L’affirmation de la maîtrise de l’inflation et de l’appréciation du dinar par le ministre des Finances, Aymen Benabderrahmane, est déconnectée des réalités nationales, estime le professeur des universités et expert international, Abderrahmane Mebtoul.
S’exprimant samedi dernier sur la valeur de la monnaie nationale, ainsi que l’inflation et ses répercussions sur les prix des différents produits alimentaires, le ministre a, en effet, expliqué que le dinar « la monnaie nationale devrait enregistrer un regain avant la fin de l’année en cours », soulignant que le secteur s’atèle actuellement à « une réévaluation de la monnaie nationale selon les capacités de l’économie nationale ».
Selon Mebtoul, il existe une contradiction dans cette récente déclaration, le gouvernement projetant dans le PLF2021, initié par le ministère des Finances non pas une amélioration de la cotation du dinar, mais une amplification de sa dévaluation, entre 2021-2023 ce qui suppose pas d’amélioration de la situation socio-économique.
L’expert estime que pour 2023, le PLF 2021 prévoit environ 185 dinars un euro et 156 dinars pour un dollar. En prenant un écart de 50% par rapport au marché parallèle, nous aurons environ 300 dinars un euro, alors que les frontières sont toujours fermées et sous réserve de la maîtrise de l’inflation, sinon l’écart serait plus important, déclare-t-il. « Rappelons que pour la période de 2001 à mars 2021, nous avons la cotation suivante : –2001 : 77,26 dinars un dollar 69,20 dinars un euro –2005, 73,36 dinars un dollar, 91,32 dinars un euro –2010, 74,31 dinars un dollar et 103,49 dinars un euro –2015, 100,46 dinars un dollar et 111,44 dinars un euro – 2018 : 116,62 dinars un dollar et 137,69 dinars un euro : –2019 :119,36 dinars un dollar et 133,71 dinars un euro –2020 :128,31 dinars un dollar et 161,85 dinars un euro et la cotation du dinar officiel le 14 mars 2021 est de 159,58 dinars un euro et 133, 57 dinars un dollar.»
C’est que le même ministre avait prévu plus de 44,2 milliards de dollars de réserves de change fin 2021, alors qu’elles sont passées de 194 milliards de dollars fin 2013, à 97,33 en 2017, 62 en 2019 et selon le président de la République lors de sa dernière conférence de presse à 42 milliards de dollars. A fin 2021, ( baisse des réserves de change de 20 milliards de dollars entre 2019/2020) les réserves de change seraient de 20 milliards de dollars. Qu’en sera t –il en 2022 si le cours du pétrole stagne entre 55/65 dollars et s’il n’y pas de relance économique, la loi de finances 2021 pour son équilibre selon le FMI et la banque mondiale, nécessitant plus de 110 dollars le baril et le PLF2021 prévoyant un déficit budgétaire record de plus de 21,75 milliards de dollars contre à la clôture 2020 de 18,60 milliards de dollars avec un déficit global du trésor de 28,26 milliards de dollars, soit 17,6% du PIB. En cas de baisse drastique des réserves de change à 10/12 milliards de dollars, qui tiennent la cotation du dinar algérien à plus de 70%, la banque d’Algérie sera contrainte de dévaluer le dinar officiel à environ 200/220 dinars un euro avec une envolée du cours sur le marché parallèle qui fluctue en fonction du taux d’inflation d’environ 300 dinars un euro minimum, surtout en cas d’ouverture des frontières
Par ailleurs, Mebtoul ajoute que le ministre des Finances toujours en ce mois de mars 2021, annonce sans précisions la relance économique en 2021, comme facteur d’appréciation du dinar ce qui est juste en soi, en théorie mais comment peut-on relancer l’économie actuellement en berne pour des raisons internes et externes ? S’interroge l’expert, en citant le dernier rapport de janvier 2021 de la CNUED, conséquence de la crise mondiale, montrant une baisse substantielle des IDE, notamment vers le Maghreb et l’Afrique.
