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Opinions

A l’approche des présidentielles, l’Algérie peut-elle éviter le pire scénario ? (Opinion)

Par Yacine Temlali
17 janvier 2014
A l’approche des présidentielles, l’Algérie peut-elle éviter le pire scénario ? (Opinion)

Pour l’auteur* de ce texte, depuis l’assassinat d’Abane Ramdane par les services secrets de l’Armée de libération nationale en 1957, les miliaires algériens ont toujours joué plus vite que les forces œuvrant à les marginaliser sur la scène politique. Il y a beaucoup de chances, estime-t-il, qu’ils réagissent de la même manière aux projets que nourrissent le président Bouteflika et ses alliés de les éliminer.

 

M. Abdelmalek Sellal répète partout que l’un des atouts actuels de l’Algérie est sa stabilité en comparaison avec les pays de la région. Il feint de ne pas se rendre compte qu’il est en train de surfer sur une situation hautement éruptive, dont les répliques indicibles ne présagent rien de rassurant, à l’image des émeutes urbaines qui gagnent chaque jour en amplitude et en diversité.

Sur le plan intérieur, rien n’a été épargné pour réduire à néant les divers instruments de la société civile. La récente loi relative aux associations a repris les intonations de l’ordonnance de 1971, permettant à diverses autorités administratives ou politiques d’instrumentaliser la vie associative et de discréditer ses leaders et restaurant ainsi l’interdit, l’intolérance symbolisés par « l’agrément-autorisation ». Je reprends ici mon commentaire extrait d’un article publié dans la Revue Algérienne des Sciences Juridiques Politiques et Economiques à propos des associations algériennes en….1988 : « On ne dira pas que l’Etat intervient dans le domaine associatif mais qu’il y module sa présence. L’Etat n’occupe pas l’espace associatif, il s’en occupe. »

La répression systématique des nouveaux syndicalistes ou militants des droits de l’homme, la dispersion violente des regroupements de citoyens, les entraves officielles ou officieuses à la liberté de réunion en général: tout est là pour renforcer l’image d’un Etat aux contours administratifs abrupts, méfiant, scrutateur, incapable de comprendre l’avantage de disposer d’associations crédibles et puissantes, capables de relayer les colères, de réguler les tensions de proximité ou encore d’expliciter les demandes sociales.

Comme dans les années 1970 et 1980, le pouvoir reste insensible à l’idée toute simple que la bonne santé d’une société civile, en plus d’être un bon indicateur du développement humain, agit comme un préalable ou un pré-requis de la bonne gouvernance. Au lieu de cela, il ne trouve rien de plus pertinent aujourd’hui que de vouloir mettre la profession d’avocat « sous contrôle judiciaire », avec la nette intention de réduire à néant la capacité de résistance ou de défiance des citoyens. Au lieu de cela, il ne trouve rien de plus intelligent que d’user, pour la quatrième fois, de son droit de veto à l’encontre de l’Association algérienne de lutte contre la corruption afin de l’empêcher de participer à la Conférence des Etats-parties de la Convention des Nations unies contre la corruption, confirmant ainsi notre triste classement dans la liste des pays corrompus.

 

Une inconnue : la réaction de l’armée

 

C’est dans ce contexte précis que va s’ouvrir la campagne électorale pour le scrutin devant désigner le prochain président de l’Algérie.

Contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit ces derniers jours, il me semble tout à fait logique de penser que le coup de force de septembre 2013, monté par le clan du président Bouteflika contre les institutions sécuritaires de l’armée commodément résumées sous le sigle du DRS, peut, à tout moment, générer une réaction politico-militaire ou strictement militaire dont on ne connaît pas encore les formes. Les dernières activités du général Zeroual à Alger, relayées par la presse, en sont peut-être le signe annonciateur.

Il faut relever qu’en dehors des appels des seconds couteaux du sérail (Amar Saïdani, Abdelmadjid Sidi Saïd, ou Amara Benyounes), le président n’a pas encore déclaré officiellement sa candidature à un quatrième mandat, sachant pertinemment qu’il s’exposerait à une réaction des autres pôles de décision civils et militaires : son passé d’intrigant l’a rendu bon connaisseur des us et coutumes établis.

Depuis plus de cinquante ans, la règle en Algérie est que les militaires n’aiment pas du tout que les cartes soient distribuées ou rebattues sans eux ou, plus grave, contre eux. Remontons d’abord à Abane Ramdane, figure épique du pouvoir civil naissant pendant la Révolution algérienne, tout auréolé de son succès du congrès de la Soummam (1956), où il fit adopter le principe de la primauté du civil sur le militaire préalable à toute société démocratique éloignée du carcan autoritaire qui caractérise notre vie politique depuis l’indépendance. On sait aujourd’hui qu’il fut « convoqué » par l’ancêtre du DRS pour être tout simplement assassiné en guise d’avertissement aux autres leaders civils du FLN.

