Le Maroc affichant ostensiblement sa volonté d’être le leader de l’ « Afrique Moderne », Casablanca, première ville du Pays, a l’ambition d’en être la Capitale.
Elle en a assurément le potentiel et l’énergie. Casablanca, toujours en mouvement, est depuis quelques mois en pleine métamorphose au risque de perdre une partie de son identité et devenir une ville mondialisée. Qu’est ce qui a accéléré le mouvement et comment la ville –et le pays- compte-t-elle réaliser son ambition ?
Comme c’est souvent le cas au Maroc, le Roi Mohamed VI décide des priorités, il impulse le changement, montre la direction. Ensuite, l’appareil politico-businesso-médiatique se met en branle pour exécuter. Pour Casablanca, c’était en 2013. Le roi avait fait un tour dans la ville, seul et sans gardes (ce n’est pas la première fois.). S’en était suivi un discours à la chambre des représentants. Un véritable réquisitoire contre la mauvaise gestion de la ville par ses élus, leur ordonnant de changer tout ça.
Pourtant, le Roi avait vu ce que tout le monde voit tous les jours. Casablanca est une métropole africaine, qui concentre tous les antagonismes. La misère y côtoie la réussite capitaliste: les routes défoncées, les rues sales, les villas luxueuses, les Tobiss (Autobus pour le commun des Casablancais) déglingués qui roulent à tombeau ouvert, les taxis rouges côtoient les Maserati, les enfants de rues et les milliardaires en manteau de vison et les échoppes de grillades de sardines à 5dh en face de restaurants « étoilés ».
C’est dans cet univers insupportable pour certains, stimulant pour d’autres, que s’est formé un mélange politique aussi éclectique que la ville, qui se propose de réaliser l’ambition de Casa et du Roi. C’est le produit des dernières élections locales : Un maire PJD, un conseil de la ville à majorité islamiste et allié au RNI -à l’image du gouvernement précédent- et un conseil régional contrôlé par le PAM, ennemi politique des islamistes.
L’attelage
Trois personnalités mènent l’attelage et symbolisent la vie politique marocaine contemporaine : Abdelaziz Omari, Mustapha Bakkoury et Moncef Belkhayat.
Commençons par Omari, Maire de Casablanca. A 49 ans, il est le parfait PJDiste qui a gravi les échelons. Né dans une ville de province, études d’ingénieur au Maroc, fonctionnaire et cadre du Parti de La Lampe. Son profil tranche avec la bourgeoisie casablancaise, réservé et conservateur, il représente l’image d’intégrité qui a permis à son parti de séduire les classes populaires et rafler la majorité dans les grandes villes en 2015.
Avec la régionalisation avancée, l’édile islamiste devra composer avec le Conseil régional de Casablanca-Settat (région la plus riche du pays, 32% du PIB) et son président, Mustapha Bakkoury qui a le profil opposé. A 53 ans, ce proche du Roi, formé a l’Ecole des ponts et Chaussées de Paris, passé par BNP Paribas et la CDG, préside MASEN depuis 2009, l’Agence Marocaine de l’énergie solaire, réalisatrice des projets NOOR de Ouarzazate, vitrine du Maroc moderne et leader des énergies renouvelables.
Le troisième Personnage, Moncef Belkhayat, candidat malheureux à la Mairie, mais finalement Vice-président du Conseil régional. Après une carrière en multinationale, cet ancien ministre, serial-entrepreneur, qui affiche sa fortune et sa «réussite » au grand jour, incarne lui, une facette du Maroc, bling-bling, occidentalisée et néanmoins nationaliste.
La mise à niveau
La mise a niveau de la ville voulue par le roi en 2013, a été accélérée depuis quelques mois, avec ses nouveaux élus. Les artères de la ville sont refaites, les résidences de luxe et les sièges de multinationales fleurissent quand les bidons villes et quartiers populaires rétrécissent. De grands projets comme le Gand Théâtre, CasaFinance city, une troisième ligne pour le Tramway, cités HLM, la réhabilitation de la médina etc. sont annoncés tous les jours, à croire que la ville ne connait pas la crise.
En octobre dernier, c’est le lancement de WeCasablanca, marque territoriale de la ville, qui a défrayé la chronique. Les satisfaits y ont vu une approche holistique, moderne qui veut (re)donner une identité à la ville, y attirer les hommes et les capitaux et la faire briller dans le continent. Les sceptiques y voient eux, un logo raté, un potentiel scandale de népotisme, une approche non inclusive et déconnectée de la réalité. La mairie s’est défendue de toute irrégularité et clarifie son approche en multipliant les opérations de communication. Belkhayat contre attaque et justifie l’approche. Les initiateurs ont travaillé avec E&Y et une agence Française, avec un budget de 3,6 millions de Dh (36Millions deDA). Et Alors ? C’est un manager qui a été élu pour agir avec l’administration comme on agit avec une société. Ça doit aller plus vite et être plus efficace. Vendre une image et casser.
Le risque étant de laisser sur le coté la majorité silencieuse, celle qui ne rentre pas dans le moule de la modernité. L’environnement du Bidaoui manque cruellement d’hygiène. Les structures publiques sont délaissées et la pauvreté est toujours la. Un city branding n’y change rien. Un changement brutal peut aussi faire disparaitre une partie de la ville, multiple, historique, avec son identité, au profit d’une ambition de Dubaï africaine, riche mais sans âme.