Les « succès » de M. Bouteflika, estime l’auteur* de cette contribution, sont factices, et les arguments en faveur d’un 4e mandat, le « développement des infrastructures » comme la « résolution de la crise du logement », peuvent être retournés contre le « candidat du système ». Pour Waël Hasnaoui, si Ali Benflis ne veut pas être réduit au statut de « candidat par défaut », il doit « développer une campagne qui engage la jeunesse à renouer avec l’ambition ».
Bien que l’Algérie recèle, Dieu merci, de nombreux brillants esprits, il semble, depuis quelques mois, que ceux-ci se perdent en conjectures face au rouleau compresseur d’une administration largement acquise, contrôlée et mobilisée pour faire reconduire Abdelaziz Bouteflika dans ses fonctions. Nombreux ont été les scénarios sur cette ultime bravade d’un système à bout de souffle. La presse s’est faite le relais de nombreuses rumeurs, parfois sombres parfois heureuses, et très peu d’analystes sont restés constants quant à l’implacable candidature de Abdelaziz Bouteflika à un quatrième mandat. Décidément, l’Algérie est un pays où l’improbable finit toujours par arriver.
Visiblement très diminué par la maladie, le regard hagard, c’est en recourant à un montage grotesque pour 37 mots prononcés d’une voix inaudible que l’on fait apparaître le candidat. Pourtant, ses zélés supporters nous assènent qu’il « est en grande forme » et qu’il souhaite « préserver et consolider la sécurité et la stabilité du pays ». Si le président est apte à diriger l’Algérie comme l’exige de lui la Constitution (dont nous n’en sommes pas au premier viol), alors qu’il fasse une conférence de presse, en direct, pour nous expliquer les raisons de sa candidature, à nous, peuple algérien. Qu’il explique son programme pour le pays, s’il en a un car, jusqu’ici, il s’est contenté de dépenser à tour de bras l’argent du pétrole et du gaz, l’argent du peuple. Exprimez-vous M. le Président, si une heure de votre temps est trop vous demander, parlez-nous vingt minutes, sans mise en scène et sans tambours. Vous réaliseriez la plus courte, la moins coûteuse et la plus efficace des campagnes électorales.
Objectif : faire durer le système
S’agit-il aujourd’hui d’une question d’égo ou bien le but recherché est-il celui d’entériner une « monarchie républicaine », dont la première étape serait la création du poste de vice-président.
Si la première éventualité, toute insultante qu’elle soit pour notre peuple, est plutôt de l’ordre de l’anecdotique, la seconde semble plus problématique pour l’avenir du pays.
La démarche du régime ressemble beaucoup à celle du FIS en 1991 : ce parti islamiste déclarait vouloir arriver au pouvoir par les urnes, démocratiquement donc, pour supprimer la démocratie et imposer la charia! Si le scénario d’un amendement de la Constitution après les élections se confirme, la question légitime sera de savoir qui sera l’« heureux élu » désigné et sur la base de quels critères. Quant à la question du pourquoi, il n’est d’autre réponse que la suivante : faire perdurer ce qu’on appelle communément « le système », une sorte de magma de codes, d’hommes, d’usages et d’habitues qui génèrent de gros avantages particuliers sans intérêt pour l’Algérie et qui a été renforcé depuis 15 ans par M. Bouteflika et les siens.
Ce « système » sait remplir les meetings de soutien au 4ème mandat. Il fait aussi s’exprimer des parlementaires qui vantent, à longueur d’émissions, les mérites du président. Il permet à Amara Benyounès d’insulter les opposants. Ce « système » a ses propres lois, choisit ses hommes, partage les rentes et méprise le peuple.
Des acquis imaginaires
La paix retrouvée, les infrastructures développées, la crise du logement gérée : ce sont là les arguments servis pour convaincre le dernier des sceptiques de la légitimité de maintenir M. Bouteflika et son « système ». Pourtant à y regarder de près, et sans être expert, on ne peut qu’être effrayé par le bilan catastrophique de 15 ans de gaspillage de nos ressources et de tentatives (quasiment réussies) de vider les institutions de leur substance pour les mettre au service de la mégalomanie d’un homme et de la cupidité de ses affidés.
Prenons l’argument de la « paix et de la stabilité ». Tout d’abord, tout le mérite revient ici au président Zeroual, car c’est lui qui avait préparé le terrain et Abdelaziz Bouteflika n’a fait qu’en récolter les fruits politiques. D’ailleurs, n’importe qui d’autre aurait eu le même résultat car le peuple n’en pouvait plus de côtoyer la mort au quotidien, de se réveiller et de se coucher la peur au ventre. C’est bien le peuple qui a ramené la paix, lui qui a accepté de pardonner à ceux qui n’ont pas tué. Non seulement Abdelaziz Bouteflika n’a aucun mérite dans ce domaine mais, en plus, en permettant à des sanguinaires de reprendre une vie tranquille, sans même passer une journée en prison, il a trahi le peuple. Ultime affront, ces hommes ont pu jouir des aides financières de l’Etat !
