La commission des finances de l’Assemblée de représentants du peuple (ARP) a supprimé jeudi dernier une disposition sur «la levée du secret bancaire» dans le projet de loi de finance 2017. Le rejet est venu des deux principaux partis politiques tunisiens au pouvoir, Nidaa Tounès et Ennahda. Ils s’alignent sur les patrons de l’UTICA qui voit dans la mesure préconisée une source de « dérives corruptrices ».
La disposition a été voulue par le gouvernement dans un souci de lutte contre l’évasion fiscale mais rejeté par Ennahda qui estime que la levée du secret en dehors d’un mandat de la justice donnerait un pouvoir exorbitant à l’exécutif et ouvrirait la voie à des dérives
« Nous (gouvernement) avons voulu mettre en place cette mesure dans, la perspective d’étoffer les mécanismes de lutte contre l’évasion fiscale » a déclaré dimanche la ministre des Finances Lamia Zeribi.
Le président du bloc parlementaire d’Ennahdha, M. Noureddine Bhiri, a justifié le rejet de l’article 37 du projet de loi de finances 2017 sur la levée du secret bancaires par l’absence de préalables nécessaires à la divulgation des informations bancaires de personnes physiques ou morales.
Selon lui la levée du secret bancaire en dehors du cadre des procédures judiciaires conduira à « plusieurs formes de corruption, notamment au niveau de l’administration » et donne des « ossibilités de chantages pour diverses raisons, idéologiques ou politiques. »
Le mouvement Ennahda, a-t-il assuré est pour « la levée du secret bancaire, mais à travers l’appareil juridique » dans le but de « ne pas donner carte blanche au pouvoir exécutif et ouvrir la porte au chantage » argue-t-il.
L’UTICA: des « dérives corruptrices »
Ennahda est sur la même ligne que l’organisation patronale Union Tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) qui a vigoureusement dénoncé le « retour du spectre de la fin du secret bancaire sans garantie. » .
L’organisation patronale soulignait dans un document relatif à la LF 2017 que les dispositions adoptées en 2014 « constituaient un équilibre, difficilement atteint entre les différents points de vue, par l’introduction du recours au juge ».
Le patronat a vu dans la volonté de l’Administration de « supprimer le passage par le juge » le signe d’un « retour à l’étatisme dirigiste et tatillon » avec un risque « d’accroitre les sources de dérives corruptrices ». .
Parmi les arguments avancés par les opposants à la levée du secret bancaire, figure la crainte de se retrouver devant une situation de manque de liquidité dans le cycle formel. Des députés hostiles à la mesure ont fait valoir que les détenteurs de fonds auront tendance à retirer leur argent – et à ne plus le placer – dans le circuit légal.
La levée du secret bancaire a été introduite pour la première fois en Tunisie dans le cadre de la loi de finances complémentaire de 2014. Cette loi stipulait que les établissements bancaires et autres sont tenus, à partir du 1er janvier 2015, de communiquer aux services compétents de l’administration fiscale toutes informations nécessaires avec un garde-fou important qui est un mandat émanant de la justice.
Nabil Abdellatif, président d’honneur de l’Ordre des experts-comptables a rappelé que dans la loi de 2014 et afin d’éviter « des retraits massifs de dépôts bancaires, il a été précisé que le recours à ce dispositif ne se ferait qu’en cas d’audit bancaire approfondi ou après l’obtention d’une autorisation d’un juge »..
Raccourcir les procédures en contournant l’ordre préalable de justice
Le gouvernement de Chahed visait à travers cette disposition, à renforcer le contrôle fiscal dans une conjoncture économique de crise et pour faire face également au développement de l’économie informelle qui a atteint un niveau critique et grève les ressources fiscales de l’Etat.
Le secret bancaire était levé sous l’ère de Ben Ali sans ordre de justice préalable mais de manière arbitraire contre tous ceux qui étaient jugés « contre » les intérêts du pouvoir autoritaire.
Ce rejet de l’article 37 par les partis qui font partie de la coalition au pouvoir – alors que les partis d’opposition l’ont approuvé – met le gouvernement Chahed dans l’embarras. Le président de la Commission des finances, Mongi Rahoui (gauche) a estimé que l’opposition des parlementaires des députés au pouvoir constitue un refus clair de coopérer et une « absence de volonté de lutte contre la corruption »..
Selon lui l’article 37 « n’est pas mort, comme affirmé par certains médias, car il peut être soumis à une séance plénière qui demandera qu’il soit revu par la commission ». Dans une déclaration à Mosaique-Fm Mongi Rahoui souligne que « le gouvernement peut soumettre l’article 37 à la séance plénière et peut également être revu. ». Mais le gouvernement qui a essuyé une rebuffade dans le camp de la majorité prendra-t-il un tel risque.