Dans cette deuxième et dernière partie, Ali Kahlane, Président de l’Association des Opérateurs des Télécoms Alternatifs, traite du commerce électronique, des freins qu’il rencontre en Algérie, ainsi que du cadre juridique et des domaines à développer nécessaires à son essor.
Les freins au développement du e-commerce en Algérie sont nombreux et sont de plusieurs ordres et à plusieurs niveaux. Il s’agit, entre autres de : la disponibilité́ pratique des équipements et des moyens individuels de paiement, la sécurisation et l’encadrement légal, une rentabilité́ qui ne semble pas évidente pour les commerçants, les mentalités d’acquisition de biens et/ou services et enfin notre relation à l’argent qui guide in fine les usages d’achats.
Annoncé depuis des années, la disponibilité́ des cartes de paiement est toujours loin d’atteindre la masse critique aussi bien chez les usagers des banques que ceux d’Algérie Poste. Cette dernière vient d’annoncer qu’elle va distribuer 5 millions de cartes et mettre à la disposition des commerçants 50.000 TPE, cela devrait s’ajouter aux 2 millions de cartes déjà̀ en circulation et aux quelques 15.000 TPE qui seraient installés d’ici la fin de 2017.
L’avant-projet de loi sur le e-commerce prévoit de rendre obligatoire l’installation des TPE chez les commerçants dès 2018.
Une décision qui permettrait d’améliorer la traçabilité́ des paiements, de router une partie de l’argent informel vers les banques, et surtout de mettre en place des réflexes à l’établissement d’une économie numérique. Il reste à s’interroger sur la justesse et l’efficacité d’imposer au commerçants d’installer des TPE. La contrainte ne règle rien. Il faut plutôt montrer au commerçant, avec pédagogie, l’intérêt pour lui d’installer un TPE, comme l’augmentation de son chiffre d’affaires. Ce travail de communication devrait se faire avec les commerçants qui seraient près de 70% à ne pas savoir utiliser un ordinateur, selon les chiffres de l’Association nationale des commerçants et artisans algériens (ANCA). Il faut mettre en place des mécanismes qui rendent l’utilisation des cartes de paiement attractive avec un gain envident.
Un cadre juridique à développer
Le manque de cadres réglementaires pour clarifier les rôles et les responsabilités des banques, des opérateurs et des intermédiaires tels que les e-acheteurs, les e-marchands, bloque le développement du e-commerce en Algérie. De tout temps, que cela soit chez nous ou dans le monde, l’usage et ce que l’utilisateur en fait, ont toujours précédé́ les lois et règlements qui s’en inspirent grandement pour s’écrire et se faire promulguer. L’adoption de la loi sur le commerce électronique qui vient d’être présentée au dernier Conseil des ministres en est une preuve.
Les meilleurs articles de loi sont très souvent incomplets, très vite dépassés, pour certains d’entre eux s’ils ne sont pas suivis par les bons textes d’applications qui les adaptent à la réalité du terrain surtout lorsque ce terrain est aussi versatile technologiquement et rapide dans ses ruptures. Il est donc préférable que les lois ne soient plus aussi explicites temporellement et surtout aussi restrictives comme au « bon vieux temps », sous peine de se voir dépassées avant leur application et, par conséquent, être un frein à la transformation numérique des institutions et des entreprises.
Les paradigmes ont changés, nous avons dorénavant besoin de législateurs 4.0 pour accompagner des députés 3.0 et un Gouvernement qui doit être au moins 2.0.
Sécurité́ optimale du commerce en ligne
Certains mettent en avant l’aspect sécurité informatique et piratage pour exprimer leur réticence vis-à-vis de ce mode de paiement. Dans l’absolu, il est vrai que le risque existe et il est même double. Le premier est intrinsèque à la carte de paiement qui peut être volée ou, pour certaines, répliquées. Le second est que l’opération de paiement en ligne à travers Internet n’est pas non plus sans risque.
La sécurisation des transactions à travers Internet est indispensable, encore plus lorsqu’elles sont complètement dématérialisées. La bonne nouvelle est que les méthodes et les techniques pour sécuriser aussi bien la carte de paiement que les transactions en ligne existent et sont totalement prises en charge pour assurer leur confidentialité et leur intégrité.
Les cartes de paiement qui répondent à la norme EMV (EuroPay, MasterCard et Visa) rendent pratiquement impossibles toutes fraudes, tout en réduisant les coûts de protection et d’assurance d’une manière drastique.
En ce qui concerne la sécurisation des opérations en ligne, des méthodes de plus en plus performantes existent pour limiter au minimum toutes les formes d’actes malveillants, dont celle dénommée « 3D Secure ».