Prenons maintenant l’argument des « infrastructures publiques » comme cette fameuse autoroute Est-Ouest, qualifiée de « crime économique » par les experts. Plus de 12 milliards de dollars pour un résultat de très mauvaise qualité. Oui, à peine quelques mois après leur mise en service, des tronçons entiers doivent déjà être refaits ! Les aires d’autoroute n’ont pas été aménagées, il n’y a pas d’éclairage et le coût de la maintenance n’a pas été pris en compte alors qu’il est prohibitif. Il est vraisemblable que d’ici quelques années, cette autoroute nous coûte le double de ce que nous avons déjà dépensé. Sans parler, bien sûr, des affaires de corruption qui entachent ce projet. Le tableau n’est pas encore complet car il faudra noter que cette autoroute a essentiellement été construite par des entreprises étrangères, avec des équipements et des matières premières importées. Contrairement à ce qui est fait ailleurs dans le monde, là où les dirigeants ont le souci du développement de leur pays, Abdelaziz Bouteflika et ses ministres n’ont pas cherché à faire de ce gigantesque projet un moyen de développement, une vraie industrie de la construction, et à créer ainsi des milliers d’emplois durables. Non, ils se sont contentés de faire des chèques. Peuvent-ils sérieusement s’attendre à un plébiscite?
Concernant les fameux projets de logements, il en est de même. Ces logements ont été construits par des milliers d’ouvriers chinois, alors que nos jeunes sont au chômage. Ils ont été construits sans réflexion sur l’aménagement du territoire, sans penser aux services et aux infrastructures publiques, sans respect pour les normes ni d’esthétique et encore moins avec le souci d’économiser la consommation d’énergie.
Abdelaziz Bouteflika et ses ministres n’ont ainsi pensé à rien de tout cela. Ils ont pensé juste à faire des chèques et à entretenir l’illusion d’œuvrer pour le bien du peuple pour s’acheter une base électorale. Il n’est pas étonnant qu’ils nous servent cette sauce aujourd’hui pour nous faire accepter un N-ième viol de la souveraineté du peuple.
Une économie plus que jamais dépendante des hydrocarbures
Sur le plan économique, notre économie n’a jamais été aussi fragile et dépendante de nos exportations d’hydrocarbures (près de 68% du budget de l’Etat vient de la fiscalité pétrolière). La croissance dépend fortement des dépenses publiques. Nos exportations hors hydrocarbures représentent toujours moins de 4% de nos exportations totales, comme il y a 15 ans. Elles sont pauvres en technologie et atteignent difficilement 2,2 milliards de dollars, alors que notre voisin marocain a exporté en un an pour 4 milliards de dollars de voitures et pour 1 milliard de dollars de produits de haute technologie. L’industrie, qui représentait plus de 7% du PIB en 2000, est tombée à 4,6% du PIB aujourd’hui. Nos importations ont explosé alors que nos revenus d’exportation stagnent, si bien que le gouverneur de la Banque centrale s’est senti le devoir de tirer la sonnette d’alarme.
En 15 ans, aucune réforme sérieuse n’a été mise en œuvre. Bien au contraire, comme en témoignent la pénalisation de l’acte de gestion (une ineptie), la loi des 49/51, le Credoc, qui a favorisé les gros importateurs, etc.
Les faits sont têtus et rien ne peut justifier qu’un clan, une bande ou quelques-uns puissent autant accaparer le pouvoir et aussi longtemps. C’est pour toutes ces raisons que l’Algérie doit très prochainement changer de voie et faire barrage à l’obstination « suicidaire » du président actuel et de son « système ».
Les soutiens de M. Bouteflika aujourd’hui doivent mesurer sur quoi est construit leur château et vérifier, dans l’histoire récente du monde arabe, les conséquences de l’arrogance des Ben Ali, Kadhafi ou Moubarak. Les mêmes causes, produisent les mêmes effets ! Même si aujourd’hui, un changement au prix du désordre et de l’instabilité ne saurait rencontrer un assentiment majoritaire, l’entêtement des uns provoque la radicalisation des autres. Cela pourrait, dès demain, s’exprimer violement dans la rue.
Des risques de dérapage
Le mouvement Barakat est né et il va se développer. Avec la même détermination, les mêmes moyens et les mêmes méthodes que ce qui a été éprouvé en Tunisie ou en Egypte. Il a déjà un logo, un hymne, une parfaite maîtrise des réseaux sociaux et du « buzz ».
Ses fondateurs ont sans doute une démarche sincère et nul doute qu’il fera tâche d’huile. Il emploie des méthodes modernes, diffuse ses idées sur les réseaux sociaux, « markette » son message dans toutes les langues et prouve qu’il fait réagir l’Etat grâce aux images de ses membres embarqués manu militari par la police, qu’il diffuse sur les plateformes de communication. Est-il juste assez structuré pour demain ne pas se laisser dépasser s’il est rejoint par d’ éventuels « indépendantistes » ou par les islamistes ?