Or, l’on ne peut, selon lui, déclarer une appréciation du dinar, vision administrative bureaucratique du passé, qui sera fonction des seuls les indicateurs macro-financiers et économiques, mais surtout de la stabilité juridique, institutionnelle et politique, les élections législatives étant prévues en juin 2021, les investisseurs potentiels attendant la politique du nouveau gouvernement qui ne sera pas mis en place pas avant août/septembre 2021.
« Comment dès lors prétendre relancer la machine économique en 2021, alors qu’il reste une seule solution, si on enlève l’endettement extérieur, la dépense publique via la rente des hydrocarbures devant distinguer la partie dinars avec une dette publique qui risque d’exploser et la partie devise influant sur le niveau des réserves de change ? » S’interroge-t-il encore. Et D’ajouter : « en cas de la faiblesse de la production interne nous assisterons à l’amplification du processus inflationniste, les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques n’étant pas propre à l’Algérie, comme en témoigne les expériences récentes du Venezuela et du Liban. Certes, la valeur d’une monnaie dépend de la production et de la productivité internes, mais aussi de la capacité de pénétrer les marchés extérieurs, ce qui suppose des entreprises publiques et privées compétitives en termes de coût/qualité.»
Mais en 2020/2021, détaille Mebtoul, comme pour les années passées, 98% des recettes en devises avec les dérivées dépendent des hydrocarbures, dont la production en volume physique est en baisse et où, selon l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) (rapport mensuel le 12 mars 2021), la production algérienne de pétrole a atteint 878.000 barils en février 2021 contre 874.000 barils par jours en janvier, contre plus de 1,5 /1,2millions de barils entre 2007/2010, donc ne profitant que peu de la hausse récente des prix. A noter, toutefois, que les cours du Sahara Blend, le brut de référence algérien, sont en hausse avec 62,38 dollars le baril en février 2021, contre 55,08 dollars en janvier 2021, soit +7,30 dollars (+13,3%).
Mais dans le même temps, rappelle Mebtoul, il ne jamais oublier que 33% des recettes de Sonatrach proviennent du gaz naturel dont le cours est passé de plus de 10 dollars le MBTU en 2009/2013 à moins de 2,70 dinars le MBT entre 2020 et mars 2021. Même si le rapport de la BAD de mars 2021 prévoit pour l’Algérie un taux de croissance de 3,5% et 2,2% en 2022, un taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente où en 2020, le taux de croissance a été négatif de 6,5% selon le FMI, souligne l’expert.
« 2021, rapport à 2020, donne toujours un taux de croissance faible, en termes réel entre 0 et 1% largement inferieur à al croissance démographique, supposant un taux de croissance de 8 à 9% sur plusieurs années afin d’absorber 350.000/400.000 emplois par an, qui s ‘ajoute au taux de chômage actuel estimé à 15% en 2020. Avec l’épidémie du coronavirus et les restrictions d’importation sans ciblage, selon les organisations patronales, plus de 70% d’entreprises courent à la faillite, fonctionnant à moins de 50% de leurs capacités. Des projets comme le fer de Gara Djebilet et du phosphate de Tebessa, hautement capitalistique ( montant de l’investissement dépassant 15 milliards de dollars pour uniquement ces deux projets selon l’ex ministre de l’industrie -source APS décembre 2020-), le seuil de rentabilité, sous réserve de trouver un partenaire de renom, ces deux filières étant contrôlées au niveau du marché mondial par quelques firmes, demandent du temps et si les projets sont lancés en 2021, il leur faudra au moins 5/7 ans pour être rentables, soit vers 2026/2028. Pour les projets PMI/PME, le seuil de rentabilité se fera dans deux à trois ans.»
