Dans un contexte d’étranglement des libertés en Algérie, la société
civile a espéré que la visite de l’adjointe du Secrétaire d’Etat
américain, en charge des questions liées aux organisations
internationales serve à désamorcer une tension à son summum.
Après ses rencontres avec les autorités algériennes, la presse a
scruté la réaction américaine, au moment où les ONG régionales
de défense des droits humains appellent à la solidarité avec la
Laadh et les détenus du Hirak, les journalistes notamment.
Interlignes
« Les défenseurs des droits humains et les journalistes indépendants, des
partenaires essentiels pour un gouvernement ». Une locution a minima
qui ne déroge pas aux règles de bienséance politiques. Très attendue, la
position de Michèle Sison après sa rencontre avec les responsables
algériens, a fait pschitt, pour paraphraser notre confrère El Kadi Ihsane
qui croupit en prison depuis un mois.
« Nous avons discuté du fait que la société civile, y compris les
défenseurs des droits de l’homme et les journalistes indépendants,
peuvent être des partenaires essentiels d’un gouvernement en tant
qu’État membre et en tant que pays qui cherche à mettre en œuvre ses
engagements internationaux en matière de droits de l’homme pour
tous », affirme-t-elle, lors d’une conférence de presse animée, au siège
de l’ambassade des USA à Alger.
Faisant un résumé de ses échanges avec les responsables algériens
durant son séjour, la diplomate américaine a insisté sur le respect des
libertés fondamentales selon Interlignes.
« Nous tenons à souligner que l’expérience a montré que lorsque les
gens sont en mesure d’exercer leurs libertés fondamentales, à savoir
l’expression, les réunions pacifiques et la liberté d’association ou de
conscience, les sociétés sont plus pacifiques et plus prospères. Je
pense donc qu’en tant qu’État membre qui cherche à se faire élire au
Conseil des droits de l’homme de l’ONU, les États-Unis se sont
présentés et ont été élus et au CDH, l’Algérie s’est présentée et a été élue au CDH, nous avons tous la responsabilité de respecter ces priorités et de relever. Tout cela est contenu dans la déclaration
universelle des droits de l’homme »,
Sans ambiguïté et sans contrainte, la responsable politique américaine poursuit :
« Vous savez qu’aux États-Unis et dans le monde, l’engagement civique,
les journalistes indépendant et les médias indépendants sont des piliers
essentiels de la démocratie et de la société civile, nous informe-t-elle…
Sur son compte Twitter, Michèle Sison s’est réjouie de ses échanges
avec le ministre algérien des Affaires étrangères Lamamra sur les
priorités communes au sein du système ONU et la promotion des droits
de l’homme.
https://inter-lignes.com/michele-sison-les-defenseurs-des-droits-humain-
et-les-journalistes-independants-des-partenaires-essentiels-dun-
gouvernement/
Euromedright
L’organisation Euro-méditerranéenne dénonce « une politique
d’acharnement à l’encontre de toutes les forces démocratiques du pays ».
Profondément inquiètes, des organisations n’en reviennent toujours pas,
» la dissolution de la LADDH est une décision prise dans l’opacité ,
révélée fortuitement à l’opinion publique sur les réseaux sociaux »,
s’insurgent les signataires. » Une violation grave par l’Etat Algérien de la
légalité nationale et de ses engagements internationaux, notamment du
respect du droit à un procès équitable, public garantissant les droits de la
défense ». Accuse le texte.
« Une politique revancharde, lit-on encore, « menée par les autorités
algériennes à l’encontre de toutes les forces démocratiques du pays ». Le
sort du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), de Radio M ou de
l’association SOS Bab El Oued témoigne de cet acharnement à
l’encontre des organisations proches du Hirak, livre Euromedright.
À cet effet, les organisations et les associations signataires appellent les
autorités algériennes à assumer leurs responsabilités, notamment à :
• Abandonner la décision de dissolution de la LADDH
• Mettre fin à la répression, aux arrestations et détentions arbitraires, aux
poursuites judiciaires, au harcèlement et intimidations, ciblant les
défenseurs des droits de l’Homme, les activistes de quelles que soient
leurs sensibilités idéologiques.
• Procéder à la libération inconditionnelle et immédiate de l’ensemble
des détenus d’opinion et l’abandon de toutes les poursuites pesant sur
les militant-e-s en liberté et/ou en liberté conditionnelle.
Enfin, Garantir la liberté et l’indépendance effective du pouvoir judiciaire
pour préserver le droit à un procès équitable. Publie le site européen.
Parmi les Signatures, celle de
l’Association Féministe Algérienne Tharwa n’Fadhma n’Soumer, le
Collectif des familles des disparus d’Algérie (CFDA), EuroMed Droits, la
Confédération générale autonome des travailleurs en Algérie (CGATA),
la Fédération Euro-méditerranéenne contre les disparitions forcées
(FEMED) et le Syndicat National Autonome des Personnels de
l’Administration Publique (SNAPAP).
https://euromedrights.org/fr/publication/dissolution-de-laddh-une-
politique-dacharnement-a-lencontre-de-toutes-les-forces-democratiques-
du-pays/?fbclid=IwAR2BqrdVc9QsTGDXdqos-8QGDjsuSdDoYlqp-
J_xvFJjpLUtpqHix0U8088
Le Forum Social Maghreb
Le régime algérien réprime de nouveau, « il persiste et signe, en violation
de toutes les règles d’un procès équitable », titre le Forum Social
Maghreb sur ses pages.
