Récompensé pour avoir imposé, depuis 2013, une réconciliation pacifique entre les rivaux politiques et faire éviter à la Tunisie une spirale de violence, le quartet tunisien parrain du dialogue national recevra officiellement jeudi à Oslo (Norvège) le Prix Nobel de la paix pour 2015. Une reconnaissance internationale, certes, mais paradoxale selon certains observateurs tunisiens vu des prémices d’une « fracture » entre deux membres influents de ce groupe.
Ce quartet regroupe l’Union générale tunisienne du Travail (UGTT), principale centrale ouvrière du pays et l’Union tunisienne de l’Industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA), la centrale du patronat en plus de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme et l’Ordre des avocats.
Le prix Nobel de la paix, un arbre qui pourrait cacher le forêt. Bien qu’ils fussent à bord du même avion en direction de la capitale norvégienne, pour recevoir une récompense mondiale en matière de paix, le syndicat UGTT et le patronat UTICA n’étaient pas sur la même longueur d’onde autour des négociations salariales dans le secteur privé en Tunisie.
Le 29 novembre dernier, le président tunisien Béji Caïd Essebsi l’avait reconnu clairement : « il est inadmissible que les deux parties se rendent à Oslo pour recevoir le Prix Nobel de la Paix alors qu’aucun accord n’a été trouvé », a-t-il estimé dans un discours à ses compatriotes.
Et de marteler qu’il s’avère « inacceptable », de voir des représentants du quartet aillent chercher un prestigieux prix d’envergure mondiale – que représente le prix Nobel de la paix – sans pour autant parvenir à un accord.
Le conflit consiste en une flagrante divergence entre les deux centrales syndicale et patronale autour des augmentations salariales dans le secteur privé. L’UGTT demande 15% de plus ce qui s’avère impossible pour le patronat UTICA vu la crise économique que traverse la Tunisie.
Pour certains observateurs proches de l’affaire tunisienne, les deux « frères-ennemis » étaient contraints, mardi à l’Elysée à Paris, d’exprimer une fausse entente devant les caméras des médias suite à leur réception par le président français François Hollande. Ce dernier a décerné la légion d’honneur au quartet tunisien.
Une autre paire de manche – un facteur paradoxal pour d’autres analystes tunisiens – la Tunisie demeure depuis mardi 24 novembre écoulé, soit quelques jours avant l’annonce du résultat du prix Nobel, en état d’urgence sur tout son territoire en plus d’un couvre-feu de minuit à 05h00 du matin (GMT+1) sur le grand-Tunis.
Deux décisions dictées par un attentat terroriste sanglant revendiqué par l’Etat islamique, contre des membres de la garde présidentielle tunisienne faisant 12 morts et 20 blessés en plein centre-ville de Tunis.
La Tunisie se force pour prouver sa volonté de la paix
Le quartet tunisien s’est envolé en Norvège à bord d’un avion baptisé au nom du leader syndicaliste tunisien Farhat Hached. L’appareil porte, exceptionnellement, les couleurs du drapeau tunisien, en plus d’un raccourci vers le prix Nobel outre l’étiquette « Tunisie, la volonté de la paix ».
« Ce petit pays a réussi un miracle (…) pour en devenir une exception sur le double plan arabe et mondial en décrochant le prix Nobel de la paix pour cette année », s’est exprimé le secrétaire général de l’UGTT, Houcine Abassi.
Ceci, a-t-il ajouté, « manifeste le rôle que peut jouer la société civile et les partis politiques ayant participé à l’enrichissement du dialogue national ».
Aux yeux du président tunisien M. Essebsi, « cet hommage mondial implique aussi une responsabilité d’ordre éthique, politique et civilisationnel » et selon lui, « il faut continuer à emprunter la voie du dialogue pour tout ce qui est du respect des libertés et de la pluralité ».
M. Essebsi se veut convaincu que le monde ne cesse d’admirer le modèle transitionnel tunisien : « le monde nous respecte, nous devons œuvrer nous-mêmes pour relever nos défis et nous comptons aussi sur l’aide de nos amis, sur plus de soutien et de solidarité, car les menaces n’ont pas de frontières », a-t-il dit lors d’une récente réunion avec le quartette de dialogue national.