Si la décision de l’OPEP de garder le niveau de production actuel n’a pas été une surprise, les lectures de ce maintien divergent. Francis Perrin et Nazim Zouiouèche nous donnent leurs avis, en prévision de la réunion à « quatre » prévue en février prochain.
La réunion de l’OPEP n’avait encore débuté hier à Vienne, quand le prix du baril de Brent avait perdu 2,25% de sa valeur à la bourse de Londres. Et sans surprise, le prix a poursuivi sa baisse durant la réunion de l’OPEP pour atteindre les 73,11 dollars à Londres, et 69.22 dollars à New York.
Cette chute ne semblait pas inquiéter le secrétaire générale de l’OPEP, Abdellah Al Badri, qui affirmait le maintien de la production du cartel à 30 millions de barils par jour (mbj), ainsi que la non fixation d’un plancher de prix du baril lors de cette réunion. « Le prix du baril est raisonnable. Pourquoi vous vous inquiétez de la chute du prix du pétrole ? Vous ne voulez pas payer moins cher l’essence de votre voiture ? », lance-t-il à un journaliste. Cette inertie de l’organisation devant cette chute des prix, jamais observée depuis 4 ans, « traduit que l’OPEP n’est pas décidée à défendre la stabilité des prix, et qu’elle se livre aux fluctuations du marché », a déclaré Francis Perrin, Directeur de la revue française Pétrole et Gaz Arabe, à Maghreb Emergent.
Al Badri est donc très à l’aise avec ces prix, « fixés par l’Arabie Saoudite », explique de son côté Nazim Zouiouèche, interrogé par Maghreb Emergent. L’ancien PDG de Sonatrach estime que le Royaume saoudien a pesé de tout son poids pour préserver « ses parts de marché ». Un avis partagé par le directeur de la revue française Pétrole et Gaz arabe : « L’Arabie Saoudite devait soit maintenir ses parts de marché, ou défendre la stabilité des prix, mais pas les deux. Et à travers les pressions sur l’OPEP pour maintenir les prix inférieurs à 80 dollars le baril, l’Arabie Saoudite voudrait envoyer un signal aux pays non membres que l’OPEP ne sera pas seule à se battre pour préserver les prix, et qu’ils doivent eux aussi prendre leurs responsabilités et faire des efforts dans ce sens », explique-t-il. Pour lui, « le Royaume saoudien et ses voisins du Golfe estiment que, compte tenu de la faible dynamique économique et l’abondance de l’offre, le prix « doit être inférieur à 100 dollars le baril ».
Un message « pour personne »
Le secrétaire générale de l’OPEP Abdellah Al Badri avait expliqué, lors de la conférence de presse de jeudi, que la décision de rester au même niveau de la production est juste une « tentative de maintenir des prix équitables, car nous avons assisté à des prix plus bas que ce niveau », a-t-il déclaré. Pour le SG du cartel, « cette décision n’est un signal à l’encontre de personne ».
Certains, dans les couloirs du siège de l’OPEP, estiment que le soutien de cette baisse des prix pousserait les Etats Unis à réduire leur production en gaz et pétrole de schiste, compte tenu des coûts énormes de cette industrie financée par l’argent des hydrocarbures conventionnels. Aux antipodes de cette thèse, M. Zouiouèche rappelle que « les coûts de pompage et de fracturation aux Etats Unis proviennent de ressources locales, et ne seront nullement touchés par cette baisse des prix, surtout au vu de l’autosuffisance en énergie que leur procure une production de 9 à 10 mbj ». Pour l’ancien PDG de Sonatrach « les principaux concernés par cette politique sont la Russie et l’Iran ». « Nous ne sommes que des victimes collatérales », estime-t-il.
Le Ministre algérien de l’énergie Youcef Yousfi avait fait part, lors de la réunion de l’OPEP, de la disponibilité de l’Algérie à s’engager dans la réduction de la production de 250.000 b/j proposée par le Venezuela et l’Iran. Dans cette même réunion, le ministre irakien de l’énergie, Abdel Adel Mehdi, a exclu toute possibilité de réduction de la production. « L’Irak compte atteindre le seuil de 3,8 mbj d’ici le début 2015 », a-t-il déclaré à Vienne. « Une décision irakienne compréhensible », selon Francis Perrin qui rappelle l’histoire tragique de ce pays ces 20 dernières années. « Ce pays a perdu beaucoup d’argent, et il semble normal pour ce pays de vouloir continuer à produire à pleine capacité pour raviver son économie », explique-t-il.
Une baisse de la production n’est pas l’unique solution
Même si une décision de réduction de la production avait était prise lors de la réunion de l’OPEP, « elle aurait aggravé les choses », explique encore Nazim Zouiouèche. Selon notre interlocuteur, « la catastrophe proviendrait d’une absence d’accord sur la répartition des quotas de réduction. Et puis, même si on arrivait à s’accorder sur ces réductions, il faudrait après qu’elles soient respectées. Ça aurait été dramatique ». estime-t-il.
De son coté, le patron de la compagnie nationale pétrolière russe, Rosneft, a prévu que le prix du baril pourrait descendre jusqu’à 60 dollars le baril dans les prochaines semaines si rien n’est fait. Nazim Zouiouèche le rejoint dans cette analyse, en estimant que le prix pourrait reculer de 5 à 10% d’ici le mois de février, quand se tiendra la réunion des « Quatre » : Arabie Saoudite, Venezuela, Mexique et Russie, décidée mercredi dernier à Vienne. La tendance actuelle du marché augure une poursuite des chutes des prix, qui « nécessiterait la tenue d’une réunion extraordinaire de l’OPEP les mois prochains », estiment les experts interrogés.
« Si le Venezuela n’a pas été écouté lors de cette réunion, sa voix sera certainement entendue si le prix du baril venait à descendre au-dessous de la barre des 70 dollars », considère M. Perrin. Le ministre vénézuélien des affaires étrangères a rappelé hier à la presse vénézuélienne, que le rétablissement du prix du pétrole est un processus long qui s’étale sur plusieurs mois, voire une année. « La détermination du prix du baril est soumise à plusieurs paramètres, dont le principal est la spéculation. Et ce ne sont pas nous, les pays producteurs qui spéculons dans les bourses de Londres et de New York », souligne-t-il à la chaine Telesur. « Les prix du baril s’influencent par la fluctuation de l’argent indexé sur les compagnies pétrolières dans les bourses de New York et Londres », estime aussi le directeur général de la Caisse nationale russe de l’énergie, Constantine Simonov, sur Russia Today. La Russie et le Venezuela ont formulé, lundi dernier à Vienne, une demande pour revoir le caractère « spéculatif » de la détermination du prix du baril. Une demande jugée peu réaliste par nombreux spécialistes.
Surveiller les prix du gaz
Pour l’heure le prochain rendez-vous pétrolier est celui de février prochain, qui sera tenu par les deux pays de l’OPEP Venezuela et Arabie Saoudite, et les deux pays non-Opep, la Russie et le Mexique. M. Perrin, qui considère cette rencontre comme une instauration d’un nouveau format de dialogue entre pays Opep et non-Opep, émet des doutes quant à la possibilité de la Russie d’aller vers une réduction significative de sa production. « Je suis très pessimiste quant à cette réunion de février, car la Russie en dépit des engagements symboliques et des disponibilités affichées ne pourrait faire plus d’efforts étant dans une position très inconfortable », dit-il.
Dans l’attente des solutions qu’apporterait la diplomatie ou que dicterait le marché, pour stabiliser les prix du brut, on surveillera attentivement celui du gaz, « car leurs prix sont liés », tient à rappeler Nazim Zouiouèche.