Pour l’organisation, cette situation dévoile la volonté manifeste du
pouvoir de mettre au pas la société civile et d’asphyxier toute voix
discordante. Elle appelle « à une grande solidarité pour la libération de
tous les prisonniers politiques et d’opinion, des journalistes, des
blogueurs, des activistes du Hirak, cite le Forum Social Maghreb qui
« réaffirme sa solidarité avec toute la société civile algérienne, ses
militants des droits de l’Homme, des droits des femmes, pour la
démocratie, la liberté, la dignité et pour un Maghreb des peuples uni et
démocratique ». Résume le communiqué du Forum.
La Fédération internationale pour les droits humains
La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) a appris la
dissolution par « la junte algérienne de son organisation membre en
Algérie ». Écrit à son tour
la FIDH qui affirme ne pas être surprise par cette décision au regard du
contexte algérien de fermeture. « Elle n’en est pas moins extrêmement
choquante et préoccupante. » Précise-t-elle. Les modalités de cette
décision sont particulièrement « ubuesques et en disent long sur
l’absence d’indépendance de la justice en Algérie ». Confirme
l’organisation des droits humains.
« Le régime algérien continue ainsi sa chasse aux voix dissidentes ».
L’organisation cite le Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ),
l’Association SOS Bab Eloued et les médias indépendants Radio Med
et Maghreb Emergent, « interdits par les autorités, dans ce qui
s’apparente à un acharnement judiciaire continu ». Charge, la Fédération
internationale pour les droits humains.
https://www.fidh.org/fr/regions/maghreb-moyen-orient/algerie/algerie-
dissolution-laddh
Association marocaine des droits humains
L’association marocaine des droits humains dresse un constat sombre
en Algérie et au Maroc avant de lancer un appel franc aux organisations
démocratiques dans le Maghreb et le monde pour rejoindre son
mouvement de solidarité :
« Les droits du peuple algérien, frère militant, sont bafoués, un climat de
terreur est imposé par le régime, des militants du hirak et des
journalistes indépendants, des membres d’associations de la société
civile , sont arrêtés…
Une répression identique à celle que nous vivons au Maroc depuis
2014″, mesure l’association. À travers son bureau central, elle invite les
composantes de ces organisations des droits Humains, maghrébines
et régionales, à tisser des relations étroites « pour faire face ensemble à la répression, à l’arbitraire et aux dérives des régimes dans notre région ».
L’association marocaine des droits Humains demande la libération de
tous les détenus du hirak populaire , les détenus politiques, les
journalistes et exige le droit aux manifestations pacifiques.
https://www.amdh.org.ma/contents/display/597
Media Part
En Algérie, la répression s’abat sur l’ONG phare de défense des
droits humains.25 janvier 2023 | Par Rachida El Azzouzi
Depuis 38 ans, la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme
(LADDH) milite pour l’État de droit, les libertés, la démocratie en Algérie.
Elle vient d’apprendre qu’elle était dissoute à la demande du pouvoir
algérien. Un nouveau choc après qu’un des derniers médias
indépendants a été réduit au silence.
La prison ou l’exil. Aissa Rahmoune a choisi « tant qu’il était encore
temps » la deuxième option. Une décision crève-cœur qu’il n’imaginait
pas devoir prendre un jour : partir sans se retourner, avec les siens, sa
femme, ses enfants, s’arracher du pays, de la terre natale, de l’Algérie
pour sauver sa peau, pour en finir avec les menaces, les représailles, le
harcèlement policier quotidien jusque devant chez lui où campaient des
nervis du régime. Pour ne pas échouer, comme tant d’amis, de
collègues, derrière les barreaux.
La France lui a ouvert ses frontières. Il ne connaissait le pays qu’à
travers ses missions de plaidoyer : Aissa Rahmoune est activiste des
droits humains, vice-président de la LADDH, la Ligue algérienne de
défense des droits de l’homme, une ONG phare en Algérie qui vient
d’apprendre qu’elle n’existait plus légalement, qu’elle était dissoute par la
justice algérienne, après une plainte du ministère de l’intérieur.
Il n’y a pas eu de communication officielle. La dernière grande
organisation indépendante de défense des droits humains du pays a
appris, comme l’opinion publique, par les réseaux sociaux où circulait le
jugement, qu’elle était dissoute par le tribunal administratif d’Alger.
« Faites vos élections sans le peuple », 8 novembre 2019, Alger, 38e
vendredi consécutif de manifestation contre le régime (photo d’archives).
