L’avenir des relations de la Tunisie et de l’Union européenne (UE) ne saurait ignorer l’issue de l’adhésion de la Tunisie. Un impératif catégorique.
En visite en Tunisie, les 4 et 5 septembre 2017, le commissaire européen à l’Élargissement et à la Politique européenne de voisinage, Johannes Hahn, a déclaré : «Le temps est venu pour discuter de l’avenir des relations entre la Tunisie et l’Union européenne». Or, au lieu de saisir l’occasion pour faire la demander officielle de l’adhésion de la Tunisie à l’Union, le ministre Khemaies Jhinaoui a abondé dans le sens de ce que propose encore l’Union comme expédients qui ne sont d’aucun intérêt face au défi majeur de l’adhésion, une issue inéluctable.
Sortir des sentiers battus
On peut comprendre que l’UE, empêtrée dans ces propres problèmes internes, ne souhaite pas faire autrement avec ce qu’elle estime être à bon droit sa chasse gardée, la Tunisie. D’autant plus qu’elle peut encore compter la parfaite compréhension des autorités tunisiennes, leur soutien actif à ce qui n’est plus qu’une politique d’un autre temps.
C’est aller contre le sens de l’histoire que de se limiter, comme l’a fait M. Hahn, à définir une feuille de route n’ayant pour ambition que de fixer des secteurs prioritaires à la coopération tuniso-européenne en vue de travailler à la relance de l’économie tunisienne avec ce slogan devenu creux de booster le climat des affaires et promouvoir l’emploi.
C’est ce qu’on n’a cessé de seriner depuis si longtemps; et c’est ce qui ne marche plus faute du seul élan utile en matière des rapports tuniso-européens, l’adhésion de la Tunisie.
Oui, comme le dit le commissaire européen, on a bel et bien «besoin de la contribution de tous les acteurs tunisiens, syndicats, gouvernement et société civile, et d’avoir une certaine pression positive», mais ce n’est pas pour atteindre les objectifs qu’il annonce qui ne sont que de leurres, car dans la situation actuelle de la Tunisie, ils ne serviront pas à grand-chose.
Une telle pression sera salutaire si elle se focalise sur la seule issue de nature à savoir la Tunisie en servant et ses intérêts et ceux de l’Europe : arrimer la Tunisie à l’État de droit européen. Il n’est aucune autre issue à la crise actuelle dans le pays, il n’est aucune autre feuille de route à proposer que celle de l’adhésion.
En osant s’orienter enfin vers ce qui est une fatalité dans les relations euro-méditerranéennes, la Tunisie n’aura plus à négocier une aide au compte-gouttes ni des replâtrages de ce qui est obsolète dans sa législation et sa pratique de la gouvernance, et qui ne sont qu’autant de cautères dur jambe de bois. Elle aura à négocier la cadence dans l’évolution de l’adhésion effective avec les mesures immédiatement à mettre en oeuvre, comme l’ouverture des frontières aux humains dans le cadre du visa biométrique de circulation que je propose.
Ainsi, les accords comme ceux signés lors de la visite de M. Hahn dans les domaines de la réforme administrative et de la santé ne seront pas sans grande utilisée, puisqu’ils s’insèrent dans le cadre de non-droit en vigueur dans le pays du fait des pesanteurs passées et des pratiques de la corruption généralisée. Ils relèveront plutôt du cadre du programme de la mise à niveau d’ensemble de toute la législation du pays qu’on ne peut entrevoir et réaliser que dans le cadre d’un arrimage à une aire de droit où il est effectif et non une simple devanture comme c’est encore le cas en Tunisie.
On le voit bien avec la persistance des lois scélérates de la dictature presque sept ans après la révolution et les obstacles mis à la volonté du chef du gouvernement à s’attaquer la corruption mafieuse gangrénant le pays.
Être dans le sens de l’histoire
Est-il acceptable de la part du premier partenaire de la Tunisie d’insulter ainsi l’avenir quand son commissaire affirme sa volonté de défendre le modèle tunisien en vue de faire du pays «une destination d’investissement par excellence»? Comment le faire sans tenir compte des obstacles qui ne peuvent disparaître par les mesurettes actuelles ayant le tort de négliger l’essentiel : le mental prévalant dans le pays? C’est une démission généralisée du fait d’un désabusement quant à l’effectivité du droit pour cause d’incrustation de mauvaises habitudes; or, on sait la force de l’habitude, bien plus puissante que celle de l’inertie.
