A quoi sert une expertise judiciaire lorsqu’elle disculpe totalement les prévenus ? C’est une des nombreuses questions que se sont posées les avocats de la défense et le public lors une audience parfois surréaliste.
En détention provisoire depuis 14 mois à la prison d’El Herrach, Nabil Mellah, patron des laboratoires pharmaceutiques Merinal et dirigeant de Vapropharm dédiée aux importations des produits pharmaceutiques, a entendu ce dimanche le procureur de la république du pole économique de Sidi M’hmed requérir contre lui 7 ans de prison ferme, à contre courant des conclusions de l’expertise judiciaire et du déroulement du procès.
Accusé de « blanchiment d’argent » et « d’infraction sur les mouvements de capitaux » à la suite d’une plainte du Ministère de l’Industrie pharmaceutique, Nabil Mellah et ses avocats ont présenté devant le juge et le procureur tous les documents prouvant son innocence de toutes les accusations pour lesquelles il a passé 442 jours en prison.
« Des faits » d’un genre nouveau pour le juge
Les faits de cette affaire remontent à 2015, quand la pharmacie centrale des hôpitaux (PCH) a lancé un appel d’offres national et international pour l’importation, entres autres, d’une classe de médicament immunosupresseur, pour lequel Vapropharm était parmi les soumissionnaires.
À l’annonce des résultats, le marché a été remporté par une entreprise étrangère du nom de Maylan, un des plus grands génériqueurs au monde. Vapropharm, filiale du groupe pharmaceutique Merinal, était classé en deuxième position avec le princeps Imurel du laboratoire sud africain Aspen. Pour ne pas dépendre seulement d’un seul fournisseur étranger, qui s’est ensuite retiré du marché en 2017, la PCH a demandé à Vapropharm de prendre une partie des importations (50%), à condition de s’aligner sur le prix proposé par le laboratoire Maylan (9,1 euros). Vapropharm a négocié avec Aspen son fournisseur sud-africain et a obtenu qu’il s’aligne sur le prix de Maylan et qu ’il lui rembourse la différence afin justement qu’il ne vende pas à perte à la PCH.
L’entreprise sœur de Merinal a commencé à approvisionner la PCH sur ses stocks constitués au prix réel (15,50 euros), ensuite le laboratoire fabricant rembourse la différence du prix préférentiel (1400 da). Concrètement, le parquet reproche à Nabil Mellah d’avoir vendu le médicament (Imurel) à perte à la pharmacie centrale des Hopitaux (PCH). Pourtant, c’est cette dernière qui a demandé à Vapropharm de s’aligner sur le tarif de Maylan conformément à une pratique habituelle couvrant le risque de défaut d’approvisionnement, en disposant de deux fournisseurs, au tarif le moins disant, au lieu d’un seul.
La PCH l’absent – présent
Nabil Mellah et le directeur financier de Vapropharm ont expliqué, d’une manière pédagogique, documents et expertise à l’appui, comment le prix préférentiel appliqué l’était sur demande de la PCH et avec l’accord du laboratoire Aspen fabricant du médicament qui, recevant un paiement pour un prix unitaire de la boite de 15,5 euros l’unité, rétroversait la différence à Vapopharm via son compte commercial en Algérie, à la hauteur des quantités vendu à 9,1 euros à la PCH .
Le juge, évoquant un non respect du code des marchés publics, a demandé ensuite, « si cette procédure est légale », Nabil Mellah a répondu par « oui », et cela est prévu dans l’article 21 du cahier des charges de la PCH. Les plaidoiries des avocats ont fait observer au juge que PCH, entreprise public inscrite au registre de commerce, n’était concernée par le code des marchés publics. C’est sur ce point que le parquet et le juge ont insisté pour qualifier cette démarche de « vente à perte ».
Pourtant, Nabil Mellah et le directeur financier de Vapropharm ont expliqué en détail que leur entreprise n’a rien perdu, puisque remboursée par son fournisseur, et au contraire, durant toutes ces années, Vapropharm a fait gagner à la PCH 60% de ce qu’elle devait payer pour ce médicament.
« Pourquoi avez-vous accepté de le vendre à ce prix ? Cela arrangera-t-il les affaires du laboratoire sud africain en Algérie ? l’intention de ce laboratoire, à travers ce prix préférentiel, n’est-il pas de pénétrer le marché en Algérie ? ce sont les quelques questions posées par le juge à Nabil Mellah, pour lui lancer ensuite : « Pourquoi vous ne faites pas comme SAIDAL, qui fabrique des médicaments localement ». Visiblement le juge ne savait pas bien ce que faisait Merinal obligeant son co-fondateur, Nabil Mellah, à lui expliquer que son entreprise, « est l’un des principaux fabricants de médicament en Algérie et c’est le premier exportateur, devant des multinationales présentes en Algérie ».
Dans leurs plaidoiries, les avocats de la défense ont constaté l’absence de toutes parties ayant subit un préjudice, et donc absence de partie civile. Les témoins de de la PCH étaient tous absents ce qui a amputé l’audience d’une version essentielle dans cette affaire.
Les avocats ont alerté sur le risque d’ «une erreur judicaire manifeste » Ils ont expliqué que le ministère de l’Industrie pharmaceutique n’est pas habilité à déposer plainte ou s’ingérer dans ce dossier, parce que la PCH est sous la tutelle du ministre de la Santé, qui n’a jamais réagi au déroulement du contrat renouvelé annuellement qui liait depuis 2016 Vapropharm à la PCH. Nabil Mellah s’est ému du fait que depuis que Vapropharm est poursuivi et lui mis en détention provisoire, la PCH achète Imurel directement chez ASPEN au tarif de 15,5 euros la boite et non plus 9,1 euros.
S’il y’a eu blanchiment, c’est celui de l’expertise
Au final l’infraction de mouvement sur les capitaux reprochée à Nabil Mellah se résume à un supposé non remboursements pour le compte de l’importation de l’année 2021, d’une valeur de 97000 euros.
L’expertise judiciaire a conclu sur la base du swift de la Société Générale Algérie que l’ensemble des montants devant être rapatriés au titre du remboursement par Aspen à Vapropharm, y compris ce montant de 97 000 euros, pourtant exigible à la fin de l’année fiscale. S’il y’a eu un blanchiment, c’est bien celui de l’expertise judiciaire, considérée comme complète et satisfaisante par le juge d’instruction après que le parquet ait requis une contre-expertise finalement refusée. Elle lavait Vapropharm et ses dirigeants de toutes les accusations.
Le procureur de la république, s’était, dans son réquisitoire, contenté d’affirmer qu’il n’était pas convaincu par les arguments des prévenus sans chercher lui même à apporter la preuve de leur supposé culpabilité.
Fait rare, il s’est senti obligé de reprendre la parole pour commenter les plaidoiries des avocats. Il a du notamment s’expliquer sur son maintient du chef d’accusation de blanchiment alors que celui ci s’appuie nécessairement sur une première infraction qui n’a pas été établie dans ce procès, « qui en réalité n’aurait jamais du avoir lieu » ont répété les quatre avocats de la défense. Le verdict dans cette affaire sera prononcé le dimanche 31 juillet.