Yassine Temlali tord le cou aux idées reçues sur les origines de l'affirmation berbère en Algérie - Maghreb Emergent

Yassine Temlali tord le cou aux idées reçues sur les origines de l’affirmation berbère en Algérie

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Ce texte est une note de lecture de La genèse de la Kabylie. Aux origines de l’affirmation berbère en Algérie (1830-1962), ouvrage de Yassine Temlali paru en octobre 2015 aux Editions Barzakh (Alger).

 

  

Dans l’ouvrage de Yassine Temlali intitulé La genèse de la Kabylie. Aux origines de l’affirmation berbère en Algérie (1830-1962), il n’y a pas de place pour les raccourcis historiques. A toutes les questions inhérentes aux périodes les plus ambigües de l’histoire algérienne, l’auteur répond sans fard ni acrimonie. D’emblée, il affirme que l’Algérie, comme c’est le cas de toutes les nations, n’échappe pas aux mutations identitaires. Eprouvée par tant de conquêtes, elle se construit sur son élément autochtone, le berbère. Bien qu’il puisse déplaire à ceux qui fondent leur projet sur la supériorité d’un groupe régional, Yassine Temlali démontre que la formation de l’Algérie constitue la somme des apports régionaux, en l’occurrence kabyle, chaoui, mozabite, arabe…

Toutefois, bien que le livre ait pour objet « de restituer le cadre historique dans lequel, entre 1830 et 1962, est née une conscience culturelle et politique berbère (kabyle), de façon concomitante avec la naissance de ces entités modernes que sont la nation algérienne, la Kabylie, les Aurès… » (page 46), son auteur consacre à la question de la difficile cohabitation entre les autochtones et les conquérants arabes tout un chapitre intitulé « Entre les conquêtes islamo-arabes et l’occupation française, la survie difficile des langues berbères ».

En fait, si la première période de cette cohabitation, allant du VIIème siècle au XIème siècle s’est passée sans anicroches, il n’en va pas de même de la période ayant suivi l’arrivée des expulsés de l’Orient, les Banu Hilâl et les Banu Sulaym, au XIème siècle. D’ailleurs, n’est-il pas resté dans l’histoire que la violence, dont sont affublés les Algériens, vient de cet héritage ? Fustigeant le comportement des colonels de l’ALN lors de la guerre d’indépendance, Ferhat Abbas, dans L’autopsie d’une guerre (page 224), s’interroge : « Allions-nous rester les héritiers des Beni Hilale, de ceux pour qui la légitimité se fonde sur la raison du plus fort ?».

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’impact de la deuxième invasion a eu des effets désastreux. Fuyant sans doute la barbarie des Banu Hilâl, les Berbères se replient dans les montagnes. « C’est une Algérie composée de trois grandes communautés ethnolinguistiques distinctes que trouveront les Frères Barberousse en fondant, en 1518, à Alger, une ‘’Régence’’ reconnaissant la souveraineté d’Istanbul. Les principaux massifs montagneux étaient, en majorité, habités de berbérophones ; les plaines étaient peuplées de Berbères arabisés d’origine ‘’botr’’ mais aussi d’une minorité d’’’Arabes’’, descendants plus au moins authentiques des Hilaliens ; les villes anciennes étaient, quant à elles, habitées de ‘’Maures’’ arabophones, se distinguant des arabophones ruraux et nomades par leur vieille citadinité et par un arabe moins marqué du sceau des parlers hilaliens », écrit Yassine Temlali (page 62).

Cela étant dit, en dépit des replis sur les montagnes, les relations entre les berbérophones et les arabophones ne sont pas pour autant interrompues. Bien que ces relations aient été tumultueuses, elles ont « débouché sur l’introduction des parlers berbères dans les villes comme Alger (le kabyle, le mozabite) et peut-être aussi, dans une moindre mesure, sur un mouvement inverse de ‘’berbérisation’’ de tribus arabes, notamment dans les Aurès », note l’auteur (page 63).

