoirs publics devraient stimuler la demande des particuliers en actifs financiers comme les actions et les obligations. Augmenter la taille du système financier algérien (bourse des actions et marché des capitaux) est un enjeu majeur pour le développement de l’économie du pays et sa diversification. Une bonne façon de stimuler cette demande est de créer des programmes de plan d’épargne-actions (PEA) et aussi des plans de retraites complémentaires pour les personnes physiques, en mettant en place des avantages fiscaux, tout en mettant des maximums à ces avantages. Les principes de base des PEA est que l’argent est investi pendant une certaine période, cinq à sept ans, qu’il est déduit de la base imposable, et que les gains financiers réalisés ne sont pas imposables.

C-10) Attirer des fonds étrangers

Attirer des investisseurs étrangers aura plusieurs avantages. D’abord l’argent qu’ils vont apporter dont le pays a besoin. Ensuite le savoir-faire technique et manageriel que leur employés et cadres algériens vont acquérir. Enfin ils vont apporter de la compétition qui va aider le pays à mieux allouer ses ressources.

Beaucoup d’entraves à l’investissement étranger viennent d’êtres levées, en particulier le 51/49, mais il reste beaucoup à faire. Un point essentiel à ne pas négliger est la surévaluation du dinar. Si un investisseur étranger anticipe la baisse du dinar, il va attendre qu’elle se fasse car il ne voudra pas surpayer en devises les acquisitions qu’il va faire.

Plus globalement, attirer des fonds étrangers (prêts bilatéraux, fonds d’aide, etc…) dans les projets du pays est une nécessité avec la baisse des revenus du pays.

Quant à l’endettement externe sur les marchés internationaux, le pays est de fait exclu du marché normal avec ses énormes déficits interne et externe. Les seuls prêts que l’on pourrait obtenir seraient des emprunts à des taux très élevés et à des maturités très courtes, ce qui étranglerait le pays dans quelques années. C’est ce qui avait été fait durant la période 1986-1988 (en plus de la hausse du dinar !). Nous connaissons tous la suite de l’histoire.

Nous pensons qu’il faut d’abord réduire les deux déficits et aussi ramener le dinar à sa vraie valeur avant d’emprunter sur les marchés des capitaux internationaux, ce qui parait inévitable à terme.

C-11) Arrêter l’opacité dans la communication des chiffres économiques

L’opacité économique est de retour. Nous ne connaissons par les chiffres officiels du commerce extérieur depuis mars. Ils doivent êtres désastreux avec l’effondrement du prix du pétrole et la baisse des volumes exportés. Lors de son passage à la Radio Nationale, le nouveau Ministre des Finances n’a pas répondu à la question sur le montant des réserves de change. Lors de sa dernière interview, le Président a affirmé que ces réserves étaient à 60 mds dollars, ce qui est une impossibilité comptable car c’était déjà le montant fin mars.

De la même manière, la Banque d’Algérie n’a pas publié les rapports annuels de 2018 et 2019. La dernière note de conjoncture concerne le second semestre de 2018. Une dépêche de l’APS du 9 juin mentionne un communiqué de la BA sur la situation économique durant le premier trimestre 2020 et les perspectives d’évolution, communiqué qui est introuvable.

Tous les pays du monde souffrent des conséquences économiques du Covid-19, ce n’est pas propre à notre pays. La situation économique du pays est mauvaise depuis plusieurs années. La crise politique des dix-huit derniers mois a amplifié les difficultés économiques. L’effondrement du prix du pétrole et la pandémie accentuent encore plus la crise économique. Il n’est pas nécessaire de rajouter de l’obscurité, source d’incertitudes, à une situation déjà compliquée et très incertaine. Les citoyens algériens suivent ce qui se passent dans le monde et beaucoup d’experts nationaux sont capables de quantifier de manière assez précise la réalité des chiffres même s’ils ne sont pas publiés. Cette opacité est de fait une aubaine pour les pyromanes qui agissent contre les intérêts du pays. Il faut féliciter l’ONS pour avoir publié les chiffres sur la croissance économique du premier semestre de l’année, chiffres qui étaient prévisibles pour tout expert qui suit de près les affaires économiques du pays.

Conclusion

L’accumulation de problèmes économiques non résolus depuis des années, le report systématique des réformes économiques, les énormes chocs externes que sont l’effondrement des prix des hydrocarbures et la pandémie de Covid-19, font que le pays vit une crise économique sans précédent. La crise politique et l’absence d’une assemblée d’élus du peuple compliquent davantage la situation et empêchent les débats sur la crise économique. Les défis qui attendent le pays nécessitent un large consensus politique à construire, consensus qui nécessite comme première action la libération de tous les prisonniers d’opinion.

D’ici là, l’injection de liquidités par la BA est l’unique solution pratique. Cette injection peut être par faite par la distribution d’un dividende exceptionnel de la BA au Trésor qui proviendrait de ses provisions, ou par la planche à billets (directe ou indirecte), ou les deux. Il n’y a pas d’autres options. Il faut aussi restaurer la confiance, en commençant par publier les chiffres économiques.

Nour Meddahi

Professeur des Universités

Nour Meddahi : “un système bancaire au bord de l’asphyxie” (partie I)

Nour Meddahi : “un système bancaire au bord de l’asphyxie” (partie II)

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