Quand les mesures d’aide à l’emploi en Algérie, tuent la qualité du recrutement - Maghreb Emergent

Quand les mesures d’aide à l’emploi en Algérie, tuent la qualité du recrutement

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Le gouvernement a pris une série de mesures pour encourager l’emploi. Mais la bureaucratie a transformé ces décisions en une course d’obstacles qui pénalise les établissements et entreprises publiques.

 

Hamid a bouclé sa première année de travail. Il perçoit un salaire inférieur à 30.000 dinars. Employé dans un établissement public, il hésite. Certes, il a un emploi, mais en contrepartie, il perçoit un revenu très décevant, lui qui aspirait à nettement mieux, avec son diplôme d’ingénieur bac + 5, obtenu dans une grande école. Maigre satisfaction, il vient d’être convoqué pour signer un nouveau contrat d’un an, à l’expiration de son premier contrat, ce qui constitue, pour lui, le signe qu’il garde son emploi.
Mais son collègue, financier, en est à son quatrième contrat d’un an. Titulaire d’une licence en finances, bac+4, celui-ci est contraint, chaque année, de se faire tout petit, pour éviter de se voir renvoyer. Pourquoi serait-il renvoyé ? Parce que son chef pourrait signer un avis défavorable ; parce que son directeur aurait une autre personne à recruter ; pour d’autres raisons qu’il ignore, mais qu’il redoute. Il se retrouve ainsi dans une situation très précaire, alors qu’il occupe un poste relativement important dans l’établissement.
A côté d’eux, un chauffeur nouvellement recruté, perçoit entre 22 et 25.000 dinars, contre 25 à 27.000 dinars pour un agent de sécurité. Une dizaine d’années de scolarité pour une différence de salaire de trois mille dinars.
Le pré-emploi détourné par la bureaucratie
En fait, ces absurdités sont le résultat de nouvelles dispositions sur les mécanismes d’aide à l’emploi, appliquées de manière mécanique dans les administrations et les établissements publics. Le pré-emploi était destiné à favoriser l’emploi. Il l’a rendu précaire. Le recrutement ne se fait pas en fonction des besoins, mais en fonction des injonctions de la hiérarchie. A l’approche de la présidentielle, par exemple, des recrutements massifs avaient été décidés, et relayés dans tous les secteurs, sans tenir compte de leur utilité économique.
L’introduction du contrat à durée déterminée a rapidement transformé le recrutement en une simple mesure bureaucratique. La recrue est systématiquement soumise à une période d’essai d’une année, renouvelable. Y compris quand l’entreprise a besoin de personnel spécialisé. Ce qui débouche sur des situations absurdes. Un DRH, diplômé de l’ENA, raconte comment son établissement n’arrive pas à recruter un ingénieur en informatique BAC + 5. « Nous offrons un petit salaire, avec un contrat d’une année », dit-il. « Aucun ingénieur compétent ne l’accepte, ce qui nous condamne à sous-traiter une partie du travail, sans jamais être satisfaits».
Handicap
Le pré-emploi constitue un véritable handicap pour les établissements publics. Il les condamne « à un travail de mauvaise qualité », déclare l’ancien directeur d’un grand établissement public. « Ces établissements ne peuvent recruter les jeunes ou diplômés, innovateurs et mobiles, ce qui a une incidence directe sur la qualité du travail. Le service qu’ils offrent se détériore en conséquence, ce qui les contraint à s’appuyer sur un apport extérieur payé au prix fort, sans garantie de résultat », dit-il.
Cet ancien haut responsable évoque une mésaventure qu’il a suivie personnellement. « Deux ingénieurs en informatique avaient postulé chez nous. On les a convoqués pour un entretien d’embauche. On pouvait leur proposer 20.000 dinars par mois. Mais entre le moment où ils avaient déposé leur demande chez nous et le jour de l’entretien, ils ont trouvé des postes pour un salaire de 42.000 dinars », raconte-t-il, amer.
Mustapha Henni, spécialiste en relations humaines, relève l’existence de plusieurs niveaux de salaire : le plus élevé à l’international, devant le privé, les entreprises puis les établissements publics et l’administration. Là, « les salaires sont dérisoires », confirme-t-il, soulignant que cette situation a un impact direct sur le niveau de corruption. Mais il insiste d’abord sur ces deux points, qu’il juge « appauvrissants » pour l’administration et les services publics : la faible rémunération du savoir, et son impact direct sur la qualité des recrutements.
Egalitarisme destructeur
« Il n’y a pas de différence significative » entre le titulaire d’une licence et un non-diplômé (chauffeur, agent de sécurité, etc.), rappelle-t-il. « Cela dégrade le savoir et la technicité », alors que « les économies les plus dynamiques sont précisément celles qui valorisent le savoir », souligne-t-il.
Pour lui, « les meilleurs éléments sont recrutés par les multinationales, qui embauchent les majors de promo et diplômés des grandes écoles ». C’est une tendance qui risque paradoxalement de « s’accentuer si l’économie algérienne devient attractive ». Les entreprises publiques, avec leur lourdeur, ne peuvent rivaliser sur ce terrain. Mustapha Henni se demande même si ce n’est pas un choix délibéré. « Dans les établissements publics, les responsables en poste hésitent à recruter plus diplômés qu’eux, car ils sentent la menace », dit-il. Mais le plus inquiétant, pour lui, réside dans le dysfonctionnement du recrutement. « Un bureaucrate ne peut recruter un élément très spécialisé sans passer par une procédure lourde et contraignante. Cela se fait systématiquement au détriment de l’entreprise ».

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