D’autre part, Abderrahmane Mebtoul répond également au ministre des Finances, concernant ses déclarations sur la maîtrise de l’inflation, en disant qu’il « laisse aux ménages algériens, aux journalistes de terrain et aux opérateurs économiques, le soin de juger cette déclaration qui ignore fondamentalement le fonctionnement de la société, montrant que certains responsables vivent dans une autre planète.» Et d’ajouter à ce propos : « Je leur demande d’aller faire le marché pour constater l’explosion des prix de la majorité des produits. En économie la production est production de marchandises par d’autres marchandises, existant en dynamique, un lien dialectique entre toutes les sphères de l’activité économique. Nous avons depuis décembre 2020, avec une amplification entre janvier et mars 2021, une envolée de la majorité des prix, tant des matières premières, biens d’équipements et des biens de consommation comme par exemple les produits de première nécessité (pâtes, lentilles, haricots entre 30/50%), et beaucoup plus pour des produits tels les fruits, malgré leur disponibilité fluctuant entre 150/300 dinars le kg, la sardine dont le prix dépasse les 1000 dinars le kg pour ne pas parler de la viande ou d’autres catégories de poisson, inaccessibles aux bourses moyennes.»
Et Mebtoul de s’interroger de nouveau : Alors que doit être un revenu pour une famille avec trois enfants payant les factures de loyer, d’électricité et gaz et de transport ?
« Justement le blocage des importations de voitures, qui ne sont pas un produit de luxe,( la voiture d’occasion ayant augmenté entre 40/50%) du fait de la faiblesse des moyens de transport public, pour la majorité des couches moyennes, l’utilisant comme moyen de locomotion pour aller travailler. Car, s’agissant d’un problème aussi complexe que celui de l’inflation, il me semble utile de rappeler qu’il faut tenir compte de la structure et des particularités de l’économie à laquelle il s’applique, des aspects structurels de l’économie internationale, de l’économie interne résultant de l’option de la stratégie de développement économique, ainsi que des schémas de consommation générés en son sein pour des raisons historiques, des influences socioculturelles et des différentes forces sociales pour s’approprier une fraction du revenu national. Concernant l’indice global de l’inflation, il doit être régulièrement réactualisé, celui de l’Algérie n’étant as réactualisé depuis datant de 2011, car le besoin est historiquement daté.»
« Le taux d’inflation officiel est biaisé, étant comprimé artificiellement par les subventions non ciblées source d’injustice sociale et de gaspillage. Un agrégat global comme le revenu national par tête d’habitant peut voiler d’importantes disparités entre les différentes couches sociales, une analyse pertinente devant lier le processus d’accumulation, la répartition du revenu et le modèle de consommation par couches sociales. Le niveau d’inflation, autant que le chômage, maladies apparentes du corps social, est fonction de plusieurs facteurs interdépendants : premièrement, de facteurs exogènes dont le prix international des produits importés où contrairement à ce qu’affirme le ministre la majorité de pays connaissent non pas une inflation mais une déflation, avec des taux d’intérêts presque nuls ; deuxièmement, de la faiblesse de la production et de la productivité internes, de la non-proportionnalité entre les dépenses monétaires et leur impact renvoyant à la corruption via les surfacturations ; troisièmement, de la dé-thésaurisation des ménages qui mettent face à la détérioration de leur pouvoir d’achat des montants importants sur le marché, alimentant l’inflation, et plaçant leur capital-argent dans l’immobilier, l’achat d’or ou de devises fortes pour se prémunir contre l’inflation ; quatrièmement, de la dévaluation rampante du dinar comme mis en relief précédemment, où la Banque d’Algérie procède au dérapage du dinar par rapport au dollar et à l’euro, ce qui permet d’augmenter artificiellement la fiscalité des hydrocarbures (reconversion des exportations hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué), cette dernière accentuant l’inflation des produits importés, montant accentué par la taxe à la douane s’appliquant à la valeur dinar, étant supportée en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l’entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité ; cinquièmement, par la dominance de la sphère qui aligne le prix sur la cotation de la devise sur le marché parallèle, pour les produits importés, et qui contrôle les segments des fruits /légumes, poissons/viandes, textile/cuir et bon nombre d’autres produits importés qui connaissent un déséquilibre offre/demande, sphère produit des dysfonctionnements des appareils de l’Etat, où existent des liens dialectiques entre cette sphère et la logique rentière, avec des situations monopolistiques et oligopolistiques de rente.»