Aussi, quand M. Hahn nous dit que l’objectif de l’UE, à l’horizon de 2020, est de «placer avant la 50e place» la Tunisie dans le domaine des affaires où elle n’est aujourd’hui qu’au 77e rang, nous lui disons que cela relève objectivement du pur voeu pieux. Car tout s’y opposera dans le pays tant que cette ambition n’aura pas été assise sur une volonté d’envergure qui ne saurait être que la perspective de l’adhésion de la Tunisie à l’UE.
C’est avec une telle perspective que la guerre contre la corruption ne se résoudra pas à ce qu’elle est en train de devenir, un simple tour de passe-passe pour détourner l’attention de l’essentiel : la déliquescence d’un État asservi aux intérêts divers dans le cadre d’une alliance capiatlislamiste sauvage. Ce n’est pas l’aide actuelle de l’Union qui y sera utile, même si elle la dit énorme et pas assez utilisée; comment le serait-elle dans le cadre de pratiques politiques et économiques heurtant le bon sens encouragées par un arsenal législatif obsolète ?
Aussi, il ne sert à rien que l’Europe augmente ses aides comme l’a fait le Conseil prévoyant de faire monter l’aide dédiée à la Tunisie à un volume annuel de 300 millions d’euros jusqu’en 2020. Ce ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau, une sorte de tonneau des Danaïdes tant que l’essentiel n’aura pas été fait : l’imbrication de la petite Tunisie dans sa sphère vitale qu’est la grande Europe dont elle dépend non seulement structurellement sur les plans politique, économique, culturel et humain, mais aussi et surtout mentalement.
Alors, M. le ministre Jhinaoui, jusqu’à quand continuer à user de langue de bois en soulignant comme vous le faites l’importance pour Tunisie de profiter de l’appui européen sans oser dire ce qui tombe sous le sens, à savoir l’impératif de l’adhésion?
On ne peut plus se limiter à la politique d’antan du mendiant, nous limitant à formuler des besoins sans oser faire la seule non pas propositions, mais demande de droit qui s’impose : l’adhésion, car elle est la seule de nature à répondre à la réalité et aux objectifs du pays.
Tout observateur et acteur honnête et lucide le sait pertinemment : rien ne sauvera la Tunisie et ne lui permettra de mettre en oeuvre ses richesses aujourd’hui dilapidées que la saisine du moment historique qu’elle vit pour la placer dans le sens de l’histoire. Celui-ci est de l’arrimer à l’attelage européen. Certes, il est brinquebalant, mais cela vient justement du fait du manque d’ambition de ses actuels dirigeants négligeant l’importance de la dimension méditerranéenne. Aussi, admettre l’adhésion de la Tunisie à l’UE, c’est aider à régénérer cette Europe en crise, lui redonner le sens perdu de la conquête. Oseriez-vous?
Ayant eu l’honneur de faire partie du cabinet du ministre, je sais l’ambition d’innover ne pas lui manquer derrière le conformisme de façade qu’il soigne. M. Jhinaoui innovez donc avant que d’autres le fassent à votre place, le temps étant aux défis à renouveler. Or, le premier de ces défis est l’adhésion de la Tunisie à l’UE. Aussi, la question n’est plus si cela doit se faire, mais quand et comment? Ainsi sera l’exception Tunisie bien réelle quoiqu’encore en pointillé dans l’attente de volontés sincères pour la mettre en oeuvre.
Par-devers l’inertie des autorités et me fondant sur ma qualité de diplomate, j’ai osé, au nom de mon pays et pour l’histoire, déposer auprès de l’ambassade de l’UE en Tunisie la demande d’adhésion qui s’impose. N’est-il pas temps de formaliser une telle initiative citoyenne ?
(*) Nous republions les articles de Farhat Othman, avec son aimable accord. Cet article a été publié initialement sur son blog.