L’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) dirigé par Pascale Boniface vient de rendre publique une étude de l’économiste maghrébin, Béligh Nabli sur le thème de la géo-économie du Maghreb dans laquelle il analyse les échecs des pays de l’Afrique du Nord en matière de production et d’emploi.
L’économiste s’appuie sur le dernier rapport de la Banque mondiale au sujet de la situation économique et sociale au Maghreb (à l’exception de la Mauritanie) qui « tire un bilan qui en dit long sur le statu quo et le manque de perspectives en la matière ». Selon lui, l’Algérie, la Libye, le Maroc et la Tunisie « ont en commun les mêmes grands défis socioéconomiques avec, au premier rang d’entre eux, les taux élevés du chômage chez les jeunes et la nécessité d’y remédier en développant le secteur privé pour créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité ». Les inégalités qui persistent représentent « un obstacle majeur à l’objectif visant à mettre fin à l’extrême pauvreté dans le monde d’ici 2030 ».
Béligh Nabli qui est directeur de recherche à l’IRIS qui oriente ses travaux vers des sujets politiques, institutionnels et juridiques pense que les pays maghrébins sont toujours en quête d’un modèle de développement et que leurs économies se trouvent dans une situation de dépendance extérieure, pour l’importation (agricole en particulier) comme pour l’exportation (en hydrocarbures). Ainsi, la succession et la combinaison de politiques étatistes et de politiques d’ajustements structurels (ou de libéralisation de l’économie) ont échoué à sortir ces pays d’un sous-développement indiqué par le faible niveau du PNB annuel par habitant. Après les indépendances nationales, dans le contexte de la Guerre froide et de confrontation idéologique, les orientations politiques et économiques ont divergé : d’un côté, l’ouverture à l’économie de marché, aux investissements privés et à la société de consommation (cas de la monarchie marocaine) ; de l’autre, l’adhésion au modèle socialiste de révolution agraire et d’industrialisation de l’économie, sous la tutelle d’un État interventionniste (Algérie, mais aussi Tunisie et Libye).
Il ajoute que dans les années 1980 et 1990, la libéralisation et la privatisation de l’économie ont produit de la croissance et des richesses, mais mal réparties (corruption et népotisme obligent). A propos de l’émergence de classes moyennes à la fin des années 1980, il souligne que le libre-échange n’est pas, pour elle, synonyme de développement pour des pays maghrébins marqués par de fortes inégalités sociales et territoriales, et un chômage massif de la jeunesse urbaine et diplômée qui peine à trouver sa place sur le marché du travail et dans la société.
Le défi du chômage des jeunes
Il arrive à la conclusion que la Banque mondiale est claire en retenant que l’extrême pauvreté régresse dans l’ensemble du Maghreb même si de larges pans de la population risquent de retomber dans la pauvreté, tandis que le chômage, particulièrement élevé chez les jeunes, reste un défi de taille. Au-delà de ce panorama global, il met en exergue le fait que le rapport de la Banque mondiale apporte quelques analyses plus fines sur l’Algérie qui subit très fortement la baisse des prix pétroliers. Les capacités de redistribution sociale de l’Etat sont mises à l’épreuve dans un contexte déjà socialement tendu, avec 10% de la population – soit 4 millions de personnes – qui vivent dans une situation de précarité et risquent de basculer sous le seuil de pauvreté.
Cette réalité renvoie aussi, selon l’analyste, aux disparités territoriales que connaît le pays puisque la pauvreté est deux fois plus répandue dans le Sahara, et trois fois plus élevée que la moyenne nationale dans la région des steppes.
En Libye, la situation est plus alarmante compte tenu des conséquences de l’insécurité et de l’instabilité politique sur la production pétrolière, « quasi-unique source de revenus du pays ». Ce pays potentiellement riche voit une frange de plus en plus importante de sa population côtoyer la pauvreté : avec 435 000 personnes déplacées et 1,3 million d’habitants en situation d’insécurité alimentaire, la Banque mondiale souligne que « plus d’un tiers de la population aurait besoin d’une aide humanitaire ».
Recul du taux de pauvreté au Maroc
Quant au Maroc, si la croissance économique a permis d’enregistrer un recul du taux de pauvreté (de 8,9% en 2007 à 4,2% en 2014), le taux de chômage reste élevé chez les jeunes urbains (38,8%) et les inégalités demeurent criantes dans ce pays où 19% de la population rurale vit encore dans la pauvreté ou risque d’y basculer.
Enfin, en Tunisie, les projections de la Banque mondiale indiquent que la pauvreté a augmenté à la suite de la révolution de 2011, avant de revenir, en 2012, à son niveau précédent. Le taux de pauvreté extrême a stagné à 1,9 % sur la période 2013-2016, mais le rapport indique une légère baisse de la pauvreté modérée (passée de 8,3 % en 2013 à 7,9 % en 2015). Reste que le chômage continue d’atteindre des niveaux préoccupants, avec 22% chez les femmes et 31,8% chez les jeunes (31,2% chez les jeunes diplômés).
L’économiste maghrébin, Béligh Nabli pense que dans le contexte de ralentissement de l’économie mondiale, la faiblesse persistante des prix du pétrole, l’escalade des tensions internes et régionales, les perspectives de reprise de la croissance à brève échéance sont peu encourageantes.