Il existe un théorème universel en sciences politiques : 80% d’actions mal ciblées ont un impact sur seulement 20% de l’activité économique et sociale avec un gaspillage des ressources financières. Tandis que 20% d’actions bien ciblées ont un impact de 80%.
Outre les réformes institutionnelles dans le cadre d’une vision claire et datée des réformes structurelles, renvoyant à la refonte de l’Etat pour de nouvelles missions adaptées des relations dialectiques Etat-Marché, pour l’Algérie, enjeu énorme de pouvoir, les grand défis pour le Président de la République Abdelmadjid TEBBOUNE sont la réforme de Sonatrach lieu de la production de la rente et le système financier dans son ensemble (douane, fiscalité, domaine, banques) lieu de distribution de la rente, afin de l’autonomiser afin qu’il ne soit plus dans le sillage des sphères de clientèles.
1- L’Algérie a une économie de nature publique avec une gestion administrée centralisée, du fait que les réformes structurelles de fond tardent à se concrétiser sur le terrain, la presque totalité des activités quelques soient leur nature, y compris, la sphère informelle indirectement, se nourrissent de flux budgétaires c’est à dire que l’essence même du financement est lié à la capacité réelle ou supposée du trésor.
On peut considérer que les conduits d’irrigation, les banques commerciales et d’investissement en Algérie opèrent non plus à partir d’une épargne puisée du marché, éventuellement un reliquat du travail mais par les avances récurrentes (tirage : réescompte) auprès de la banque d’Algérie pour les entreprise publiques qui sont ensuite refinancées par le trésor public sous la forme d’assainissement : rachat des engagements financiers des EPE auprès de la banque d’Algérie, plusieurs dizaines de milliards de dollars entre 1971/2020 : alors que plus de 70% de ces entreprises sont revenues à la case de départ montrant que ce n’est pas une question de capital argent. C’est que la richesse ne peut apparaître que dans le cadre de la transformation du stock de monnaie en stock de capital, et là est toute la problématique du développement. Puisque pour l’Algérie, cette transformation n’est plus dans le champ de l’entreprise mais ce déplace dans le champ institutionnel (répartition de la rente des hydrocarbures), dans cette relation, le système financier algérien est passif. Comme conséquence , le système financier algérien est actuellement dans l’incapacité de s’autonomiser, la sphère financière étant totalement articulée à la sphère publique.
Le marché bancaire algérien est totalement dominé par les banques publiques, les banques privées malgré leur nombre, étant marginales en volume de transaction (moins de 15%) , avec au niveau public, la dominance de la BEA, communément appelé la banque de la Sonatrach. Quant à la bourse d’Alger, création administrative en 1996, elle est en léthargie, les plus grandes sociétés algériennes comme Sonatrach et Sonelgaz et plusieurs grands groupes privés n’étant pas cotées en bourse. L’important pour une bourse fiable est le nombre d’acteurs fiables au niveau de ce marché pour l’instant limité.
Imaginez-vous un très beau stade de football pouvant accueillir plus de 200.000 spectateurs sans une équipe pour disputer la partie. L’obstacle principal est un environnement des affaires bureaucratisé expliquant le peu d’entreprises productives et donc cette léthargie. Paradoxe, si par le passé, les disponibilités financières dans les banques algériennes étaient importantes, les banques publiques croulant sous les liquidités oisives, ce n’est plus le cas, expliquant, le manque de liquidités récentes que l’on a suppléé en 2019 par la planche à billets Mais cela n’explique pas tout , la raison fondamentale étant le manque de dynamisme du système financier bureaucratisé (guichets administratifs) déconnecté des réseaux internationaux, démontrant une économie sous perfusion de la rente des hydrocarbures, les banques prenant peu de risques dans l’accompagnement des investisseurs potentiels.