Qu’en est-il de l’arabisation en Kabylie ? Bien que des chercheurs, à l’instar de Salem Chaker, par omission, réduisent la présence de la langue arabe en Kabylie à sa proportion infinitésimale, la vérité, selon l’auteur, c’est à travers la religion que cette langue a eu une audience non négligeable dans cette région où elle était « la langue de culte et des études ». Il se peut, toutefois, que la langue arabe ait été moins présente en Kabylie qu’elle l’était dans la vallée du Mzab ou dans les Aurès.

Quoi qu’il en soit, depuis l’occupation du pays par le pouvoir ottoman – une occupation que les différents pouvoirs politiques après l’indépendance ne qualifient pas de « colonisation » -, les trois groupes, déjà cités par Yassine Temlali, font face – sans qu’il y ait, certes, de coordination entre eux – à la présence turque. Or, bien qu’elle ne soit pas plus pénible que l’occupation française, force est de reconnaître que cette présence ne différait pas des autres colonisations, et ce, dans la mesure où les sujets de la Régence étaient immanquablement étranglés par sa politique fiscale. Ce qui explique la désobéissance des Kabyles des montagnes au pouvoir turc, les Chaouis s’étant montrés, eux, moins réfractaires à la domination turque pour protéger leurs terres situées dans les plaines de leurs représailles. En revanche, écrit Yassine Temlali, et contrairement aux Kabyles des montagnes, rétifs « à toute soumission fiscale à quelque sultan que ce soit, fût-il un frère autochtone », les Amraoua, « à cause de leur vulnérabilité topographique (…) seront la force de frappe des Turcs en Kabylie et plus tard rallieront l’Emir Abdelkader » (page 70).

C’est dans ce contexte marqué par l’affaiblissement du pouvoir des janissaires et le refus des principales tribus autochtones de prendre part au combat que les Français occupent le pays en juin-juillet 1830. Pour Yassine Temlali, « la réussite du débarquement français n’a pas immédiatement allumé le feu du jihad antichrétien ni en Kabylie montagneuse ni dans les Aurès ni dans d’autres régions de l’Algérie profonde, tant le pays entier était peu solidaire du pouvoir oppressif des janissaires » (page 91).

Mais dès que les autorités coloniales décident une occupation totale du pays, les Kabyles comme les Chaouis ont défendu crânement leurs territoires. Bien qu’il y ait eu d’autres soulèvements, l’auteur en cite deux marquant notre histoire. Le premier est celui de 1871, connu comme une « révolte kabyle » et le second est celui des Aurès en 1916. Dans la réalité, ces soulèvements, et notamment celui de 1871, ont une dimension de révolte pré-nationale, écrit-il, s’inscrivant en faux contre la thèse de Maxime Ait Kaci pour qui ce soulèvement était un soulèvement pré-national kabyle (page 97).

Malgré la pacification du pays, « les indigènes », dans leur ensemble, sont restés attachés à leurs valeurs ancestrales. Ainsi, en dépit des politiques de division, les régions les plus scolarisées en français, comme la Kabylie, ont été les premières à être acquises aux idées nationalistes. Levant le voile sur la politique kabyle de la France, Yassine Temlali écrit : « Mais la Kabylie décevra les espoirs inconsidérément mis en elle par les autorités françaises : la plupart des fondateurs de l’Étoile nord-africaine, première organisation indépendantiste algérienne créée à Paris en 1926, étaient originaires de cette région et étaient passés par l’école française. » (page 143)

Et, qui plus est, si ces authentiques nationalistes avaient des préjugés ethniques, ils ne porteraient pas à la tête de leur organisation un natif de Tlemcen, Messali Hadj. Ce comportement de nos aînés ne doit-il pas couper court à toutes les surenchères visant à exploiter l’engagement révolutionnaire de la région à d’autres fins ? Citant le différend opposant Messali Hadj à Amar Imache, Yassine Temlali explique que, Amar Imache, contrairement à une idée reçue, a toujours défini la nation algériennecomme…« une nation arabe » (page 154), et ce, en opposition à « l’Algérie française ».

