Etymologiquement, le terme indépendance, issu du latin dependere, signifie « être suspendu à ». Ainsi, la Tunisie indépendante a bien été suspendue, et le demeure aujourd’hui, au bon vouloir de ses pourvoyeurs en aides précieuses, dont ses bailleurs de fonds.
Ce 20 mars, la Tunisie fête son indépendance en cette ère de la mondialisation aux réalités tellement imbriquées que l’autonomie nationale en devient illusoire. Comment alors fêter sa souveraineté par un petit pays qui est, comme c’est la norme, dépendant, non seulement de l’étranger, mais également de ses propres acteurs tenus de se soumettre aux réalités incontournables d’un monde où les puissants dictent leurs volontés directement ou indirectement ?
Comment, surtout, faire semblant d’ignorer cette réalité incontournable que la politique est désormais l’art suprême de servir au mieux les intérêts politiciens aux dépens de ceux du peuple, censés êtres les seuls servis? Peut-on, sans tromper ou se tromper, prétendre que les Tunisiens ne sont plus, aujourd’hui, tout aussi soumis qu’avant à un système d’oppression, sans libertés ni droits concrets, tant sur le plan international que national ?
Une dépendance avérée à l’international
Plus que jamais globalisé, le monde est un réseau de dépendances, soumettant les petits aux intérêts des grands. Aussi, sans tenir compte de cette réalité, la Tunisie ne peut célébrer son indépendance sa dépendance des puissances du jour étant bien réelle.
L’honnêteté intellectuelle et l’éthique politique imposent de tenir compte d’une telle évidence tout en contrant le discours erroné de qui cherche à en profiter pour oser, dans le sillage des ennemis sournois de la patrie, mettre en doute le patriotisme de figures insoupçonnables de traîtrise comme on l’a fait récemment pour Bourguiba, l’icône de la Tunisie indépendante.
Rappelons, à ce propos, qu’étymologiquement, le terme indépendance, issu du latin dependere, signifie « être suspendu à ». Ainsi, la Tunisie indépendante a bien été suspendue, et le demeure aujourd’hui, au bon vouloir de ses pourvoyeurs en aides précieuses, dont ses bailleurs de fonds.
On ne peut donc, sans vouloir mentir, prétendre à une indépendance illusoire quand on est lourdement endetté et que le système dont on relève nolens volens érige en valeur absolue le service de la dette, nonobstant sa nature, combien même elle serait scélérate. La Tunisie en sait quelque chose s’étant déjà retrouvée sous protectorat pour un précédent endettement.
Il faut savoir, toutefois, qu’on ne colonise plus territorialement, mais mentalement et virtuellement; ce qui est le cas de la Tunisie qui profite moins de ses supposés partenaires que ces derniers ne profitent d’elle et de ses richesses, ne serait-ce qu’en en faisant, avec la bénédiction des élites nationales, un marché florissant pour de juteuses affaires.
De la servitude volontaire
Une telle soumission n’est possible que du fait d’un certain volontarisme dans la servitude de la part des acteurs politiques au pouvoir en Tunisie. C’est bien leur servitude volontaire qui fait de l’indépendance toute théorique du pays une dépendance irrésistible et indépassable. Car la nature des rapports internationaux et la situation géostratégique de la Tunisie font qu’elle ne peut échapper à ce que son sort dépende des intérêts des puissances du moment.
La question n’est donc pas de nier une telle dépendance ou de prétendre à une illusoire indépendance que de faire en sorte, comme on le fait en homéopathie, que de cette dépendance ne soit pas totalement négative, sans profits, ou juste pour des privilégiés, la fameuse nomenklatura.
C’est le cas en notre pays bien que le monde ait changé et qu’on soit en cette ère des foules qu’est la postmodernité. Ce n’est pas seulement parce que le pouvoir central est faible qu’on y voit se multiplier les résistances populaires; c’est aussi du fait de ce nouvel esprit contestataire auquel on ne pourra plus échapper tant qu’on n’aura pas satisfait aux exigences populaires en termes de droits et de libertés. Ce qui suppose l’abolition de la législation de la dictature toujours en vigueur, continuant à opprimer le peuple, et la contestation des contraintes les plus injustes de l’ordre international.
Il n’empêche que se plier à cet ordre et refuser de tels droits arrange bien les détenteurs du pouvoir qui n’y tiennent que pour leurs intérêts, politiques et surtout idéologiques, les lois scélérates servant leurs desseins et l’actuel désordre mondial les intérêts des puissances étrangères qui les soutiennent. En effet, la législation honnie de la dictature est jugée nécessaire pour l’islamisation rampante de la société qui reste le projet primordial du parti islamiste et le maintien des privilèges et immunités des anciens profiteurs du régime déchu, qui se sont recyclés dans le nouveau système. Ce qui amène ces élites à continuer à demeurer soumises, de leur côté, aux lois injustes du désordre international, n’osant pas le contester, les intérêts des uns justifiant ceux des autres.
