9h30 du matin, sur le boulevard Amirouche, la circulation est fluide et la tension est perceptible. Il y a plus de policiers que d’habitude. Non-loin de là se font déjà sentir les échos d’une journée parlementaire historique. Bien avant notre arrivée des confrères nous ont appelé par téléphone pour nous informer, que les agents de sécurités de l’APN empêchent les journalistes d’accéder à l’hémicycle pour couvrir la plénière.
La session d’aujourd’hui est extraordinaire, elle a deux buts, déclarer Saïd Bouhadja incompétent et élire son successeur, un « successeur forcé ». D’ailleurs ce dernier se considère toujours comme président légitime de la première chambre parlementaire.
Arrivée au palais Zighoud Youcef, l’équipe de Maghreb Emergent, rejoint les journalistes à l’intérieur. La digue constituée par les agents de sécurité a fini par céder. La presse nationale et internationale s’est mobilisée pour couvrir cet événement. Les députés de la majorité qui ont demandé le départ de Said Bouhadja, sont là. Dans les coulisses les élus s’efforcent de garder leur calme, cacher leur euphorie pour certains et leur nervosité pour d’autres. Au final une ambiance ordinaire, règne dans les coulisses. Des groupes de députés et de journalistes échangent au sujet du processus de changement forcé du président de l’assemblée en l’absence de pression ou d’agitation. Aucun partisan de Bouhadja n’est présent, Les partis de l’opposition ne se sont pas présentés.
10h après avoir battu le rappel des élus, la première séance plénière démarre. 289 députés sont à leurs sièges dans l’hémicycle, il reste des fauteuils vides, 191 députés ont choisi de ne pas assister . Une plénière présidé par le député le plus âgé comme le dicte la loi. Il s’agit de Hadj El Ayeb du FLN. Le vote est rapide, la décision de déclarer Saïd Bouhadja inapte passe comme une lettre a la poste, 317 députés en incluant les 31 procurations, issus des formations du FLN, RND, MPA, TAJ et d’indépendants ont voté la vacance du poste de Président de l’Assemblée populaire nationale.
Une trentaine de minutes plus tard, la deuxième séance a eu lieu. Celle-ci été dédiée à l’élection du nouveau président de l’APN. Cette fois aussi, les députés issus des partis FLN, RND, TAJ, MPA, Karama et quelques indépendants votent de concert pour Mouad Bouchareb, ancien président du groupe parlementaire du FLN et candidat unique à la succession, forcée, de Saïd Bouhadja.
Un seul député indépendant, Belkacem Benbelkacem, a voté contre la vacance du poste du président Bouhadja et s’est abstenu de voter de Bouchareb comme nouveau “Patron” de l’assemblée. Il a déclaré a la presse qu’il ne soutien pas Bouhadja qui d’après lui, a commis une erreur politique, mais qu’il est contre la fermeture du siège de l’APN par les députés. « Bouhadja aurait dû sortir par la grande porte. Il aurait dû déposer sa démission, car ici il ne s’agit pas d’un problème juridique ou d’application de la loi, mais d’un problème purement politique » a souligné Belkacem Benbelkacem. « Mes actes d’aujourd’hui expriment mon opposition à la fermeture de la porte de l’APN par les députés de la majorité ».
Entre les deux séances de la plénière le député du parti de l’opposition, Front pour la justice et le développement (FJD), Lakhdar Ben Khalaf, a ravis l’attention. Il a martelé dans une déclaration faite à la presse que ce scrutin n’avait aucune valeur légale et qu’il s’assimilait à un coup d’Etat. Lui et la centaine d’élus de l’opposition seraient, selon lui, entrain de réfléchir à un moyen de protestation incluant la possibilité d’une démission collective. Il a notamment appelé les hautes autorités à dissoudre l’actuel parlement.
L’abstention de Belkacem Benbelkacem, la déclaration de BenKhalaf et à fortiori l’absence des députés de l’opposition, n’ont en rien ébranlé la joie de Mouad Boucharab et de ses partisans. Le nouveau président a pris la parole sous les applaudissements pour remercier ceux qui ont voté pour lui. Pour saluer le Chef de l’Etat et l’armée. Les félicitations ont duré plus d’une heure. Adulé comme une star Mouad Bouchareb n’a pas pu quitter hémicycle à cause de la présence impressionnante de la presse. Finalement c’est par la violence que les agents de sécurité de l’APN ont dispersé les reporters et ont évacué le nouveau président de l’APN.
16h la journée s’achève non sans questions restées en suspens : les partisans de Bouhadja vont-ils répliquer ? Que vont faire les partis politiques de l’opposition pour contrecarrer cette politique de fait accompli ? Quel sort se réserve Saïd Bouhadja, grand absent de la journée mais dont l’ombre hantait encore l’hémicycle ?