© Kahina Nour
Elle s’est fendue d’un communiqué le 22 janvier, annonçant l’impensable
au terme d’une procédure « aussi absurde qu’inéquitable », juge Aissa
Rahmoune depuis le Havre, où il est désormais réfugié avec sa famille
depuis mai 2022 : « En 38 ans d’existence, nous n’avons jamais subi
une telle décision arbitraire. La LADDH a été absente ou évitée durant
toute la procédure. La dissolution aurait été prononcée en septembre
2022, après un procès qui se serait tenu trois mois plus tôt, en juin, sans
aucun représentant de la ligue. »
Pour les membres de la LADDH, il ne fait aucun doute : la dissolution de
leur organisation n’est pas liée, comme argué par le ministère de
l’intérieur dans sa requête, à une non-conformité avec la loi sur les
associations, par ailleurs pensée pour entraver la liberté d’association en
Algérie, ou aux dissensions au sein de la ligue. « Nous payons notre
engagement pour la démocratie, les libertés et les droits humains, d’être
en lien avec d’autres instances et organisations internationalement
reconnues. C’est l’acte final d’un acharnement continu qui s’est amplifié
ces derniers mois, la remise en cause du combat de plusieurs
générations d’activistes », assène Aissa Rahmoune.
Le pouvoir algérien entend « écraser toutes les forces démocratiques qui
animent la société depuis le Hirak ».
« Depuis de nombreuses années, mais encore plus depuis le Hirak [le
soulèvement populaire pacifique qui a chassé du pouvoir Abdelaziz
Bouteflika en 2019 – ndlr], nous subissons l’ostracisme et la pression
des autorités en tant qu’organisation mais aussi en tant que membres.
Beaucoup d’entre nous sont en prison pour des faits relatifs à leurs
activités ou à leur expression sur les réseaux sociaux », abonde depuis
Alger un des camarades de lutte d’Aissa Rahmoune, un militant de la
première heure qui n’a jamais craint de parler à visage découvert mais
qui désormais requiert l’anonymat comme tant d’autres personnalités de
la société civile algérienne, jointes par Mediapart, qui refusent de « se
mettre plus en danger ».
« Nous avons le choix entre l’autocensure, la prison ou l’exil », dit-il,
amer, en précisant bien qu’il n’a « jamais connu cela, en un demi-siècle
de militantisme pro-démocratie, même aux pires heures du terrorisme
islamiste dans les années 90 où la violence politique était totale ». Selon
lui, le pouvoir algérien entend « écraser toutes les forces démocratiques
qui animent la société depuis le Hirak afin qu’un tel mouvement ne
reprenne pas. La feuille de route du président [Abdelmadjid Tebboune –
ndlr] et des autorités est de remettre à plat tout le mouvement du Hirak.
Tous les acteurs visibles, actifs, doivent être neutralisés d’une façon ou
d’une autre. On pourrait appeler cela une contre-révolution ».
Il raconte que, depuis fin 2021, il vit « dans la peur » : « On fait et dit le
moins pour se préserver. Sur les réseaux sociaux, on dénonce ce qui ne
va pas en réfléchissant bien aux mots qu’on emploie, on va manier
l’ironie, la dérision, l’humour, le second degré, des mécanismes de
protection. Par exemple, on ne va pas citer le nom des responsables
mais parler d’eux à la troisième personne, on va parler d’un pays
imaginaire, ne plus dire l’Algérie. »
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En arrêtant Ihsane El Kadi, le pouvoir algérien réduit au silence la
dernière radio indépendante
La dissolution de la LADDH constitue un nouveau « choc » en Algérie
après celui de la mise sous scellés du dernier média indépendant, Radio
M, et de l’incarcération de son directeur, Ihsane El Kadi, en décembre
dernier, un des derniers journalistes indépendants dans le viseur du
pouvoir depuis des années. Elle s’inscrit dans un climat de répression
accrue « qui n’épargne plus personne », selon Aissa Rahmoune qui
dénonce au passage « le silence des États démocratiques, la France
notamment, qui fait que le régime assume aujourd’hui au grand jour sa
nature dictatoriale, totalement décomplexé ».
« Depuis mars 2019, on a compté plus de 12 000 incarcérations : des
avocats, des journalistes, des enseignants universitaires, des
syndicalistes, des chômeurs, des étudiants. Tous ceux qui ont
accompagné la révolution démocratique sont visés, c’est unique dans
l’histoire de l’Algérie, on a connu des incarcérations d’activistes mais pas
à ce niveau-là. Des partis politiques comme le RCD, le MDS, l’UCP sont
sous pression, plusieurs médias électroniques sont interdits », égrène l’avocat, membre fondateur du premier collectif de défense des détenus du Hirak, et aujourd’hui vice-président de la FIDH, la Fédération
internationale des droits humains.
Il rappelle autres dissolutions, celle en 2021 de SOS Culture Bab El
Oued, très impliquée dans le Hirak, tout comme celle du RAJ, le principal
mouvement de la jeunesse algérienne, « symbole des acquis de la
révolution de 1988 », dissous lui aussi en 2021, un autre « choc »