Certains ont tellement bien compris le message qu’ils ont préféré mettre fin à toute activité politique (Mohamed Lamine Debaghine) ; d’autres ont accepté de réduire considérablement leur voilure (Saâd Dahlab) ; et même le grand Ferhat Abbas ira à Tlemcen, en 1962, faire allégeance à l’état-major de l’ALN, signant ainsi une triste fin de son parcours politique.

Ahmed Ben Bella a été éliminé à partir du moment où sa figure internationale, ses amitiés nouvelles avec Castro, Che Guevara , Tito ou Ben Barka lui paraissaient de nature à lui permettre de défier les militaires et d’humilier devant plusieurs témoins Abdelaziz Bouteflika, Kaïd Ahmed ou Ahmed Bencherif. Nous connaissons la suite. Il a eu la vie sauve à cause du prestige international de l’Algérie à cette époque, ses successeurs ne voulant pas entièrement le sacrifier.

Plus près de nous, cette situation de septembre 2013 rappelle la situation de Chadli Bendjedid en 1991, lorsque sur les conseils d’Ahmed Taleb El Ibrahimi et d’Abdelhamid Mehri, entre autres, il décida de signer un deal avec le FIS sans en référer à l’armée. Nous connaissons aussi la suite puisque la réaction de l’armée va inaugurer le cycle terrible d’une guerre contre les civils que beaucoup, par paresse intellectuelle, continuent à appeler « guerre civile ».

Encore plus près de nous, le président Boudiaf avait annoncé, au début de mai 1992, à ses conseillers les plus proches que le 5 juillet 1992, il annoncerait officiellement l’organisation d’élections présidentielles pluralistes avant le 1er novembre 1992. L’armée, tous commandements confondus, a tout fait pour lui faire entendre raison car son expression « maffia politico-financière » avait fait florès et qu’il incarnait déjà, aux yeux des Algériens, la figure du propriétaire d’une maison voulant en expulser les occupants sans droit ni titre, les indu-occupants. Boudiaf refusa de négocier quoi que ce soit et son assassinat a fait sombrer le pays dans l’une des périodes les plus terrifiantes dont on est loin d’avoir déchiffré le sens et la portée hors du fait que cette terreur globale et durable a permis de mettre en route le processus de transfert des rentes publiques vers des rentes privées permettant, en quelques années seulement, à Cevital de remplacer la SNCG et la Sogedia pour ne citer qu’un seul exemple.

 

Arrêter la rapine, préparer l’avenir

 

La règle, en réalité, est immuable : lorsque les militaires sentent que quelqu’un joue plus vite qu’eux ou sans eux, ils réagissent assez vite en général. C’est à la lecture de toute cette expérience que je crois possible (mais pas certain) une réaction des militaires et plus particulièrement de nouveaux jeunes officiers qui assistent, médusés, à des promotions de généraux qui relèvent du népotisme ou du régionalisme le plus abject. C’est la conclusion à laquelle arrivent deux politologues même s’ils n’empruntent pas le même raisonnement historique. Le premier laisse entendre que le clan Bouteflika a contracté les arrangements nécessaires avec l’armée avant de renoncer au quatrième mandat, le deuxième ne peut pas croire que l’institution militaire, de façon générique, puisse accepter toutes ces humiliations publiques sans réagir.

Voilà quel type de supputations nous impose la conjoncture actuelle dans notre pays.

Pendant ce temps-là, dans les pays réellement gouvernés, les élites civiles et militaires réfléchissent aux conséquences des reconfigurations géopolitiques qui ont cours sous nos yeux , à l’image du renouveau d’un néo-empire soviétique qui vient de faire plier l’Europe en « avalant » l’Ukraine ou encore de cette superpuissance chinoise qui déploie avantageusement ses capacités technologiques, militaires , économiques et diplomatiques allant jusqu’à geler toute initiative internationale pouvant la contrarier comme en Syrie.

Pendant ce temps-là, les nations qui sont « entrées dans l’histoire » mutualisent l’intelligence de leurs ressources humaines pour préparer la prochaine étape, celle où le pétrole, par exemple, ne sera plus qu’une richesse sans plus-value excessive parce que remplacée par d’autres sources d’énergie ; en d‘autres termes l’étape où aucun gouvernement ne pourra survivre sans s’intéresser un tant soi peu au souffle qui traverse ses citoyens.

Tout cela fait d’autant plus peur dans notre pays, qui a sabordé volontairement sa diplomatie en la confiant au premier venu pendant une décennie et qui se retrouve sans voix, sans ambition et sans stratégie au moment où toutes ses frontières peuvent constituer, à tout moment, d’innombrables îlots de déstabilisation.

C’est pour tout cela qu’on est en droit de se demander si notre pays peut encore éviter le chaos qui guette son avenir. C’est aussi pour cela que les décideurs d’aujourd’hui, toutes hiérarchies et tous secteurs confondus, doivent sortir le pays des archaïsmes assassins de la présente gouvernance au lieu d’attendre béatement le naufrage, avec pour seul souci de compter et recompter les dollars de leurs honteuses rapines.

 

 * Bachir Dahak et docteur en droit et militant associatif.

 

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