Par El Kadi Ihsane.
C’est une blague populaire qui rend le mieux compte de la conception de la communication chez le président défunt venue des tréfonds de la guerre froide
La scène se déroule dans le bureau présidentiel au palais d’El Mouradia sur les hauteurs d’Alger. Abdelaziz Bouteflika a pris, en ce début de printemps 2000, l’habitude de garder son nouveau chef du gouvernement de longues heures auprès de lui pour parler. Surtout de lui même et de ce qu’il a fait avant de devenir président de l’Algérie en avril 1999.
Ahmed Benbitour en homme affable du sud, prête patiemment l’oreille en attendant de pouvoir rejoindre son bureau du palais du gouvernement ou l’attend un copieux agenda de travail.
Le président est d’humeur taquine cette fin d’après midi : « Tu connais la dernière ? C’est l’histoire d’un homme qui porte un téléviseur sur les épaules et qui arrive à un carrefour. Il y’a une plaque qui indique réparateur de TV vers la droite et Taleb vers la gauche. Il prend à gauche. Un jeune l’interpelle. Ya Khalou, le réparateur c’est dans l’autre direction. Non non, c’est le Taleb que je veux voir. Il y’a un Djinn qui a habité ma télévision depuis des mois et il n’y’ a que lui qui peux l’en sortir ».
Bouteflika rit volontiers des blagues qu’il raconte sur lui même. Au premier semestre de son premier mandat, il est le Djinn qui a squatté matin et soir la télévision des algériens. Il intervient partout, sur tout. Il fait avancer la concorde civile son grand projet du début, commente l’actualité nationale, harangue les foules.
La déchéance du Djinn
Surtout il refuse la concurrence d’un autre point de vue sur l’actualité algérienne. Son point de vue sur l’ouverture de l’audiovisuel est tranché : « vous voulez que je laisse naître en Algérie des chaines qui vont me faire le sort qu’on fait les chaines vénézuéliennes au président Chavez ? » affirmait il au milieu des années 2000.
Dix huit ans plus tard, Abdelaziz Bouteflika est encore présent à l’écran des chaines publiques. En mode photos ou vidéo d’archives. Ses images récentes sont pénibles à montrer. Elles sont plutôt rares. De courtes durées. Depuis le 05 juillet 2018 Abdelaziz Bouteflika est surtout un cadre porté par des jeunes. La déchéance du Djinn paraît sans fond. Des chaines privées sont nées entre temps mais, elles ne sont toujours pas de droit algérien au moment où sonne le glas pour lui.
L’histoire drôle du Djinn qui habite la télévision des Algériens résume bien la relation du président défunt à la communication. Elle doit être le monopole exclusif de l’Etat, un outil de propagande de son action, et au sein de cette propagande elle doit travailler surtout pour la personne du chef. Lorsque Abdelaziz Bouteflika tombera le 02 avril 2019, son chef d’Etat major Ahmed Gaïd Salah héritera quelques mois de la boite du Djinn. L’histoire continue.