La persistance des déficits publics à travers l’assainissement de leurs dettes et l’appui à l’investissement), le manque de rigueur dans la gestion dont les lois de finances prévoient toujours des montants pour les réévaluations des couts des projets publics en cours de réalisation, a produit un système d’éviction sur l’investissement productif, y compris certains services qui créé de la valeur, où en ce XXIème siècle devant dépasser la mentalité matérielle du passé. L’aisance financière artificielle grâce aux hydrocarbures par le passé a permis d’éponger une fraction importante de la dette extérieure. Avec les tensions budgétaires inévitables entre 2020/2023, une baisse drastique des réserves de change qui sont passées de 194 milliards de dollars au 01 janvier 2014 et qui termineront à moins de 40 milliards de dollars fin 2020.
2- Sans une véritable réforme du système financier, synchronisé avec de profondes réformes institutionnelles, autour d »un véritable décentralisation autour de grands pôles régionaux, il est utopique d’aller vers un développement hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales : exemple la léthargie de la direction générale des domaines, lieu d’enjeux importants ,qui a permis à une certaine oligarchie rentière la dilapidation du foncier, pus de 50% des habitations n’ayant pas de titres de propriété : allez demander un livet foncier avec des marchandages que vivent dramatiquement des millions de citoyens confrontés à une bureaucratie néfaste ; imaginez vous seulement que 5 millions d’unités payent seulement 10.000 dinars par an d’impôt du foncier afin d’atténuer le déficit budgétaire.
Nous avons le même constat au niveau des banques publiques qui ont octroyé à cette même oligarchie des montants faramineux se chiffrant en centaines e milliards de dinars sans une véritable garantie. Au niveau de la douane , il ya impossibilité d’voir une traçabilité réelle du cout et de la qualité des produits importés faute d’un tableau de la valeur relié aux réseaux internationaux que j ‘avais suggéré déjà en 1982, lorsque j’étais haut magistrat, directeur général des études économique à la cour des comptes, n’ayant jamais vu le jour car s’attaquant à de puissants intérêts .
Je ne parlerai pas du système fiscal, or l’évasion fiscale prend es proportions inquiétantes, à réformer totalement, en liaison avec d’autres départements ministériels, et l’urgence de sa numérisation . Par contre , les petites et moyennes entreprises (PME) jouant un rôle vital dans le développement économique, par l’accroissement de la concurrence, la promotion de l’innovation et la création d’emplois, sont souvent confrontées à plusieurs défis en matière de croissance, le plus grand obstacle demeurant leurs capacités limitées à avoir accès aux services financiers. Il y a lieu de mettre en place d’autres modes de financement pour dynamiser le tissu productif et de lever la rigidité de la gestion, les banques privilégiant l’importation au détriment des producteurs de richesses. Ce qui suppose d’autres modes de financement, sans bien entendu renier les instruments classiques, afin de dynamiser les projets facteurs de croissance dont le retour du capital est lent.
Le crédit bail qui est en fait une sous traitance dans l’achat de biens et la gestion de prêts, peut être considéré comme un substitut de l’endettement tant des entreprises que des particuliers écartées des formes traditionnelles d’emprunt en raison de leur risque. Les financements bancaires à long terme habituels sont généralement inaccessibles pour les PME, faute de garanties, ce qui rend les actifs mobiliers peu sûrs pour l’accès au crédit. Cette situation, ajoutée au niveau élevé des coûts de transaction liés à l’obligation de vigilance, amène les banques commerciales à continuer de privilégier les prêts aux entreprises bien établies. Dès lors, le crédit bail pourrait être un complément comme moyen de financement pour certains biens d’équipements en particulier pour les entreprises plus petites qui n’ont pas une tradition de crédit ou qui ne disposent pas des garanties requises.
3- Mais le plus grand obstacle au développement c’est la bureaucratie centrale et locale néfaste qui enfante la corruption. La majorité des rapports internationaux, donnent des résultats mitigés, sur le climat des affaires en Algérie où le pouvoir bureaucratique décourage les véritables investisseurs, le cadre macro-économique étant stabilisé artificiellement par la rente des hydrocarbures( note interview le Mondefr /AFP 10/08/2020).
