Un tribunal administratif a statué sur 30 des 75 affaires de révocation depuis décembre 2013, ordonnant la réintégration des juges, mais le gouvernement n’a pas donné suite à cette décision.
Human Rights Watch a appelé, mercredi 9 juillet, dans un communiqué, le gouvernement tunisien à réintégrer dans leurs fonctions les juges révoqués le 28 mai 2012 par le précédent ministre de la Justice tunisien, Noureddine Bhiri qui a invoqué la nécessité de mettre un frein à une corruption envahissante avant de décider de rétablir neuf d’entre eux dans leurs fonctions. L’ONG s’est entretenue avec dix des juges révoqués, dont aucun n’a été rétabli dans ses fonctions, au sujet de la façon dont leur dossier a été traité. « Tous ont décrit des procédés disciplinaires iniques qui violent les critères internationaux définissant l’indépendance de la justice », relève HRW.
Le 30 mars 2014, le nouveau ministre de la Justice, Hafedh Ben Salah, a déclaré qu’il allait exécuter les décisions du tribunal administratif et qu’il ne voyait pas d’utilité à interjeter appel. Il a également annoncé qu’après avoir réintégré les juges dans leurs fonctions, il transférerait leurs dossiers à l’Autorité temporaire récemment créée pour superviser le système judiciaire, qui décidera si des mesures disciplinaires s’imposent à l’encontre de l’un ou l’autre de ces juges. « Pourtant, trois mois plus tard, les autorités n’ont réintégré aucun de ces juges », regrette cette organisation de défense des droits de l’homme. « Les belles paroles officielles à propos de la réforme du système judiciaire tunisien sonneront creux aussi longtemps que le gouvernement n’exécutera pas la décision du tribunal administratif qualifiant la révocation sommaire des juges d’incorrecte et de nulle et non avenue », a affirmé Eric Goldstein, directeur adjoint de la Division Moyen-Orient et Afrique du Nord à HRW.
Une révocation par téléphone
L’ancien ministre de la Justice, Noureddine Bhiri, qui avait révoqué les juges, avait invoqué alors la lutte contre la corruption. « Bon nombre des juges ont interjeté appel individuellement auprès du tribunal administratif de Tunisie, lequel a uniformément établi que la branche exécutive avait agi de manière incorrecte et outrepassé ses pouvoirs en révoquant les juges arbitrairement. Ces derniers ont été privés de leur travail, de leur salaire et couverture médicale depuis plus de deux ans », relève l’ONG. Quinze juges ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils avaient appris leur révocation lorsque leurs supérieurs leur avaient téléphoné le 28 mai 2012. Tous ont dit n’avoir jamais été informés des motifs réels de leur révocation ni des éléments de preuve retenus contre eux. Selon eux, le ministère ne leur a octroyé aucune audience avant la décision ni aucun accès à leurs dossiers disciplinaires.
Révoqués pour des motifs « fallacieux »
En décembre 2012, Human Rights Watch, agissant avec l’autorisation expresse écrite de 10 des juges révoqués, a écrit au ministre de la Justice, demandant d’avoir accès à leurs dossiers. L’ONG souhaitait vérifier leurs allégations selon lesquelles le ministère les avait privés de toute possibilité de se défendre, les avait révoqués pour des motifs « fallacieux », et avait continué à leur refuser tout accès aux présumées preuves les incriminant. Le ministère a rejeté la demande, souligne HRW.
Si les autorités tunisiennes prennent des mesures disciplinaires à l’encontre de ces juges ou d’autres magistrats, elles devraient veiller à respecter la constitution tunisienne de 2014 ainsi que les normes internationales, a souligné Human Rights Watch. Elle rappelle que l’article 102 de la loi suprême tunisienne dispose que « le pouvoir judiciaire est une autorité indépendante qui garantit la primauté de la justice, la suprématie de la Constitution, la souveraineté de la loi et la protection des droits et libertés ».