Alors que les États-Unis réduisent leur aide à la Tunisie, l’Union européenne entend l’augmenter ; mais c’est la France, forte de ses relations historiques avec le pays, qui cherche à jouer le beau rôle*.
La dernière visite de travail en Tunisie du ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères laisse deviner un nouveau départ entre les deux pays. M. Jean-Yves Le Drian, dont c’était le premier déplacement en dehors de l’Europe depuis sa nomination, a ainsi annoncé la création d’un Haut conseil de coopération franco-tunisien dont la mise en place est prévue d’ici la fin 2017 en Tunisie en présence des deux chefs d’État tunisien et français.
Refonder les rapports tuniso-français
Au-delà de réaffirmer l’importance accrue que la France accorde au développement de ses relations avec la Tunisie, ce Haut Conseil aura pour ambition de confirmer la réussite de l’expérience démocratique tunisienne, et ce par des mesures concrètes et originales. Ce qui, assurément, ne fera que consolider encore plus la coopération franco-tunisienne dans tous les domaines, et pas seulement ceux connus et convenus, tel celui de la lutte contre le terrorisme.
Il est vrai, le terrorisme est une réalité incontournable au vu des défis actuels ; mais c’est un phénomène systémique, se nourrissant d’un terreau composite fait de lois injustes et de comportements erronés, de pratiques antiques et de politiques dépassées. Ce qui lui donne une assise mentale nourrissant ce terrorisme mental qui est à l’origine du terrorisme physique.
Des réformes autant courageuses que novatrices s’imposent donc et devant toucher l’arsenal juridique, national comme bilatéral, dans le domaine social et culturel, en plus des leviers politiques et économiques, et ce afin d’aménager la plateforme idoine de nature à ne permettre aucune prise à ce qui est susceptible de nourrir le terrorisme, et d’abord dans les têtes.
Car il a été démontré dans les faits que le sentiment de rejet — patent dans les rangs de nos jeunes — est souvent à la source d’un passage à l’acte qui est moins belliqueux qu’il ne relève d’un quasi-dépit affectif ; or, une Méditerranée humainement solidaire annihilerait. Partant, une nouvelle donne méditerranéenne, à partir des rapports tuniso-français, est parfaitement possible que la solidité des relations bilatérales d’amitié et de coopération est de nature à autoriser, sinon imposer.
Au-delà des mesures connues et convenues
Si la France se dit désormais ouverte à toutes les initiatives susceptibles de développer davantage les relations bilatérales, cela ne doit plus se limiter — malgré leur importance — aux sempiternelles mesures classiques économiques et financières ou à la dimension sécuritaire nécessaire.
Elles se doivent cibler les aspects sociaux et se traduire par des décisions à haute teneur symbolique en matière de plus grande articulation au système de droit français et européen par l’aménagement d’un espace de démocratie méditerranéenne dans le cadre francophone à défaut de l’être, de suite, dans le cadre européen.
Face aux menaces terroristes, l’enjeu sécuritaire et économique est certes à relever en premier en renforçant la coopération actuelle en matière d’échange de renseignements et de formation des forces de sécurité tunisiennes. Mais cela ne doit nullement être exclusif des autres enjeux intimement liés ; l’enjeu économique d’abord, avec une économie à l’arrêt ou presque et un tourisme à l’agonie alors qu’il est la principale rentrée de devises du pays. Et aussi la politique migratoire actuelle, talon d’Achille des rapports euro-méditerranéens, qui est tout aussi stratégique, devant donc être revue surtout qu’elle tarde à connaître son aggiornamento inévitable avec les nouvelles réalités du monde, alors que les solutions fiables existent, tel ce visa biométrique de circulation, adapté aux réquisits sécuritaires.
C’est, bien évidemment, l’une des questions relevant des compétences européennes, mais le poids de la France, surtout en tandem avec l’Allemagne, n’est pas négligeable. Aussi, une sensibilité nouvelle sur la question initiée dans l’Hexagone est de nature à faire bouger les choses sur le plan européen, d’autant plus que la France possède cet atout non négligeable qu’est le mouvement francophone pour peu qu’il se décide à se doter de la dimension politique à laquelle il ne saurait plus échapper.
Une Tunisie incontournable en Méditerranée
C’est encore plus possible au moment où l’Europe est convaincue enfin de la nécessité d’aider la Tunisie, semblant résolue à le faire au nom même de sa propre prospérité et la sécurité de la Méditerranée. Pour cela, la stabilité de la Tunisie est impérative, non pas juste en sous-démocratie, mais bel et bien un État de droit aux standards internationaux.
Dans l’attente d’un fatal engagement solennel de la Commission européenne pour traiter la Tunisie en véritable partenaire stratégique de l’Europe, donc en membre putatif, le parlement européen se mobilise pour un plan de sauvetage impliquant, à défaut de l’effacement de la dette, sa conversion en investissements.
On annonce ainsi pour la rentrée prochaine des fonds importants pour les pays de la rive sud de la Méditerranée, avec la Tunisie à leur tête, se traduisant par des investissements directs et le financement de la dette publique dans le cadre de cette ambition particulière entendant, par des actions sociales et culturelles, la réussite du modèle tunisien de société.
Si cela demeure largement insuffisant, il n’est pas moins significatif d’une prise de conscience de la nécessité de sortie rapide des sentiers battus actuels. Et c’est d’autant bienvenu qu’il coïncide avec le choix stratégique opposé de l’administration américaine réduisant son aide à la Tunisie dans le budget de 2018.
C’est bien une aubaine pour la France liée à la Tunisie par une histoire riche et qui ne doit plus se suffire des slogans creux, ne trompant plus personne. Les rapports intriqués entre les deux cultures et les deux sociétés, au-delà de l’économie et de la finance, sont susceptibles de permettre la réinvention, sinon le monde, du moins une Méditerranée, à la mesure des ambitions de paix et de prospérité de part et d’autre.
Les réalités nouvelles du nouveau en gestation supposent et imposent ce courage d’avoir une vision audacieuse des impératifs bilatéraux, qui est d’abord d’ordre éthique. La Méditerranée ne saurait demeurer en l’état actuel de mer schizophrène, scindée artificiellement en deux univers opposés ; elle est obligée de réunir intimement ses deux rives en un seul espace démocratique, noyau d’une aire future de civilisation entre le Nord et le Sud, l’Occident et l’Orient. Qui mieux que la France — pour l’Occident — et la Tunisie — pour l’Orient — sauraient assumer ce rôle de précurseur en vue d’un tel fatal sens de l’histoire en cette phase délicate de l’histoire d’un ancien monde qui s’écroule et un nouveau se mettant en place, mais trop lentement, ce qui favorise les excès en tous genres ?
(*) Ce texte a été publié initialement sur le blog de l’auteur. Nous le publions ici avec son aimable accord.