Libye - Pour Riadh Sidaoui, une intervention US sans l'accord de l'ONU serait illégale mais n'est pas à exclure - Maghreb Emergent

Libye – Pour Riadh Sidaoui, une intervention US sans l’accord de l’ONU serait illégale mais n’est pas à exclure

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Riadh Sidaoui dirige le Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (Genève). Il donne ici sa lecture du timing des bombardements américains du camp de Daech à Sebratha, en Libye et les répercussions sur les pays de la région d’une éventuelle « dispersion » des éléments de cette organisation suite à ces frappes US.

 

Maghreb Emergent : Les Etats-Unis ont bombardé un camp de Daech à Sebratha, alors qu’ils avaient toujours refusé les appels du gouvernement de Tobrouk à lutter contre cette organisation. Pourquoi ont-ils choisi ce timing ? 

 

Riadh Sidaoui : Cette intervention américaine en Libye était attendue. Cela fait des mois que la diplomatie et les médias américains la préparent. La question qui se posait c’était : sous quelle forme elle se passerait. Une intervention terrestre étant très coûteuse et compliquée (vu les expériences en Afghanistan et en Iraq), les Américains ont opté pour un bombardement sur Sebratha comme ils l’ont fait en 2011 contre Benghazi et Derna, avec un financement qatari, émirati et saoudien.

Quant aux raisons de cette intervention, elles recouvrent plusieurs aspects. Il est vrai que les Etats-Unis et le conseil de sécurité de l’Onu ont toujours refusé les appels à l’aide du gouvernement de Tobrouk élu démocratiquement en mai 2014, et ceux du général Khalifa Haftar dans son opération de dignité contre les bases de Daech à Derna et les milices de Benghazi et de Tripoli. Dans les relations internationales, les armées interviennent quand il y a des intérêts stratégiques et économiques. L’armée de Haftar mène son combat depuis deux ans avec l’aide des armes russes qui transitent par l’Egypte. Il était impératif alors pour les Etats-Unis d’intervenir dans cet espace. De l’autre côté, les Américains veulent affirmer qu’ils sont les maîtres du dossier libyen, après que les Français se sont investis militairement et économiquement en Libye en 2011.

Pourquoi ces bombardements se sont-ils produits quelques jours après la signature d’un accord sur la formation d’un gouvernement national ?

Je souhaiterais préciser ici qu’il n’y a pas de formation de gouvernement d’union nationale en Libye et que cet accord n’est que du papier. Il est difficile de mettre en place ce gouvernement étant donné que les forces politiques libyennes n’ont pas de pouvoir sur les milices et les groupes armés du pays. Nous avons Daech qui contrôle Derna, Syrte, et Sebratha. Benghazi est contrôlée par le Conseil de la révolution de Benghazi et d’autres milices. Tripoli est dominée par Fadjr Libya, dirigée par l’ancien combattant d’Al Qaeda Abdelhakim Belhadj, et l’est du pays est relativement maîtrisé par l’armée de Haftar. Pour créer un gouvernement il faut désarmer toutes les milices qui reçoivent leur appui des acteurs étrangers. Cela est contraire aux principes de l’Etat qui selon Max Weber, doit être le seul à avoir le monopole des armes.

Plus d’une soixantaine de Tunisiens ont été tués dans ce camp de Sebratha, et pas d’Algériens à notre connaissance. Comment expliquez-vous cela ?

La présence d’un grand nombre de terroristes tunisiens à Sebratha et partout en Libye tient ses origines des premières heures de la gouvernance de la Troïka en Tunisie.  Le fait d’avoir organisé la Conférence des amis de la Syrie  en février 2012 à Tunis, a encouragé les jeunes tunisiens à partir combattre en Syrie. Certains leaders du parti Ennahda avaient appelé également au djihad entre 2011 et 2013. Ces jeunes-là étaient nommés des « combattants » à ce moment-là, puis les « libérateurs ». A partir de 2013, leur appellation a changé : ils sont devenus « des djihadistes » puis « des terroristes » à partir de 2014. Lorsque les Russes ont commencé à bombarder les bases de Daech en Syrie, un grand nombre de ces terroristes ont fui vers la Libye via la Turquie, car en Libye il n’ya pas d’Etat.

Pour ce qui est de l’existence minoritaire des Algériens dans les groupes terroristes libyens et ailleurs, je dirais que cela est dû à l’excellent travail préventif des services de renseignements algériens. Chacun sait que l’ennemi numéro un des terroristes est un service de renseignements puissant. Or les services secrets tunisiens ont été démantelés en 2011, et il faut du temps, de l’argent et de la formation pour construire de nouveaux services secrets.

Que va-t-il advenir des bases de Daech en Libye selon vous ? Pensez-vous qu’il y aura une fuite des terroristes de Daech vers les pays voisins de la Libye ? Dans ce cas, les pays voisins ont-ils les moyens d’y faire face ?

Cela dépendra de la stratégie américaine dans le pays. S’ils ont une vraie volonté d’anéantir Daech, comme le font les Russes en Syrie, les éléments de ce groupe vont se disperser dans ce vaste territoire libyen. Selon les tactiques militaires, ils vont passer à une guerre de guérilla. D’autres vont former des cellules dormantes, et d’autres encore vont tenter de s’infiltrer dans les pays voisins. Il faut se rappeler ici qu’aucun pays ne peut faire face à l’infiltration des terroristes ou des contrebandiers ou autres groupes. Il n’y a qu’à voir l’impuissance des Américains face aux narcotrafiquants en dépit de leur grande préparation et leurs moyens sophistiqués. J’estime, cependant, que l’infiltration se fera par des éléments ou groupes isolés et non pas par une armée structurée.

Pouvons-nous nous attendre à une éventuelle intervention terrestre américaine ou autre en Libye ?

Les interventions militaires sont soumises au chapitre 7 de la Charte des Nations unies, qui les conditionne par l’approbation du conseil de sécurité. Mais comme il est arrivé que les Etats- Unis mènent des interventions sans l’aval onusien, cette intervention terrestre n’est pas à exclure. Si jamais elle arrivait à se produire, elle aura lieu pour sécuriser la Libye utile (dont le sous-sol regorge de richesses). Dans ce cas précis, on assisterait au scénario qui se répète d’intervention américaine légitimée par les pays du Golfe ou la Ligue arabe ou des pays de l’Otan ou d’autres comme l’Australie, etc. 

 

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