La tendance, à moyen et long terme, est la disparition progressive de la carte de paiement physique qui sera à terme transférée vers le mobile ou un objet connecté équivalent. En attendant de s’en passer, elle a encore de petites belles années devant elle, aussi bien chez nous qu’à l’étranger.
Ce qui est important, c’est améliorer et pérenniser ce que nous avons déjà en terme d’infrastructures Internet et surtout, d’assurer une qualité de service indispensable pour le fonctionnement des paiements électroniques. Car ce type d’applications hautement sécurisées demande un lien qui ne doit souffrir ni de micro coupures encore moins de pertes de connexion.
En plus de la sécurisation des opérations qui doivent passer par des plateformes technologiques certifiées électroniquement, le client qui achète en ligne doit être protégé du début de la transaction jusqu’à son aboutissement par la bonne livraison du produit ou service commandé.
Le marchand a aussi droit à la même protection contre toutes fraudes ou arnaques pouvant survenir durant les transactions qu’il aura à traiter. Le projet de loi en cours d’examen doit normalement avoir prévu tout ce qui pourrait mal tourner pour protéger les uns et les autres.
L’essor du e-commerce dans le contexte algérien
L’économie moderne, en particuliers lorsqu’elle se numérise, est entièrement basée sur l’inclusion financière du plus grand nombre. Il revient aux pouvoirs publics de créer et de favoriser les environnements nécessaires pour que les institutions financières ainsi que les banques les valident réellement sur le terrain. Il est important que tous ceux qui sont en âge de le faire soit concernés. Tout doit être fait pour éviter l’exclusion d’une partie de la population soit par manque de moyens, de culture, de genre, d’accès ou tout simplement pour cause de ruralité.
Le commerce électronique est un des moteurs de l’économie numérique. Sa participation au PIB des pays grimpe d’au moins 3 points chaque année. Il est aujourd’hui un vecteur de croissance, de productivité́ et de compétitivité́, aussi bien pour l’entreprise, les particuliers, ainsi que pour le pays lui même dans son fonctionnement général. Son caractère transversal impacte tous les secteurs de l’économie. Il est également à l’origine des nouveaux secteurs innovants, et s’est transformé en un mode d’échange avec des implications qui vont bien plus loin que les technologies de l’information et de la communication telles qu’on les connait.
En plus des impacts observés sur la croissance économique d’un pays, du commerce électronique aura un effet disruptif certain sur tous les secteurs d’activités et sur l’économie en général. En effet, les comportements des consommateurs changent pour s’adapter, le fonctionnement et l’organisation des entreprises se transforment, notamment par l’amélioration des chaines de valeur, des processus de production, d’organisation et des business model qui doivent être remis en question en permanence pour coller à la réalité́ numérique où tout va vite, très vite.
Les domaines à développer pour servir le e-commerce
Les secteurs du numériques qui recèlent le plus d’opportunités d’investissement se trouvent actuellement dans cinq domaines clés qui sont : la fourniture d’accès en haut et très haut débit, le montage et/ou la gestion de Data center, le Cloud, l’étude et la gestion du Big Data, et la maitrise et le développement de l’Internet des objets (IdO).
La connexion : Algérie Télécom se doit d’avoir des partenaires pour l’aider à couvrir le pays en nombre et en qualité́ de services Internet fixe.
Les Data centers : pour développer et promouvoir le contenu numérique local tout en assurant une sécurité́ aux données en les maintenant en Algérie, et économiser des devises.
Le Cloud : Incontournable à tout développement d’une économie numérique, il permet une économie d’échelle en termes d’équipements et de logiciels.
Le Big data : ou les données massives, générées par l’homme et les communications machine à machine.
L’Internet des Objets : Un objet, dans l’Internet des objets, pourrait être un implant cardiaque, des capteurs intégrés dans une voiture, ou tout autre objet à qui on peut affecter une adresse IP (Internet Protocol) avec la capacité de transférer des données sur le réseau, des données qui vont aller grossir le Big Data et se retrouver dans le Cloud pour en simplifier encore plus l’accès et le traitement et simplifier la vie de l’homme.
Ali Kahlane : Ph.D, Brunel University (Londres). Président de l’Association des Opérateurs des Télécoms Alternatifs. Membre du Comité Sectoriel Permanent de Recherche Scientifique et de Développement Technologique du Ministère de la Poste et des TIC. Ancien professeur à l’Ecole Militaire Polytechnique (ex-ENITA, Bordj-el-Bahri). [email protected], LinkedIn : alikahlane.