Pour l’auteur, « il n’y a pas, en Tunisie, de minorités suffisamment persécutées au point d’accueillir en libérateurs tous ceux qui les débarrasseraient de l’État central ». La transition démocratique, admet-il, « est difficile » et « les périls sécuritaires continuent de menacer » mais « l’insurrection en Tunisie n’est pas pour demain ».
Depuis la transition démocratique ouverte le 14 janvier 2011, les troubles sécuritaires qui secouent la Tunisie semble se succéder avec une gravité croissante. Dernier évènement en date, la tentative de prise de Ben Guerdane par un commando terroriste composé d’une soixantaine d’individus. En cinq ans, la dégradation sécuritaire en Tunisie est passée d’affrontements sporadiques entre armée et groupes terroristes à une véritable tentative d’insurrection dans l’une des villes les plus importantes du sud du pays. Faut-il donc, à l’instar des experts de la « jihadologie » (sic), se résoudre à envisager que le pire est à venir pour la Tunisie?
Évidemment, l’environnement international n’aide pas tellement à se rassurer entre une guerre civile en Syrie qui n’en finit pas, un Irak qui ne s’est toujours pas remis de la destruction de son tissu social par l’invasion américaine, et les guerres fratricides entre la Libye de Tobrouk et celle de Tripoli. Et bien sûr, tous ces foyers de tension sont autant de creusets pour les factions les plus extrémistes qui déstabilisent nécessairement leur voisinage. La Tunisie ne pouvant évidemment ni influencer la donne politique internationale ni modifier sa propre géographie, elle ne peut que subir un environnement international extrêmement défavorable du point de vue sécuritaire.
L’existence de très nombreux Tunisiens dans le giron de plusieurs groupes jihadistes est aussi un facteur aggravant. Ici, il faut penser aussi bien à ceux qui sont partis à l’étranger rejoindre ces groupes (et dont le retour au pays sera problématique) qu’à ceux qui, à l’intérieur même de la Tunisie, pourraient préparer discrètement des actions violentes.
Pourtant, ce tableau noir mériterait d’être quelque peu nuancé. En Syrie, c’est un fragile processus politique qui pourrait s’ouvrir dans quelques jours après un cessez-le-feu relativement bien respecté et qui, pour incertain que soit son avenir, a le mérite d’exister dans un pays qui n’avait pas connu de pauses dans les combats depuis presque cinq ans. En Irak, l’armée, aidée de la coalition occidentale, reprend doucement les positions qu’on l’accusait d’avoir laissé filer sans combattre. Plus important, en endiguant l’influence des milices extrémistes chiites, l’armée irakienne de l’après-Saddam semble sortir timidement de son sectarisme qui a causé d’énormes dommages sur la cohésion de l’ensemble de la nation irakienne.
En Libye, enfin, la communauté internationale continue de pousser la réconciliation patiente des deux gouvernements ennemis tout en envoyant le message que cette patience ne serait pas sans limite au point que Fajr Libya redouble d’ardeur pour chasser de son territoire d’influence les combattants étrangers. Aujourd’hui, la réalité du terrain libyen est que les groupes terroristes étrangers sont privés d’une grande partie de leurs facteurs de croissance (nette réduction de la porosité des frontières tunisiennes et égyptiennes courant 2015 et échec de toutes les tentatives de conquêtes des raffineries) et de leur capacité de mouvement (Fajr Libya reprend pied à Sabratha tandis que différentes milices encerclent de fait l’agglomération de Syrte).
La réalité du terrain est aussi cruellement statistique. Lorsque les estimations parlent de 500 terroristes tunisiens à Sabratha, il faut désormais en retrancher les pertes du bombardement américain de février 2016, les différents accrochages avec Fajr Libya, l’échec d’une nouvelle tentative de reprise de la ville puis l’échec de Ben Guerdane. Bref on parle surtout d’un groupe qui a perdu jusqu’à la moitié de ses ressources, sans compter les arrestations à tout niveau de responsabilité. La même réalité statistique s’applique évidemment tout autant aux Tunisiens impliqués dans des groupes terroristes en Syrie ou en Irak. Parmi les 4.000 à 5.000 départs cumulés, combien seront encore vivants à la fin du conflit, combien reviendront en Tunisie, combien pourront le faire sans susciter l’attention des services de police?
Une autre nuance de taille mériterait qu’on s’y arrête. Si Ben Guerdane a été choisie comme terre de conquête par ce groupe terroriste, c’est d’abord et avant tout en raison d’un préjugé qui a la vie dure sur la supposée rupture entre la population locale et l’État central tunisois. La solidarité montrée par les peuples du Sud tunisien avec l’armée nationale et leur rejet manifeste d’une petite dictature terroriste montre que la cohésion de cette région avec la communauté nationale est bien au-dessus de tous les préjugés que se chuchote parfois l’élite tunisoise avec ce mélange de mépris et d’inquiétude.
Il va falloir que les prophètes de malheur planqués en pseudo-experts s’y habituent, Ben Guerdane n’est pas Falloujah et il n’y a pas, en Tunisie, de minorités suffisamment persécutées au point d’accueillir en libérateurs tous ceux qui les débarrasseraient de l’État central. Oui la transition démocratique est difficile, oui le prix à payer est élevé et, oui encore, les périls sécuritaires continuent de menacer mais non, définitivement non, le pire n’est jamais sûr et l’insurrection en Tunisie n’est pas pour demain.
(*) Cette contribution a été publiée initialement sur le Huffington Post Tunisie.