Comme le montrent certaines enquêtes de l’ONS, l’économie algérienne est une économie rentière exportant 98% d’hydrocarbures à l’état brut ou semi brut avec les dérivées et important 75/85% des besoins des entreprises, dont le taux d’intégration, privé et public ne dépasse pas 25/15% . Environ 83% du tissu économique étant représenté par le commerce et les services de très faibles dimensions, le taux de croissance officiel hors hydrocarbures étant artificiel, 80% du PIB via la dépense publique l’étant grâce aux hydrocarbures. Selon les données officielles, plus de 90% des entreprises privées algériennes sont de types familiaux sans aucun management stratégique, et que 85% d’entreprises publiques et privées ne maîtrisent pas les nouvelles technologies et la majorité des segments privés et publics vivent grâce aux marchés publics octroyés par l’Etat.
Par ailleurs l’économie est dominée par la sphère informelle notamment marchande elle même liée à la logique rentière, ce qui explique le peu de transactions au niveau de la Bourse d’Alger. Car pour avoir une cotation significative, l’ensemble des titres de capital de la bourse d’Alger doit représenter une part significative du produit intérieur brut, les volumes de transactions observés étant actuellement insuffisants. Les opérateurs privés susceptibles de se lancer dans cette activité ne pourront le faire que lorsque le nombre de sociétés et le volume traité seront suffisants pour seulement couvrir leurs frais.. Sur le plan technique, en l’état actuel de leurs comptes très peu d’entreprises connaissent exactement l’évaluation de leurs actifs selon les normes du marché. Il se trouve que les comptes des entreprises publiques algériennes de la plus importante à la plus simple sont dans un état qui ne passerait pas la diligence des audits les plus élémentaires. Même une grande société comme Sonatrach ou de grandes banques publiques ne sont pas pas cotés en bourse, ne pouvant donc pas évaluer leur efficience, contrairement aux grandes sociétés internationales.
Pour cela Sonatrach par exemple, a besoin d’un nouveau management stratégique à l’instar de la majorité des entreprises algériennes, avec des comptes clairs afin de déterminer les coûts par sections. L’opacité de la gestion de la majorité des entreprises qui se limitent à livrer des comptes globaux consolidés voile l’essentiel. Pour Sonatrach, il s’agit de distinguer si le surplus engrangé est du essentiellement à des facteurs exogènes, donc à l’évolution du prix au niveau international ou à une bonne gestion interne.
4- Quant à la finance islamique comme moyen de financement, qui est de promouvoir l’investissement dans des actifs tangibles, il faut éviter l’utopie représentant 2019 moins de 1% du financement global de l’économie mondiale, encore qu’il faille l’encourager . Le principe de la finance islamique est que . les investissements doivent être adossés à des actifs réels, le banquier ne devant pas être seulement prêteur mais co-investisseur du projet financé, ses revenus correspondant à une quote-part des résultats issus du projet financé, permettent d’atténuer le risque selon le principe du partage des Pertes et Profit. Sa réussite implique des conditions : une visibilité , la maîtrise de l’inflation, la stabilité de la cotation du dinar par rapport aux devises euro et dollar notamment. En cas de baisse drastique des réserves de change à 10/12 milliards de dollars, qui d’Algérie sera contrainte de dévaluer le dinar officiel à environ 200/220 dinars un euro avec une envolée du cours sur le marché parallèle qui fluctue en fonction du taux d’inflation, la cotation actuelle sur ce marché n’étant pas significative du fait de l’épidémie du coronavirus qui limite la demande. Cela limitera forcément les dépôts en banques. Il sera difficile de combler l’écart avec le marché parallèle pour la simple raison que l’allocation de devises pour les ménages est dérisoire ( voir notre interview mensuel Capital FR/AFP –France 24-11/08/2020). Ce manque de confiance est accentué par la planche à billets comme moyen de financement, qui a été utilisé dans des pays qui ont une importante structure productive par la relance de la demande globale ce qui n’es t pas le cas en Algérie.