Aussi avons-nous cette Tunisie encore et toujours sous la botte de voleurs des rêves de la révolution virtuelle de sa jeunesse, un remake du conte d’Ali Baba et les quarante voleurs des songes populaires à la dignité que ne concrétisent que les droits et les libertés concrètes dans et hors du pays.
Une dépendance continue de l’ancien système
Ce qui définit le mieux la Tunisie est qu’elle est restée un pays zawali, soit pauvre, sa population étant, dans sa majorité, vulnérable, vivant au jour le jour une destinée incertaine, tremblée et tremblotante aux hasards des injustices subies dans un environnement légal, national et international, de contraintes et d’abus.
Pourtant, ce peuple est intelligent et ne manque pas de génie qu’il démontre quotidiennement à se sortir des impasses des lois et des abus des autorités, à survivre malgré la dictature de l’ancien régime restée en place et celle, encore pire, étant morale, des nouveaux profiteurs, les dogmatiques islamistes qui manient à merveille l’art décadent de la politique à l’antique consistant à simuler et à dissimuler, trompant en usant et abusant de la religion comme d’un commerce de la fripe.
En Tunisie, nombre d’acteurs de la classe dirigeante cultivent une déconnexion parfaite des réalités sociales comme une spécificité les distinguant du commun des mortels, ce qu’ils jugent en menu fretin indigne de leurs privilèges qui seraient le gage de leur supériorité autoproclamée. En termes d’expérience politique chez les uns, elle est, chez les autres, en termes de religiosité qui n’est qu’une foi islamique frelatée, n’ayant de l’islam que ce qui l’a marqué durant son histoire de tradition judéo-chrétienne. D’où le soutien qu’ils obtiennent bien trop facilement auprès de certains dogmatiques en un Occident réveillé à ses démons religieux, bien trop heureux d’avoir affaire à de telles caricatures d’une foi qu’ils n’ont plus besoin de stigmatiser ou de dénoncer son obscurantisme supposé, les siens le faisant amplement bien
Au vrai, le drame de la Tunisie d’aujourd’hui relève de la psychiatrie, une « connaissance par les gouffres » selon H. Michaux. Or, notre pays est bel et bien en mesure de dépasser cette sorte de « libération par la folie » à laquelle l’on assiste chez ses gouvernants par leur politique de la marge et cette pratique de la déraison à laquelle on assiste, chez les gouvernés, pour échapper à une pratique politique nullement éthique, viser une antipolitique en quelque sorte, comme on parle d’antipsychiatrie.
Pourtant, il n’est pas impossible de réinventer la politique chez nous; et il s’agirait moins du rejet pur et simple de la politique actuelle de folie politicienne que de sa prise en charge, avec la transformation de ses institutions « totales et totalitaires » par leur enracinement dans le réel du corps social. C’est ce qui aiderait à valoriser le génie des Tunisiens qui, dans un environnement légal scélérat mortifère, bricolent et se débrouillent, inventant des noyaux de résistance. C’est cela ce que je nomme l’Exception Tunisie ! Or, si elle impose des remèdes purement internes, une telle prise en charge ne saurait se faire que dans et avec l’environnement occidental de la Tunisie.
Contrer les dépendances
Cependant, la mondialisation fait que le pays ne peut être libre de se politique intérieure, empêchant que de sérieuses avancées en matière législative soient réalisées faute pour le pays d’être articulé à un système de droit qui fonctionne. Car la préférence du capitalisme mondial, qui impose sa loi en une Tunisie voulue en marché pour plus d’affaires et de profits, est pour un État de similidroit, une sous-démocratie, servant mieux se intérêts mercantiles.
Une telle vision des choses traduisant la réalité du désordre actuel du monde relève, pourtant, d’un ordre fini. Aussi, la politique et la diplomatie de la Tunisie doivent-elles oser refuser des contraintes devenues inacceptables s’exerçant au nom de concepts classiques de contrôle et d’abus, concepts obsolètes qui plus est d’une réalité se voulant totalitaire du fait de sa vacuité, comme la souveraineté, l’indépendance, l’aide au développement ou le sous-développement,
Du fait, à la fois, de sa proximité et de sa distance avec les intérêts européens, le sort de la Tunisie se joue avec l’Europe. Cela suppose que de tels intérêts deviennent également ceux de la Tunisie moyennant une adhésion à cette union. C’est de la sorte que les pauvres Tunisiens, considérés comme des citoyens de second ordre, cesseront de bricoler leur vie et se débrouiller en inventent des noyaux de résistance » au sein non seulement de leurs institutions injustes, mais aussi celles de l’Occident qui les définissent comme des populations à risque.
