Maghreb Emergent va publier dans les prochaines heures le premier d’une série d’articles à partir du listing Algérie de HSBC Suisse qu’il a obtenu. L’affaire Swissleaks a un volet Algérie. Nous avons pris la responsabilité de le traiter. Pourquoi ? Dans quel esprit ?
Il y a un peu plus d’un mois éclatait l’affaire dite Swissleaks liée à une fuite de listing de clients internationaux de la filiale de HSBC en Suisse en 2006 et 2007. Chaque pays en Europe, et ailleurs dans le monde, a eu son lot de noms de personnalités connues, ou moins connues, faisant partie de la clientèle de la prestigieuse banque sino-britannique. Dans la majorité des cas, l’alimentation de ces comptes en Suisse est régulière transparente et conforme à la loi du pays de résidence de son titulaire. Dans de très nombreux autres cas, la justification des soldes de ces comptes peut à priori faire problème. Le consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ) qui s’est chargé de révéler Swissleaks a tenté d’identifier les deux catégories de titulaires de comptes. Il a mené, avec toute la prudence requise, des investigations de presse sur les comptes susceptibles d’être alimentés par de l’évasion fiscale ou par des versements de pots de vins à l’international. Et a donc donné des noms de titulaires de compte sujets à caution. C’est exactement la même démarche à laquelle à souscrit Maghreb Emergent. Elle aboutit donc à la publication de certains noms liés à des comptes remarquables par leurs soldes importants ou de noms dont la présence sur une telle liste est surprenante.
La presse algérienne était interpellée
Le choix de relayer en Algérie le volet de Swissleaks qui la concerne, est survenu simplement. Un montant global des dépôts (670 millions de dollars) ayant un lien avec l’Algérie à été donné par le réseau de médias en charge des informations du listing, ainsi que le nombre (441) de comptes cumulant ce montant. L’opinion nationale était alertée. La presse interpellée. Maghreb Emergent n’a pas déclenché une enquête ex-nihilo sur les évasions de capitaux vers la Suisse ou sur les pots de vins perçus par des algériens et déposés dans les banques de ce paradis fiscal. Par contre, lorsque les éléments qui peuvent alimenter une investigation sur de tels sujets s’avèrent disponibles chez des confrères étrangers, comme dans le cas du volet Algérie de cette affaire HSBC Suisse, il nous est apparu naturel professionnellement de devoir nous y intéresser. C’est le moins qu’attendent de nous nos lecteurs. Maghreb Emergent est un journal spécialisé en économie et en finance. Il organise en outre le prix Ali-Bey Boudoukha du meilleur article d’investigation. C’est dire sa proximité avec cette thématique des flux des revenus non déclarés et sa sensibilité à la demande démocratique de transparence. C’est notre journaliste spécialiste des investigations Lyas Hallas, qui a pris sur lui de se rapprocher de l’ICIJ. Il a obtenu le listing Algérie parce que sa réputation de sérieux et d’indépendance, tout comme celle de la rédaction à laquelle il appartient, le qualifie pour cela. Mais aussi parce qu’il a pris l’engagement de respecter une charte par laquelle il doit faire un usage équilibré et professionnel des informations contenues dans le listing. Ce sera chose faite.
Ce n’est pas une enquête à charge
Il faut toutefois bien se rendre compte que si dans l’opinion algérienne une attente existe pour comprendre comment ont pu être alimenté les comptes d’Algériens à HSBC Suisse, il peut exister aussi une incompréhension, voire une hostilité à l’idée de révéler des noms au public. L’un des trois principaux actionnaires du Monde, Pierre Bergé, avait par exemple mal réagit, à la publication de l’affaire dans son journal déclarant : « on attend autre chose d’un journal comme Le Monde que de jeter ainsi des noms en pâture ». Maghreb Emergent a contacté les personnes citées dans son enquête. La parution de leur nom ne veut bien sur pas dire qu’elles soient coupables d’évasion fiscale ou de corruption à l’international. Elles expliquent d’ailleurs pour certaines la provenance de leurs fonds. Le but de l’investigation n’est pas d’instruire à charge les titulaires algériens-résidents de comptes HSBC en Suisse. Ce n’est pas le travail des journalistes. Mais des parties qui auraient pu subir un préjudice par le fait du départ, s’il est prouvé, de cet argent de l’Algérie vers l’étranger ou de son versement en contre partie d’obtention d’avantages contractuels en Algérie. Mieux encore, Maghreb Emergent s’ouvre régulièrement à des voix expertes ou intéressées, qui veulent soit rendre le dinar convertible soit réformer la législation des changes pour permettre aux entreprises algériennes d’opérer plus facilement à l’étranger. Notre traitement du listing HSBC Suisse n’est donc pas à charge. Il peut tout aussi bien contribuer à montrer que certaines dispositions légales aujourd’hui sont totalement obsolètes. Il reste que si la publication de cette série d’articles sur la base du listing donne lieu à des procédures judiciaires équitables, et que des infractions sont établies et sanctionnés, Maghreb Emergent ne boudera pas sa contribution à faire de la vie publique en Algérie un espace plus éthique. Les récentes lourdes condamnations de militants chômeurs à Laghouat nous confortent dans l’idée que l’impunité des plus puissants sape tous les jours les fondements du vivre ensemble algérien.