Enfin ! C’est enfin fini ! Cette journée aux allures de vaudeville passablement agaçant et surtout très ennuyeux s’achève enfin. Une journée durant, nous avons été contraints de faire semblant d’être dans un pays à l’exercice démocratique vigoureux.
Toute la journée, les médias nationaux nous ont servis les images de bureaux de vote vides dont les taux de participation atteignent cependant parfois 60 voire 70% à Oran, paraitrait-il. Dommage, personne n’était là pour filmer. Toute la journée, nous avons eu le droit aux multiplies sorties du ministre de l’Intérieur, Noureddine Bedoui, nous annonçant la progression de cette obsédante participation qui devrait officiellement avoisiner les 42%, comme en 2012. Et comme en 2012, nous aurons une législature partagée entre deux partis de la « majorité », le FLN et le RND, qui ne représentent pas grand monde. Comme en 2012, la vie continuera son cours sans que personne ne puisse citer le nom de plus de trois députés – « Spicifik », n’étant pas un nom. La triste surprise viendra sans doute le jour de l’ouverture de la session parlementaire, quand nous découvrirons enfin les visages des députées fantômes que l’électorat algérien aura élu. Croyez-moi, combien aurais-je aimé mettre un « nous » à la place de « l’électorat algérien », mais cela aurait été un mensonge, car je n’ai pas fait partie de cet électorat.
Je suis fier d’appartenir au premier seul et vrai parti de l’Algérie, l’abstention. Ne vous méprenez-pas, je suis jeune, et on dit souvent de nous que nous représentons par excellence le désintérêt de la chose politique. Faux. Nous sommes politisés, ou du moins, nous avons des idéaux, ce qui est à la base de toute action politique. Hélas, de loin comme de près, aucun parti politique ne saisit ces idéaux. La plupart n’ont de toutes manières pas de programme. Ils ont monopolisé les plateaux de télévisions, les pages de quotidiens, les salles communales pour des meetings interminables, et pourtant, il m’est impossible de citer la moindre mesure concrète défendue par les différentes listes ayant participé à ce scrutin. Bon, je confesse, je suis dur, et de mauvaise foi. Je sais que Naima Salhi veut régler le « fléau du célibat » – si tant est qu’il s’agisse d’un fléau – par la polygamie. Elle fait bien d’une pierre, deux coups, puisqu’elle règle aussi la question de l’adultère. Je viens enfin de comprendre. Je n’ai rien retenu parce que les idées défendues par nos candidats sont tellement protéiformes, tellement efficaces, que mon pauvre cerveau est incapable de comprendre de quoi il relève. Voilà, si j’avais su à temps, j’aurais voté.
Pauvre de moi, âme en peine qui ne voit pas que Djamel Ould Abbès, du haut de sa folle jeunesse octogénaire est le mieux à même de défendre mes intérêts, bec et ongles ; qui ne voit pas qu’Ahmed Ouyahia représente le renouveau du haut de ses décennies fructueuses passées au pouvoir ; qui ne voit pas qu’ils défendent tous deux le même sacro-saint « programme présidentiel » porté par Bouteflika et dont ils savent aussi peu que je sais, puisque le programme et celui qui le porte, ont la folle capacité de radicalement changer au gré des circonstances et de s’adapter à toute situation. Je sais aussi que la législature saura elle s’adapter quitte à se contorsionner, pour épouser les flux et reflux du « programme présidentiel ». De même, je sais que je peux compter sur « l’opposition » – du moins celle qui participe – pour crier haut et fort son désaccord, vociférer son indignation, cracher son mépris contre les orientations du pouvoir. En revanche, je me demande si cette fois, celle-ci aura la brillante idée de proposer un contre-projet. Ceci dit, si tel était réellement le cas, nous l’aurions entendus, n’est-ce-pas ? A moins que ce ne soit le système qui se ligue contre les opposants pour en faire de simples faire-valoir inaudibles d’une pluralité politique aussi fantomatique que les « fantômettes » des listes du parti de Mme Salhi.
Face à ce carnaval de désolation, face à ce gloubi-boulga indigeste, à cette morosité ambiante, à cette médiocrité quasi-généralisée, à cette pièce de théâtre de l’absurde mal ficelée, il en existe encore certains – je vous assure – qui me pointent du doigt au prétexte que j’ai refusé « n’sma3 sawti », cette douce voix qui n’intéressent pourtant pas grand monde et qui est néanmoins sollicitée épisodiquement pour asseoir la légitimité d’une politique, qu’ensuite – comme nombre de mes compatriotes – j’aurais à cœur de critiquer. Et là encore, on me vilipendera parce que je fais preuve de mauvais esprit et que je ne suis qu’un « casseur » d’initiatives, de changement. Mais qu’importe. Je ne vote pas, et je le revendique. Qu’ils aillent dire que je ne remplis pas mon devoir citoyen, que je refuse d’exercer un droit qui m’est octroyé, que je minimise l’exercice pseudo-démocratique. Si j’avais été contraint de voter, j’aurais voté blanc comme les quasi 60% des Algériens qui n’ont pas jugé utiles de se déplacer aux urnes. Blanc parce que personne ne me représente, blanc parce que les hurlements des uns, l’emprisonnement des autres durant la Guerre et les menaces des autres, ne cachent malheureusement guère l’absence de projet, de vision, ne masquent pas le vide qui a pour fâcheuse tendance d’occuper l’ensemble de l’espace qui lui est laissé. Pas de chance.
Plus encore, si le vote blanc avait été comptabilisé, je me serais déplacé. Je me serais déplacé pour dire aux candidates et candidats, non ; non à chacune et chacun, non à votre populisme, non à votre refus de voir 2017 en face, non à l’immobilisme, non à tout. Mais dans sa réforme constitutionnelle de l’année dernière, Ahmed Ouyahia, qui ne cesse de nous clamer qu’il s’agit du texte de la respiration démocratique par excellence, a sans doute omis de mettre en place un mécanisme qui permette de prendre en compte le « non » des Algériens. Je me serais fait un plaisir de lui souffler l’idée s’il m’avait convié à ses larges consultations. Hélas, moi simple citoyen, n’avait pas la stature de Madani Mezrag, pour faire entendre ma voix quand celle-ci aurait pu compter. Personne n’a daigné donner la parole aux Algériens – cette fois je le dis – n’a daigné nous donner la parole quand il s’agissait de reconstruire le texte fondateur de notre République, et maintenant on érige mon refus de départager Mesdames Salhi et Rabhi comme déni d’exercice démocratique. Je dis « non ». Je mérite mieux que ça. Nous méritons mieux que ça.
Alors, évidemment, je me suis abstenu, et je m’abstiendrai encore tant que nos élections se résumeront à une tragi-comédie intellectuelle de l’enfoncement collectif à marche forcée. D’aucuns diront que je ne représente rien, au mieux moi-même, un jeune déconnecté des réalités du terrain – sans justifier cette allégation, bien entendu – mais mon terrain à moi, c’est celui des 60% d’Algériens qui ont, comme moi, dit « non ». Après tout, dans une tragi-comédie, la réplique la plus cinglante, la plus éloquente, est le silence.