Hélas, Messali Hadj ne saisit l’occasion de la convergence des idées autour de la question de la libération nationale pour réaliser le rassemblement des forces vives de la nation. A chaque crise, il s’appuie sur un groupe pour en éliminer un autre. C’est du moins dans cette logique qu’intervient l’excommunication des « berbéristes » en 1949. Bien qu’il y ait, certes, un courant, notamment en émigration, qui avance des revendications culturalistes – en plus, revendiquer une Algérie algérienne n’est ni une outrance ni une contrevérité historique -, les militants du district du Djurdjura sont, dans leur ensemble, des patriotes acquis à l’idéal d’indépendance.

Pour résumer leur sentiment, voilà ce que déclare Hocine Ait Ahmed aux membres du bureau politique du PPA-MTLD, présidé par Messali Hadj, lui demandant de désavouer ses camarades : « (…) Mes camarades et moi n’avons jamais avancé de revendication culturelles et linguistiques berbères, afin de ne pas compromettre le processus révolutionnaire. C’est que nous acceptons plutôt l’Algérie arabe que l’Algérie française. Par contre, j’ai le sentiment que certains préféreraient encore l’Algérie française à l’Algérie berbère. »

En tout état de cause, bien qu’il y ait des divergences réelles sur la définition de l’identité culturelle de l’Algérie ou, à la limite, sur l’intégration de la composante berbère dans cette identité, dès le déclenchement de la Guerre d’Algérie, ces militants se sont mis à la disposition du FLN historique. En revanche, malgré la grandeur du projet, les initiateurs de la lutte armée ne sont pas d’accord sur la conduite à tenir. Si certains avancent l’idée d’un contrat moral – c’est-à-dire, la révolution appartient à ceux qui l’ont déclenchée -, d’autres soutiennent que la révolution doit appartenir au peuple algérien. Et comme ils n’arrivent pas à trancher cette question, le pouvoir revient au groupe le plus puissant.

L’étude comparative entre la wilaya I (Kabylie) et la wilaya III (Aurès-Nememchas) est, à ce titre, intéressante. Leur rivalité remonte, selon l’auteur, à l’époque où les dirigeants kabyles étaient chargés de réorganiser la wilaya I. C’est probablement ce qui détermine le choix des Chaouis lors de la crise de l’été 1962 en se ralliant à l’EMG (état-major général), commandé par Houari Boumediene.

Bien que la crise de l’été 1962 oppose deux organismes, le GPRA et l’EMG, les choix des dirigeants sont parfois dictés par d’autres impératifs. Et pourtant, les statuts de la révolution déterminent clairement les rôles : c’est le GPRA qui nomme les membres de l’EMG. En droit, il existe une règle simple : celui qui nomme peut mettre fin aux fonctions du chef désigné. Du coup, sans tenir compte des éléments composant ces groupes, la victoire de l’EMG sur le GPRA ne peut porter qu’un seul nom : le coup d’État. Et c’est la seule période où l’auteur s’éloignerait, à mon humble avis, de l’étude des archives.

Pour conclure, il va de soi que cette note de lecture ne peut pas synthétiser le magnifique travail de Yassine Temlali. Pour mieux comprendre l’évolution du mouvement national et, par la même occasion, la formation de la nation algérienne – une contribution à laquelle ont participé toutes les régions d’Algérie -, il faudra lire le livre. Et le moins que l’on puisse dire, est que cet ouvrage répondra sans ambages à toutes les interrogations que le lecteur pourrait se poser.

 

La genèse de la Kabylie. Aux origines de l’affirmation berbère en Algérie (1830-1962), Alger, Barzakh, octobre 2015.

 

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Extraits du livre de Yassine Temlali : La genèse de la Kabylie. Aux origines de l’affirmation berbère en Algérie (1830-1962)

 

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