En effet, pour suppléer au déficit budgétaire, le recours à la planche à billets après l’épuisement du Fonds de stabilisation du pétrole (FRR) pour financer le déficit budgétaire, la Banque Centrale a recouru à ce mécanisme de mi-novembre 2017 à avril 2019, ayant mobilisé 55 milliards de dollars, soit l’équivalent de 32 % du PIB de 2018. Ce financement , outre l‘effet inflationniste, comme au Venezuela, favorise , contrairement à certains discours, la baisse la baisse des réserves de change puisque en mettant à la disposition de certaines entreprises des dinars, (70% des matières premières et des équipements des entreprises publiques et privées étant importées, le taux d’intégration ne dépassant pas 15/20%) ces dernières se porteront importatrices en devises en biens et services.
5- En cette ère où dominée par les grands espaces économiques, l’ère des micros Etats étant résolu, une bourse pour 44 millions d’habitants étant une utopie il serait souhaitable la création d’une bourse maghrébine, qui devrait s’inscrire dans le cadre de la future bourse euro-méditerranéenne prévue à l ‘horizon 2020/2025, supposant au préalable la résolution de la distorsion des taux de change. Hélas, en 2020 selon le FMI, le commerce inter-maghrébin ne dépasse pas 3% et le commerce intra africain 15% ( voir notre étude IFR Institut Français des Relations Internationales Paris 2011 la coopération Europe Maghreb face aux enjeux géostratégiques). Aucun pays à travers l’histoire ne s’est développé grâce uniquement aux matières premières. De grandes mutations géostratégiques s’annoncent entre 2020/82030/2040, fondées sur la transition numérique et énergétique avec de nouveaux pouvoirs mondiaux par grands espaces géographiques.
Le XXIème siècle sera dominé par l’émergence de réseaux décentralisés, qui remplaceront les relations personnalisées d’Etat à Etat dans le domaine des relations politiques et économiques, le primat de la connaissance qui révolutionnera tout le système économique mondial. Les responsables algériens s’adapteront –ils à ce nouveau monde dynamique en perpétuel mouvement, n’existant pas de modèle statique, ou vivront t-ils toujours sur des schémas dépassés des années 1970 /1980 conduisant le pays à l’impasse ? La transition d’une économie de rente à une économe hors hydrocarbures, dans le cadre des nouvelles mutations mondiales, suppose un profond réaménagement des structures du pouvoir, nécessitant une restructuration du système partisan loin des aléas de la rente, et surtout la dynamisation de la société civile qui, en symbiose avec les Etats et les institutions internationales jouera un rôle de plus en plus déterminant.
Aussi, le compromis et les objectifs stratégiques des années 2020/2030 devront concilier l’impératif de productivité et la cohérence sociale, les principes d’une société ouverte et le devoir de solidarité, en un mot l’efficacité et l’équité. Mais il ne faut pas être utopique, Sonatrach sera pour longtemps, la principale société pourvoyeur de devises. D ‘où l’importance de l’installation du Conseil National de l’Energie, seul organe habilité à tracer la politique énergétique et d’un nouveau management stratégique expliquant l’audit exigé par le président de la république qui devra reposer sur une analyse objective et des propositions concrètes de cette société qui fait vivre la majorité de la populationalgérienne.
En résumé, il faut éviter toute ambiguïté, l’égalité n’est pas celle du modèle de l963-2019 mais recouvre la nécessité d’une transformation de l’Etat gestionnaire à l’Etat régulateur, par la formulation d’un nouveau contrat social, renvoyant au débat sur la refondation de l’Etat.
Évitons toute sinistrose, si certaines conditions sont remplies, à savoir adaptation aux nouvelles mutations mondiales, bonne gouvernance, valorisation du savoir, l’Algérie, fortes de ses importantes potentialités, et cela est reconnu par les grandes puissances et plusieurs rapports internationaux de défense/sécurité , 2018/2020, peut asseoir une économie diversifiée et devenir un pays pivot et facteur de stabilité de la région méditerranéenne et africaine.
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane MEBTOUL