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Tunisie – Le retour des jihadistes pose à la Tunisie plusieurs questions éthiques (opinion)

Par Yacine Temlali
décembre 15, 2016
Tunisie – Le retour des jihadistes pose à la Tunisie plusieurs questions éthiques (opinion)

 

Le jihadiste tunisien est un national et à ce titre, il a le droit imprescriptible, dans un Etat de droit, de rentrer dans son pays quel que soit son comportement à l’étranger. La seconde des évidences est que ce droit au retour ne peut faire abstraction de son comportement à l’étranger, qui suppose avoir été irréprochable au vu des lois nationales ou internationales*.

 

La question du jour en Tunisie est ce qu’il faut faire avec le retour des jihadistes. Or, ne nous leurrons pas: il s’agit d’une quasi-armée de réserve pour les intégristes, nos jeunes étant les plus nombreux parmi les jihadistes pour des raisons qu’on ne peut plus ignorer aujourd’hui.

Ce qu’on ne peut plus ignorer non plus, c’est la complexité de cette question qu’il nous faut nous garder de compliquer davantage en la traitant de façon machiavélique, dogmatique ou manichéenne.

En la matière plus qu’en toute autre, il importe d’être juste de justice et de justesse, ce qui implique d’être forcément éthique en s’interrogeant légitimement s’il faut ou non et à quelles conditions accepter la repentance des jihadistes.

Voici donc, après un rapide rappel de certaines évidences incontournables, ce que commande une vision éthique de la question et ce que cela impose de faire pour être juste de voix et de voie en comprenant objectivement ce qu’est, au vrai, le phénomène jihadiste.

 

Des évidences

 

La première des évidences, celle qui tombe sous le sens, est que le jihadiste tunisien est justement un national. Aussi, comme tout national, il a le droit imprescriptible, dans un État de droit, de rentrer dans son pays quel que soit son comportement à l’étranger.

La seconde des évidences est que ce droit au retour ne peut faire abstraction du comportement à l’étranger qui suppose avoir été irréprochable au vu des lois nationales ou internationales. Le fait que la loi, nationale ou internationale, ne soit pas jugée juste ne peut légalement occulter une infraction à son dispositif même s’il poser un problème de légitimité et/ou d’éthique. Ce qui impose plutôt d’agir légalement en modifiant une telle loi.

La troisième des évidences est qu’un jihadiste a justement une spécificité qui a trait à son rapport à la légalité, à savoir sa pratique du jihad, cette guerre voulue sainte alors qu’elle n’a nulle existence en islam où le concept même de guerre sainte n’existe pas. Nous y reviendrons.
Disons juste ici que le jihad a été un prétexte commode pour Daech et les criminels à sa solde pour embrigader des troupes de jeunes; c’est le jihad qui a fait la force du supposé État islamique. Or, c’est ce même jihad qui peut causer sa perte quand on aura admis qu’il n’y a plus en islam que le jihad majeur, jamais armé sauf du bon exemple.

Il n’est plus besoin de démontrer, en effet, que le terrorisme se nourrit de la licéité du jihad mineur et qu’il suffit de le déclarer illicite pour lutter efficacement contre lui; d’où la responsabilité immense à ce sujet des élites religieuses en islam, particulièrement en notre pays.

Notons encore qu’on a affaire, selon la conception que l’on a du jihad, à un guerrier digne d’éloges ou à un hors-la-loi; or, les deux enfreignent la légalité, la guerre étant la dérogation par excellence aux lois.

Un tel statut particulier du jihadiste impose donc, non pas traitement spécial du jihadiste, mais une appréhension particulière de la question; laquelle? C’est la question de se déterminer sur le statut du jihadiste : est-il un héros, combattant des libertés ou un délinquant, hors-la-loi? A-t-il servi une cause noble ou s’est-il rendu coupable, en tant qu’auteur ou complice, de crimes et de délits punissables? C’est à cette question stratégique qu’il importe de répondre en premier avant de parler de pardon!

Attardons-nous justement sur cette rengaine du pardon que d’aucuns invoquent à tort et à travers, y compris au nom de la religion. Certes, elle la consacre, mais dans le cadre d’un comportement justice, l’islam étant justice. Peut-on donc pardonner quand il y a au moins une victime et qui ne pardonne pas ? Et pourquoi ne pas avoir développé cette thèse quand il s’est agi de l’abolition de la peine de mort ?

Par ailleurs, comment pardonner à l’auteur de crimes quand on ne le fait pas pour ceux qui sont toujours jugés coupables pour des délits bien plus mineurs, sinon de comportements innocents jugés à tort délictueux?

