La semaine économique commentée par El Kadi Ihsane.
Les grandes tendances de l’année qui commence sont connues. La reprise américaine va rester précaire, la montée en puissance de l’offre chinoise va continuer à se ralentir, et l’Europe ne sortira pas de la stagnation dans laquelle elle se trouve depuis 2009. Dans le contexte, les BRICS (hors Chine) ne sont pas encore prêts à prendre le relais de la croissance mondiale. La Russie a été ramené à son statut d’économie encore dépendante des hydrocarbures, le Brésil a grippé son modèle de croissance des années Lula, et le poids de l’Inde sur l’économie mondiale est contenu par les limites de sa demande interne. En 2015 le monde ne sera toujours pas sortit de l’onde de choc des subprimes. Les économistes les plus lucides le savaient. Ils ont bien pointé le ressort cassé au milieu des années 2000. La croissance du capitalisme avancé a cessé d’être portée par le fordisme. C’est-à-dire par la capacité du salariat à consommer une partie conséquente de la valeur qu’il crée. La baisse relative de la part des salaires dans les revenus par rapport aux profits et aux rentes, durant les 20 dernières années a ouvert la porte à la dérive des crédits. Pour soutenir la consommation, et donc les profits. La bulle a explosé dans l’immobilier américain, là ou la spirale s’est affolée en tentant de faire de semi-chômeurs des propriétaires de leur maison à crédit. Si les profits se sont redressés pendant vingt ans au détriment des salaires cela n’était pas sans conséquence. La demande solvable a été atteinte dans la durée. Et les artifices du crédit, ni celui de la survalorisation des actifs boursiers ne pouvaient indéfiniment masquer cette réalité. Le pouvoir d’achat des américains, accessoirement celui des européens, était artificiellement entretenu par de la dette. Le capitalisme a parait au plus urgent depuis l’effondrement de Lehmann Brothers en 2008. Il a maintenu la capacité des banques à approvisionner l’économie réelle. Mais avec une vanne au trois quart fermée par rapport à avant la crise de 2007-2009. Ce qui doit venir prendre le relais, c’est à nouveau un pouvoir d’achat reconstitué du salariat. Mais ce retour à une vertu classique du capitalisme fordiste s’est avéré très compliquée depuis 5 ans. Les plus riches ne veulent rien céder des positions conquises depuis la contre-révolution Reagano-Thatchérienne du début des années 80. Au contraire, ils prennent prétexte des coûts de production plus bas des pays émergents, devenus des concurrents, pour faire un peu plus pression sur leur facteur travail. En fait sur leurs classes laborieuses. La crise du capitalisme avancé n’a pas trouvé de sortie par le haut. Même avec Obama à la maison blanche. Seul un soulèvement social de grande amplitude peu corriger la clé de partage des revenus dans ces pays, et redonner des débouchés prédictibles aux investissements locaux. Cela aussi n’arrivera sans doute pas en 2015.
La grande tendance de l’économie algérienne en 2015 est une dérivée de celle de l’économie mondiale. Mais dans un autre paradigme. La demande solvable domestique est soutenue artificiellement par le budget de l’Etat. En occident, les gouvernements proches du grand capital ont entretenu pendant plus de 20 as des débouchés factices avec du crédit facile. En Algérie, les raisons sont inverses. Le gouvernement entretien une consommation populaire «facilitée » par la rupture de l’équilibre revenus-dépenses. Il ne le fait pas essentiellement pour faire profiter les patrons algériens, encore que certains d’entre eux ont plus de débouchés grâce au système de subventions, mais le fait simplement pour se reproduire. Pour continuer à capter de l’essentiel de la rente pétrolière dans le revenu national. Tout comme le crédit facile a collapsé aux Etats Unis et dans le monde pour ramener l’économie capitaliste au fait qu’elle ne donnait plus assez de pouvoir d’achat à son salariat, les subventions qui portent la consommation algérienne entre dans le dur en 2015. Le Lehmann Brothers algérien arrive. C’est le moment symbolique que la répartition du revenu national ne peut plus être maquillée. Elle l’a été aux Etats Unis grâce au crédit et à des actifs boursiers surcotés. Elle l’est en Algérie grâce à la subvention. Celle-ci va devoir être remise à plat. A un moment qui s’avère finalement plus proche que celui prévu par les plus pessimistes projections. Alors comme le capitalisme avancé avec le crédit facile, il faudra trouver d’autres moteurs de la croissance que la dépense publique et l’hyper subvention. Comme le crédit ailleurs, la subvention pourrait devenir rationnalisée ici. C’est la mesure conservatoire d’attente. D’attente de quoi ? Des idées et des équipes pour sortir de l’économie factice.
L’économiste français Thomas Piketty a refusé la légion d’honneur de son pays la semaine dernière. Thomas Piketty a estimé que ce n’était pas le rôle du gouvernement de juger qui était honorable. L’actualité du travail académique de Thomas Piketty est au cœur de ce que cette première chronique de l’année a tenté de rappeler. L’évolution des inégalités de revenus dans les pays impacte t’elle leur croissance économique dans la durée ? Thomas Piketty a travaillé sur la plus longue série statistique disponible pour certains pays depuis le dernier tiers du 19 siècle. Il en est sortit « Le capital au 21e siècle » un livre culte sur la dialectique de la répartition des revenus. Il est sans doute le premier à pouvoir quantifier les corrélations entre les écarts de revenus et les performances des économies, toujours prises dans le temps long. Piketty a confirmé scientifiquement ce que le krach américain de 2007 a révélé. Les inégalités entre revenus du travail et revenus du capital se sont creusés depuis 20 ans, selon une courbe jamais connue durant le siècle précédent. A l’avantage du capital. Ces travaux montrent que cette crise n’est pas comme les précédentes. Les politiques contra-cycliques (dans ce cas keynésiennes) ne sont plus le remède. Les déficits publics ne les permettent plus. C’est le cœur du partage des revenus capital-travail qui est donc à nouveau interrogé. Un peu comme l’a fait Karl Marx en travaillant sur la plus value. Les gouvernements n’aiment pas les Thomas Piketty. C’est pour cela qu’ils leur délivrent la légion d’honneur.