Dans la logique des réseaux qui contrôlent le pouvoir, la situation actuelle de l’Algérie est acceptable, sinon bonne. Il n’y a donc aucune de raison de changer. Une telle appréciation les amène naturellement à reproduire les mêmes mécanismes, qui déboucheront sur les mêmes résultats.
Le gouvernement met les partis en accusation. Il veut lancer la balle de l’impasse dans le camp de l’opposition.
Face aux échéances électorales qui se rapprochent, les partis n’ont guère d’alternative. Ils n’ont pas de bon choix à faire. Ils n’ont que des choix moins mauvais que d’autres. Contraints de trancher la délicate question de la participation dans des conditions défavorables, ils se résignent à accepter un fait accompli face auquel ils mesurent leur impuissance.
Participer à une élection est un moment fort dans la vie d’un parti. Cela permet d’engager un débat politique, de préparer un programme, de recruter, de mobiliser et de faire vivre l’appareil. Cela permet aussi de mesurer son implantation au sein de la société et ses capacités de lancer de nouveaux talents dans la compétition. Aucun moment n’est aussi favorable à la vie partisane qu’une campagne électorale.
Mais il y a aussi un revers. La préparation des élections donne souvent lieu, dans une démocratie balbutiante, à des querelles incessantes, à des divisions, voire à des conflits qui peuvent déboucher sur des scissions. Car, il faut satisfaire des appétits et des ambitions, alors que le nombre de places à pourvoir est forcément limité. La lutte est particulièrement féroce quand il s’agit de candidatures à la députation, qui déclenchent une course forcenée à la représentation.
Tiraillements
Ne pas aller à l’élection, dans de telles conditions, peut laisser des séquelles. Les militants concernés, et notamment les candidats potentiels, se sentent lésés. Ils ont l’impression de rater une opportunité, de passer à côté d’un évènement politique important. Même quand la décision est bien encadrée politiquement, comme ce fut souvent le cas pour le FFS, l’impression de laisser la gestion des affaires du pays à des opportunistes de tous bords ne laisse pas indifférent.
Pour des partis en construction, comme Talaiaa el-Hourriate de Ali Benflis et Jil Jadid de Sofiane Djillali, le sentiment de rater une occasion sérieuse de construire un appareil politique ne peut non plus être éludé, même si la décision est fondée sur de solides arguments politiques.
En tête des arguments qui poussent au boycott, il y a évidemment celui de refuser de cautionner le fait accompli, d’avaliser une compétition qu’on sait inéquitable, inégale et injuste. Et dans le cas de l’Algérie, à de rares exceptions près, le résultat du vote a toujours été prédéterminé. L’urne est une formalité destinée à avaliser une décision prise en amont quand il s’agit de présidentielle, et un moyen d’offrir quelques strapontins aux différentes clientèles et à des opposants qui servent, malgré eux, de caution, quand il s’agit d’élections législatives ou locales.
En tout état de cause, les partis de l’administration, FLN et RND principalement, en sont toujours les principaux bénéficiaires.
Un parlement sans pouvoir
A cela, il faut ajouter le rôle insignifiant du Parlement algérien, résultant d’un dispositif constitutionnel inadéquat, aggravé par la pratique politique du pays. La Constitution, y compris celle amendée il y a deux ans, a mis en place un système hyper-présidentiel, ne laissant que peu de place au Parlement. Celui-ci n’a pas de poids face à l’institution présidentielle. De plus, le Premier ministre, qualifié de « coordinateur » du gouvernement par un ancien titulaire du poste, Abdelaziz Belkhadem, n’a pas son propre programme, mais se contente d’appliquer celui du chef de l’Etat.
Le président n’est pas tenu de nommer le Premier ministre parmi la majorité électorale, qu’il se contente de consulter. Le Parlement ne peut réellement censurer le gouvernement. Dans les faits, c’est plus grave : il ne discute pas les projets de loi pour les amender ou les rejeter, mais il les « enrichit », dans la grande tradition du parti unique.
Un tel tableau n’encourage guère à aller aux élections. Ce qui n’a pas empêché le ministre de l’Intérieur, M. Noureddine Bedoui, de faire une curieuse sortie cette semaine, sommant les partis de participer aux élections, faute de quoi ils risquaient de perdre leur agrément.
Est-ce un moyen de faire pression sur les partis encore hésitants, ou un projet mûrement réfléchi ? Difficile à dire pour le moment. Mais la sortie du ministre de l’Intérieur confirme que le pouvoir est disposé à verrouiller davantage le jeu politique.
L’art de verrouiller
Pour l’heure, le pouvoir a réussi à se préserver en verrouillant le jeu. Dans son optique, c’est un succès. Il renforce ainsi son propre sentiment de victoire, et s’accorde de fait un satisfecit. Il a réussi à éviter l’émergence de forces politiques concurrentes. Il est donc certain de se perpétuer même si, épisodiquement, il est obligé d’intégrer, à la marge, de nouveaux clients et de nouvelles ambitions.
Dans la logique des réseaux qui contrôlent le pouvoir, la situation actuelle de l’Algérie est acceptable, sinon bonne. Il n’y a donc aucune de raison de changer. Une telle appréciation les amène naturellement à reproduire les mêmes mécanismes, qui déboucheront sur les mêmes résultats.
Depuis deux décennies, l’Assemblée nationale est dominée par le duo FLN-RND. La prochaine élection ne risque guère de changer la donne, et le pouvoir s’en satisfait. Il pense avoir mis l’opposition dans une impasse : ou elle participe aux élections et elle cautionne ; ou bien elle boycotte et elle se met hors jeu.
Mais l’impasse est celle du pays avant d’être celle de l’opposition. Faire un bilan sans évoquer Khalifa, Chakib Khelil, les scandales à répétition et l’échec économique, reconnu par le président Bouteflika lui-même, n’a pas de sens. Planifier pour maintenir le pays dans cette fosse à scandales n’est pas un projet politique. Maintenir une impasse intégrale, avec un pays qui tourne à vide, non plus. Et ça, ce n’est pas la faute de l’opposition.