Un milliardaire chinois qui devient le premier actionnaire d’un groupe automobile allemand : qui aurait cru cela possible il y a encore à peine vingt ans, alors que la Chine ne faisait pas encore partie de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ?
En déboursant 9 milliards de dollars pour prendre le contrôle de 9,69% de Daimler, le fabricant de la marque Mercedes, Li Shufu, 54 ans, fils de paysans pauvres, ancien photographe et ancien vendeur de réfrigérateurs, vient pourtant de frapper un grand coup. L’opération est d’autant plus médiatisée qu’elle s’est réalisée dans le plus grand secret puisque l’intéressé a mené son affaire sans se déclarer, amassant des actions Daimler à la manière d’un passage en force de Vincent Bolloré.
Une soif d’acquisitions
Certes, l’homme n’est pas un inconnu. Cinquantième fortune de Chine, il est le fondateur et patron du groupe automobile (bas de gamme) chinois Geely (1,25 million de véhicules vendus en 2017). Il est aussi le propriétaire à 100% du suédois Volvo Cars dont les médias spécialisés affirment qu’il a réussi le redressement notamment face à la concurrence allemande dans le véhicule haut de gamme. A cela s’ajoutent 8,2% du capital d’AB Volvo (l’ancienne branche de Volvo qui produit aujourd’hui des poids lourds et des engins de BTP) et l’entreprise LEVC qui fabrique les fameux taxis londoniens sans oublier diverses participations au sein des constructeurs Lotus (Grande-Bretagne) et Proton (Malaisie).
Il y a quelque temps, Li Shufu avait tenté de convaincre la direction de Daimler d’accepter une prise de contrôle de 5% du capital du constructeur à la fois numéro un du haut de gamme et premier fabricant mondial de poids lourds. Une offre rejetée qui explique ce « raid boursier furtif » comme l’a surnommé la presse allemande. Désormais, les interrogations sont nombreuses. D’abord, Li Shufu bouleverse un ordre bien établi puisque, jusque-là, Daimler semblait plutôt enclin à renforcer son alliance à la fois capitalistique et technologique avec Renault-Nissan et Mitsubishi Motors. Avec l’irruption de Li Shufu, des éclaircissements de stratégie sont à attendre et, pourquoi pas, d’autres alliances capitalistiques.
Danger sur le « made in Germany » ?
Mais le plus important dans l’affaire réside dans l’inquiétude provoquée par ce raid en Allemagne. Pour de nombreux observateurs, ce que veut le milliardaire chinois, c’est la prise de contrôle du savoir-faire allemand en matière d’automobile, notamment électrique. Autrement dit, c’est le fameux « made in Germany », soit un label mondial prestigieux, qui est dans le viseur du patron de Geely. La ministre de l’Economie allemande Brigitte Zypries a estimé qu’il s’agissait-là d’une affaire courante mais a néanmoins estimé que l’ouverture économique de l’Allemagne ne devait pas être exploitée par d’autres pays. Plusieurs éditorialistes allemands ont rappelé que les firmes de leur pays n’ont jamais pu prendre le contrôle total d’une entreprise chinoise.
Des lois existent en Allemagne qui interdisent à un groupe étranger de prendre plus de 25% du capital d’une entreprise sans autorisation du gouvernement. Mais le raid de Li Shufu fera certainement date. Il montre bien quel est l’enjeu actuel. Les entreprises chinoises sont parties à l’assaut du globe et il n’y a pas que les matières premières qui les intéressent. Berlin va enquêter pour savoir si le milliardaire n’a pas contrevenu à la réglementation en ne déclarant pas les franchissements de seuils de 3% puis de 5% dans le capital de Daimler. Mais l’intéressé ne risque « qu’une » amende de 10 millions d’euros, voire un peu plus. C’est-à-dire pas grand-chose quand on ambitionne de pouvoir disposer un jour de l’une des meilleures technologies automobiles au monde.