Aussi, pour être juste, le pardon doit d’abord concerner tous ceux qui sont actuellement en prison pour des faits nettement moins graves que ceux dont se sont rendus coupables les jihadistes : les prisonniers pour homosexualité, adultère, consommation de cannabis ou d’alcool, à titre d’exemple.

 

Une question primordiale

 

Outre ces évidences, il est aussi une question essentielle qu’il est primordial de se poser et à laquelle il est impératif d’apporter la réponse qui s’impose sans plus tarder. C’est elle qui permettra de sortir de la confusion des valeurs dans laquelle nous nous trouvons.

Elle porte bien évidemment sur le statut actuel du jihad en islam. On l’a dit, la guerre sainte n’y existe pas; c’est un concept purement judéo-chrétien qui viole les valeurs de notre religion de paix où l’acte de guerre est par essence défensif. En islam, la violence n’est permise qu’en réaction à une agression préalable. Cela amène, légitimement, à poser la question concomitante de la licéité du jihad aujourd’hui.

Il nous faut donc rappeler que le jihad, la guerre au nom de la religion, n’a été licite que pour la période d’apparition et d’expansion de l’islam. Tout comme l’émigration, la hijra, il est clos avec l’érection de l’État islamique. Aussi, aujourd’hui, comme il n’y a plus d’émigration, il n’y a plus de jihad mineur; seul est licite le jihad majeur, celui consistant à donner le bel exemple avec un comportement irréprochable.

Le prétendu jihad, mineur qui plus est, est anti-islamique, violant aussi bien la lettre que l’esprit de l’islam qui est une foi de paix et de l’exemple à donner de tolérance et d’humanisme. C’est cela l’islam authentique que vicie une lecture intolérante qui n’est rien d’autre que du terrorisme mental.

 

La réponse impérative

 

Il appert de ce qui précède que ce qui pose problème et impose réponse en matière du retour des jihadistes tunisiens en leur pays est loin d’être le pardon à leur octroyer ou non que la position à avoir à l’égard de leur jihad. Ont-ils été dans le tort ou ont-ils agi avec raison?

La réponse impérative, sauf à violer l’islam, est de déclarer solennellement que le jihad est illicite depuis la consolidation de l’islam en des États souverains. Ce sont ces États qui le défendent par des lois civiles; et la seule bataille que la religion autorise dans ce cadre est celle du débat démocratique. D’autant plus qu’en islam authentique, le seul vrai martyre accepté est celui de témoigner, dire le vrai et non de mourir, car qui transmettra alors le message après la fin du cycle des prophètes ? Or, l’islam est avant tout témoignage !

Voilà ce qu’il nous faut dire et faire si l’on veut être légaliste et en conformité parfaite avec notre foi : proposer et voter une loi déclarant que le jihad mineur est illicite. C’est dans le cadre d’une telle loi que se fera le jugement des actes des jihadistes dans la mesure où ils s’y soumettent et rentrent donc dans la légalité.

Cela suppose aussi que ce projet de loi rentre dans le cadre d’une initiative législative de plus grande ampleur abolissant toutes les lois scélérates attentatoires aux libertés privées. Alors, et alors seulement, on pourra envisager de pardonner aux jihadistes leurs forfaits dans le cadre d’un pardon généralisé et en l’absence de plaintes précises contre eux.

Seule donc une politique de pardon générale peut être éthique et juste. Car elle rendra leurs libertés à notre jeunesse, y compris jihadiste, dont un certain nombre ont été trompés par des marchands de la religion exploitant leur misère découlant d’un statut de minorité découlant de nos lois liberticides.

Une telle déclaration solennelle démasquera, d’ailleurs, tous ces pontes de la scène publique au discours faux et qui n’ont pas eu honte d’encourager nos jeunes à aller guerroyer au nom de l’islam quand ils les invitaient à violer leur foi foncièrement paisible.

Il serait alors possible de leur imposer, de par la force même de la loi, d’oser reconnaître enfin qu’en islam il n’y a plus de licite que le jihad akbar, la lutte contre ses propres pulsions. Cela servira de meilleur antidote aux maux de la Tunisie, ses élites en premier, car si la Tunisie est en piteux état, c’est à cause de certaines de ses élites parlant faussement de l’islam, en faisant commerce, de pacotille qui plus est.

Voilà venir le sixième anniversaire de la révolution dont le fer de lance, sa jeunesse, est toujours brimée par les lois scélérates du protectorat et de la dictature, qu’on le célèbre donc en décidant un moratoire à leur application !

 

(*) Nous publions cet article, déjà paru sur le Huffington Post Tunisie, avec l’aimable accord de son auteur.

Le titre est de Maghreb Emergent. Son titre initial était : « Le retour des jihadistes: Quelle réaction éthique? ».

 

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