Pour le politologue tunisien Riadh Sidaoui, Directeur du Centre Arabe de recherches et d’Analyses Politiques et Sociales de Genève ( CARAPS), l’attentat du Musée du Bardo est une brèche dans l’histoire des services de renseignements tunisiens, réputés pour leurs performances.
Le terrorisme frappe la capitale tunisienne en plein cœur : devant le siège du Parlement tunisien et dans un haut lieu touristique de référence. Pourquoi ont-ils choisi le Musée du Bardo, et pourquoi maintenant?
Je voudrais dire tout d’abord que cette attaque était attendue, car elle s’inscrit dans le cadre d’une guerre longue et amère qui sévit dans la région, voire dans le monde. Ce sont les terroristes qui choisissent le moment et l’endroit de leurs actes. Ils ont bien choisi le moment, car cette prise d’assaut intervient après une série d’arrestation de plusieurs éléments appartenant à des groupes armés tunisiens-suite à la découverte dernièrement de grandes caches d’armes par les forces sécuritaires tunisiennes-, et surtout au surlendemain du discours prononcé par le Premier ministre Habib Essid, durant lequel, il rassurait les tunisiens de la liquidation massive des terroristes. C’est une manière de dire que nous sommes là, nous n’avons pas disparu, et nous possédons la force de l’action. Pour ce qui est du lieu de l’attentat, ces deux personnes armées ont visé l’industrie du tourisme, car le tourisme c’est le pétrole et le gaz de notre pays. Cet attentat visait donc, l’économie tunisienne dans son ensemble. Puis le Musée du Bardo qui témoigne de l’identité multiculturelle et multi civilisationnelle du pays. Cela est similaire aux destructions du musée de Mossoul en Irak par Daech. Aussi, la troisième cible, c’est le Parlement qui symbolise la Démocratie que refuse l’idéologie djihadiste. Je tiens à préciser ici que les deux terroristes portaient des ceintures d’explosives, mais ils n’ont pas eu le temps de les actionner, selon les affirmations des sources officielles.
Cet attentat est revendiqué, aujourd’hui, par Daech qui active en Tunisie à travers la katiba de Okba Ibn Nafie, qu’on pensait réduite il ya quelques temps. Cette organisation a-t-elle établi des bases solides en Tunisie ?
L’organisation de l’Etat Islamique est à la fois une illusion et une réalité. Une illusion, car cette organisation, en dépit de sa sur médiatisation, n’existe pas comme structure ou organisme hiérarchisé. C’est plutôt une forme locale de terrorisme, des cellules autonomes dans lesquelles activeraient des éléments venants des pays voisins. Daech est aussi une réalité, car tous les groupes djihadistes suivent la même littérature d’élimination de ceux qui ne se soumettent pas aux préceptes de la Charia, tels qu’ils l’interprètent.
La branche d’Okba Ibn Nafie qui revendique cet attentat opère sous deux formes différentes. Il ya le terrorisme citadin, appliqué à travers des opérations Kamikaze car ces jeunes savent très bien qu’ils seront soit arrêtés, soit tués. Cette forme de terrorisme est du ressort des brigades anti-terroristes affilées à la police nationale. Puis le terrorisme des maquis, relevant de la compétence de l’armée tunisienne. La lutte contre cette forme de terrorisme est un peu plus compliquée car les terroristes ont plusieurs endroits dans lesquels ils peuvent se retrancher.
Pensez-vous que les forces de sécurité tunisiennes ont les moyens pour faire face à d’autres menaces terroristes de grandes envergures ?
A vrai dire, l’armée tunisienne n’est pas habituée à ce genre de situation. Cet attentat est le premier du genre depuis la création de la République tunisienne. Nonobstant, cette armée doit sécuriser le mont Chaambi et surtout, les frontières sud avec la Libye, car tout le danger nous vient de ces frontières, bien que le caractère désertique de la région frontalière facilite le repérage des groupes terroristes qui s’infiltrent. Pour ce qui est de la police tunisienne, la problématique est différente, car le pays se caractérise par la force de cette police plutôt que par son armée. La police tunisienne est bien entrainée et formée, mais ce qui s’est passé est lu comme un échec de ses services de renseignements. Ils n’ont pas prévu, ni ils s’y sont préparés le cas échéant. C’est une brèche dans le fonctionnement.
La Tunisie, en dépit des menaces répétitives de ces derniers temps, n’a-t-elle pas pensé à renforcer la sécurité des ses endroits touristiques ?
On ne trouve dans aucun musée dans le monde des personnes armées jusqu’aux dents. Le musée est un lieu où l’on vient visiter et profiter. Ce n’est pas dans ce genre d’endroits qu’un pays montre ses angoisses et sa panique. Mais il a été décidé, dans la réunion qui s’est tenue aujourd’hui par les forces armées tunisiennes, de recruter 1000 agents à fin de sécuriser les endroits touristiques.
Pensez-vous qu’il y’aurait d’autres attentats similaires qui se produiront dans le pays ?
Sincèrement non. Le terrorisme a toujours été le fait de la minorité contre la majorité. Cette minorité est composée de jeunes désœuvrés, malheureux, sans repères et sans encadrement, toxicomanes et manipulés par des gens qui détiennent des projets politiques rationnels. A cela, s’ajoutent les milliers de jeunes qui s’entrainent actuellement en Libye et en Syrie. Je suis partisan de l’encadrement systémique des jeunes et de leur réinsertion à fin de les récupérer.