La présentation du nouveau modèle de croissance a laissé les participants à la tripartite sur leur faim. Faute d’objectifs chiffrés et d’agenda précis. Un choix politique attentiste de Sellal. Un de plus.
Abdelmalek Sellal a « enfumé » la réunion tripartite de ce dimanche 06 juin en gardant par devers lui les propositions quantifiées de la Task Force d’experts indépendants qui préconisent, notamment, d’agir sans délai pour engager le changement de modèle. Le premier ministre était fier d’annoncer que le gouvernement « a eu recours à des ressources expertes hors administration afin d’éviter les erreurs de ceux qui sont en dedans ». Mais le scénario chiffré que comporte l’un des rapports produit par cette Task force est resté loin des yeux des participants à la tripartite. En contre partie de quoi la formule « la transition vers le nouveau modèle de croissance se mettra en place graduellement » ; a été hissé en slogan officiel du jour dans les allées de Djenan El Mithak ou s’est tenue la tripartite devant tordre le cou à des décennies d’économie de redistribution de la rente pétrolière. « Graduellement d’accord, mais quand débutons nous, et à quelle allure avancerons nous pour arriver ou ? » s’interrogeait hier soir un participant chef d’entreprise. Le premier ministre Abdelmalek Sellal est resté évasif sur les objectifs chiffrés et l’agenda du cadrage budgétaire pluri annuel dont il a pourtant parlé plusieurs fois durant la journée. Son ministre des finances Abderrahmane Benkhalfa n’en a pas dit plus. La vérité est que le premier ministre a choisit de ne pas dévoiler le contenu précis de ce cadrage budgétaire pluri-annuel car il implique d’assumer automatiquement dès la première année des objectifs de maitrise du déficit budgétaire bien supérieures à la trajectoire budgétaire dessinée en 2015 et en 2016 par le gouvernement. Le premier ministre a même distillé un message contraire au sujet du caractère pressant du changement de modèle par l’ajustement des dépenses aux revenus avant la diversification de ces revenus. Il a insisté sur la capacité de résistance de l’économie algérienne au contre choc pétrolier en cours qui maintient un seuil acceptable de croissance, une bonne maitrise de l’inflation, un niveau de réserves encore élevé (finalement 136,9 Mds), un faible endettement extérieur et des crédits à l’économie toujours en expansion.
Report jusqu’à épuisement des marges
Dans la bouche des membres du gouvernement algérien « le gradualisme » dans la réforme n’étais pas loin de signifier, hier lors de la réunion tripartite, son report sine die si la contrainte des déficits extérieurs ne s’amplifie pas dans les prochaines années. Le départ du gouverneur de la banque d’Algérie Mohamed Laksaci, a accentué cette impression de consensus rétablit sur la possibilité de gagner encore du temps, en se cachant derrière le gradualisme. Laksaci était le plus enclin à engager un ajustement (par la dévaluation du dinar) depuis deux ans que le choc externe déstabilise le modèle de croissance algérien tiré par la dépense publique. Le ministre des finances, Abderahmane Benkhalfa, en reportant toutes les mesures de fait à la date d’épuisement des marges financières, incarne le nouveau statu quo. « Il a parlé comme si nous étions en juin 2015 » épiloguait un participant. Pendant ce temps, le FRR n’est plus cité dans les prévisions et les réserves de change ont fondu de plus de 30% de leur solde en deux ans.
Pour rappel les membres de la Task Force réunis auprès du premier ministre en décembre 2015 sont le professeur Chemssedine Chitour, polyctechnicien, spécialiste de l’énergie ; du professeur Abdelhak Lamiri, économiste, spécialiste du management stratégique ; du professeur Raouf Boucekkine, économiste, spécialiste de la croissance et du changement institutionnel ; du professeur Rafik Bouklia-Hassan, économiste, spécialiste des politiques industrielles ; de Adel Si Bouekkez, économiste, spécialiste des marchés financiers ; et d’Alexandre Kateb, économiste, spécialiste des marchés émergents. L’un d’entre eux, le professeur Abdelhak Lamiri a publié en octobre 2013 un livre intitulé la « décennie de la dernière chance » (éditions Chibeb). Il rappelait lors d’une conférence le 1er mai dernier, sur le coût du non Maghreb à l’invitation du RCD, que la moitié de la décennie avait déjà été perdue. A Djenan El Mithak ce dimanche 06 juin le sentiment le plus répandu était que l’autre moitié sera vraisemblablement perdue aussi.