Et l’expert de conclure : « En résumé, l’annonce du ministre des Finances de la maîtrise de l’inflation et d’une appréciation du dinar fin 2021, sans nuancer ses propos, a mis en colère ma femme qui se plaint depuis quelques mois, que notre budget est insuffisant. Je lui ai dit d’attendre car selon le ministre du Commerce et celui Finances, il y aura une maîtrise des prix. C’est de l’affirmative. J’ai donc décidé d’aller faire le marché et j’invite Mesdames et Messieurs les Membres du gouvernement de me suivre et j’ai pu constater que ma femme avait raison. Pour plus d’assurance, j’ai décidé de réaliser plusieurs enquêtes au niveau de plusieurs franges de la population, de mes étudiants et collègues de l’Université, et ayant contacté plusieurs amis de l’Est, du Centre, du Sud et de l’Ouest, j’ai pour réponse….Des questions : ces responsables vivent-ils en Algérie, ont-ils fait un jour le marché et connaissent-ils le fonctionnement du marché parallèle de la devise qui suit le cours du marché officiel ? C’est que nous nous assistons à un dialogue de sourds qui ne date pas d’aujourd’hui, montrant que certaines responsables actuels sont toujours formatés par l’ancienne culture rentière-étatiste et ce n’est pas une question d’âge, mais de mentalités. A ce titre et comment ne pas se rappeler cette image de la télévision algérienne, vers la fin des années 1980 et après la grande pénurie que connaissait le pays suite à la crise de 1986, où un ministre algérien avançait avec assurance que le marché était saturé selon les données en sa possession. La présentatrice lui rétorquant s’il a fait un jour le marché et que la population algérienne ne mangeait pas les chiffres. Et un autre ministre vers les années 2002, où à une question sur le taux de chômage affirmera que les enquêtes donnent 9% et qu’un journaliste lui répliqua : êtes vous sur de vos données ? Oui répond le Ministre. A quoi le journaliste répliqua sous l’œil amusé de la présentatrice non convaincue d’ailleurs, qu’il irait faire un tour dans les quartiers Algérie et qu’il dirait aux chômeurs que dorénavant leur appellation n’est plus chômeur mais travailleurs. Et le débat que j’ai eu personnellement avec un ex-ministre des Finances vers les années 1993, à l’hôtel l’Aurassi s’Alger, où, revenant d’une tournée aux USA ayant rencontré le secrétaire d’Etat au trésor US, m’annonçant le rééchelonnement de l’Algérie, je lui disais qu’il fallait, de suite, prendre des décisions. Il me rétorqua que l’Algérie était en bonne santé financière, et qu’elle n’irait jamais frapper aux portes du FMI. Pourtant, l’Algérie, pays à très fortes potentialités, acteur stratégique de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine, peut surmonter la crise actuelle sous réserve d’une nouvelle gouvernance, de mettre fin à certains discours qui jouent comme facteur de démobilisation et discrédite le pays au niveau international et des stratégies d’adaptation politique, militaire, sociale et économique, tenant compte de l’innovation destructrice, en ce monde turbulent et instable pour reprendre l’expression du grand économiste Joseph Schumpeter ». ( voir interview in American Herald Tribune USA 28/12/2016 » Pr A.Mebtoul- Any Destabilization of Algeria would Geo-strategic Repercussions on all Mediteterranean and African Space ».et Pr Abderrahmane Mebtoul, Algeria Still Faces Significant Challenges ,11 aout 2018 »