Il est temps d’agir en diplomatie afin d’articuler le mental, national comme occidental, au social; rompre donc avec cette diplomatie antédiluvienne qui ne fait que ramener le ressortissant des pays du Sud à lui même, le cantonner dans cette sorte de réserve en un monde devenu un immeuble où les humains sont empêchés de circuler librement entre les étages, et ce contrairement aux marchandises.
Dégonfler la baudruche libérale
Le modèle libéral est aujourd’hui incontournable, mais il ne doit pas se limiter à cette sorte de baudruche vide de sens, sinon de l’air de la suffisance. Quel management de soi peut-on avoir quand on n’a nul droit sur soi ni liberté dans sa vie privée, ce qui rend illusoire toute prétention au modèle qu’on veut imposer à la société tunisienne où l’on invite le citoyen à devenir entrepreneur ? C’est ce que prétend être, pourtant, le libéralisme mal compris.
Pour qu’il le soit, pour être le libéralisme des origines, il se doit d’abord cultiver, pour le citoyen, la possibilité d’être un entrepreneur de soi-même avec la pleine maîtrise de sa destinée par des libertés concrètes et des droits tangibles dans sa vie publique comme dans sa vie privée..
Après son coup du peuple, la société tunisienne s’est défaite; retrouvant une liberté qu’ils n’avaient plus, les Tunisiens se sont mis à en jouir comme d’une propriété alors qu’elle ne leur a été octroyée que tout juste en théorie. Aussi, c’est avec raison, celle de leur cerveau reptilien, qu’ils se laissent aller à une sorte de vagabondage initiatique dans les parages d’une telle autonomie, quitte à verser dans les larcins et la délinquance, sachant pertinemment qu’un tel état est provisoire, que leur liberté leur sera confisquée.
C’est que, dans une société où de nouveaux riches se sont ajoutés aux anciens, même le travailleur, sans parler du chômeur, vit mal sa condition d’aliéné. N’ayant rien d’autre à proposer que sa force de travail, il la vend, quand il le peut, à un prix toujours vil au profit d’entrepreneurs devenus rois et de plus en plus arrogants de richesses et de pouvoirs. Par ailleurs, la condition de la majorité des plus pauvres ne cesse de se dégrader, y compris dans la Fonction publique où, les solidarités anciennes se perdant, l’on est en train de passer de la société du salariat à une société du précariat, comme l’a déjà dit, pour la France, Robert Castel dans L’Insécurité sociale (Seuil, 2003).
En Tunisie, cela est le fruit de l’hégémonie actuelle du capitalisme financier qui, au nom d’une modernité illusoire, désenchantée au mieux, installe une montée irrésistible des incertitudes. Or, ainsi que l’assure encore Robert Castel qui vient de nous quitter, si l’avenir est incertain… le pire n’est pas forcément devant nous. Car lui aussi est incertain. L’avenir, c’est l’imprévu.
D’ailleurs, étymologiquement (du latin praevidere), l’imprévu veut dire voir d’avance. Ce qui suppose et impose d’anticiper le monde d’après selon la recette ici indiquée de plus de solidarité, de droits et de libertés. Elle est bien la seule susceptible d’éviter à la Tunisie les affres actuelles d’une fausse indépendance du fait du refus d’assumer une réelle dépendance pour en profiter dans le cadre d’un sort commun en un monde véritablement solidaire. Il est inévitable, effectivement, de domestiquer le marché et d’en finir avec nos sombres temps du précariat imposés par une modernité de plus en plus brutale et qui ne se gêne plus de demander toujours encore plus à ceux qui ont moins.
Pour qui observe objectivement le réel tunisien, il est évident que la condition misérable du peuple zawali n’est plus tolérable tout on n’ayant nulle chance de changer sans un concours extérieur, la Tunisie seule n’y pouvant rien. L’Occident, l’Europe en particulier, doit venir à son aide, et ce sérieusement et non comme cela se fait.
Car, aujourd’hui en Tunisie, comme hier en France et ailleurs en Europe, les classes laborieuses sont jugées comme étant des classes dangereuses, d’autant mieux que la société salariale fait pâle figure face à la fortune des entreprises et la prospérité des riches, anciens et nouveaux. Ce qui augure des pires scénarios en matière de fractures sociales si l’on ne s’attelle de suite à y parer en osant une solidarité véritable, donc juste et honnête.