Cette perspective pose une réelle question : l’Algérie n’a t elle d’autre choix que Bouteflika ou le chaos ? Non, fort heureusement ! Il y a en effet, une échéance électorale, le 17 avril. Voilà un premier tour qui réunit l’affiche du second tour de 2004 : M. Bouteflika vs M. Benflis. Contre toute attente, celui qui aurait pu être le candidat du « système » si le premier avait compris que son heure était venue, se retrouve dans la posture du candidat « anti-système ».
Quand, muet depuis plus de 18 mois, M. Bouteflika donne de lui-même l’image de quelqu’un qui ne pense qu’à la prochaine élection, M. Benflis, dès son retour, annonce qu’il n’a en tête que la prochaine génération. Bien sûr, l’obstination du fantôme d’El Mouradia et de son clan et l’abandon de la course par des prétendants crédibles peuvent laisser penser que cette élection est fermée et que M. Benflis est hors jeu. Cependant, l’effet de ses récentes apparitions montre qu’il n’est pas en dehors du jeu. C’est bien là l’essentiel. Cet homme peut maintenant se positionner comme une réelle alternative au « système » et incarner le front « Tout Sauf Bouteflika ». Ce ne serait donc plus une question idéologique : voter pour M. Benflis s’imposerait aux Algériens pour dire « stop » à la ruine vers laquelle nous mène le clan d’en face.
Se battre en votant
La plus grande marche qui ne sera jamais réprimée doit être celle vers les bureaux de vote, le 17 avril prochain, pour voter ou pour surveiller. Ce sera le match des Algériens contre le « système » et la meilleure des preuves de la fierté de notre peuple.
Mais M. Benflis, accepterait-il d’être réduit au « candidat par défaut » ? Si lui-même et ses conseillers pensent que non, ils devront développer une campagne qui engage la jeunesse à renouer avec l’ambition. C’est avec la promesse d’un « succès générationnel » qu’il devra mener la bataille.
Il devra dire ces mots : « Notre pays est cassé moralement et économiquement. Notre potentiel n’a jamais été utilisé comme il se devait. Notre industrie a disparu, notre économie arriérée gaspille notre énergie, nos institutions, tous les jours, nous humilient. Sachez pourtant qu’il serait injuste que vous attendiez que tout vienne de moi ! Moderniser l’Algérie implique la participation et la responsabilité de tous. Nous devrons collectivement accepter des sacrifices et casser tous les systèmes pour consacrer le droit. L’administration doit revenir au service du peuple. L’économie doit permettre une amélioration du niveau de vie. L’école doit de nouveau former plutôt que formater.
L’exigence doit couler dans nos veines comme une valeur unique. Vos doutes à mon sujet sont peut- être légitimes : j’ai occupé de hautes fonctions au sein de l’Etat. Mais si je suis du système, que dire du policier qui vous empêche de vous exprimer et qui est votre cousin, votre frère ou votre voisin ? Que dire des deux millions de fonctionnaires qui travaillent pour une administration qui vous étouffe et qui veut aujourd’hui vous voler votre vote ? Aujourd’hui, vous avez le choix : le choix de l’engagement à mes côtés pour changer pacifiquement ce régime ou celui du défaitisme en laissant le statu quo accentuer l’instabilité de notre pays et le plonger dans une descente aux enfers. Je promets devant vous que je transmettrai le pouvoir aux nouvelles générations, que j’œuvrerai à un renouveau algérien pour consacrer le développement économique et social et une société des libertés. Je vous exhorte dès aujourd’hui à vous mobiliser en masse contre moi si je ne tiens pas mes engagements. »
Voilà comment M. Benflis devra parler pour remporter l’adhésion. Il devra prendre des engagements démocratiques dans le langage du cœur et de l’espoir. Son programme devra être concret et mesurable , ce qui permettra, à coup sûr, d’accentuer le contraste avec les faiblesses du rival qui nous promet simplement une grande mosquée. S’il parvient à installer cette image, c’est avec d’autant plus de motivation que le peuple marchera pour l’Algérie et contre ses ennemis. Et cette fois, à la différence de 2004, il sera là, présent pour occuper les bureaux de vote, filmer, enregistrer, montrer, se servir des moyens modernes pour faire barrage à la supercherie des « Oujdis ».
L’occasion est trop belle pour notre génération de retenir qu’il en est de la politique comme du judo : se servir de la force de l’adversaire pour le retourner est une technique toujours gagnante.
Mais nous vous le disons M. Benflis : si vous arrivez à nous convaincre de votre bonne foi, ce n’est pas un chèque en blanc que nous vous ferons. Si c’est le peuple qui vous élit, il sera là pour évaluer votre action et sortira dans la rue si vous ne changez pas ce système dont nous ne voulons plus.
(*) Waël Hasnaoui est consultant en Marketing. Il s’intéresse particulièrement aux questions de communication politique et aux stratégies électorales.