Selon le Premier ministre Abdelmalek Sellal, Abdelaziz Bouteflika n’a pas moins droit que la chancelière allemande à un nombre infini de mandats à la tête de l’Etat. Yassin Temlali s’interroge, dans ce billet, sur la pertinence de cette surprenante analogie.
« En Allemagne, Angela Merkel a fait trois mandats et elle peut ajouter un quatrième et même un cinquième mandat, sans aucun problème », a déclaré lundi l’inénarrable Premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal. Je n’aime pas plus Angela Merkel que Margaret Tatcher ou d’autres « Dames de fer » mais cette analogie implicite entre Abdelaziz Bouteflika et la chancelière allemande est-elle pertinente ?
Je ne suis pas Allemand mais la dernière fois que j’ai vu Angela Merkel, c’était il y a quelques heures, et je suis certain de la revoir ce soir. En 1962, lorsque Abdelaziz Bouteflika intriguait avec Houari Boumediene et Ahmed Ben Bella pour renverser le GPRA, elle avait 8 ans et allait encore à l’école primaire. Et lorsqu’en 1965, au nom du « redressement révolutionnaire », le même M. Bouteflika s’est remis à intriguer (toujours avec M. Boumediene mais contre M. Ben Bella cette fois-ci), elle n’avait pas encore passé sa sixième. Et en 1978, lorsque M. Bouteflika faisait l’oraison funèbre de son protecteur, déployant sa maîtrise de cette factice rhétorique qui ne convainc que des convaincus, elle venait, elle, d’à peine finir ses études supérieures.
Et lorsque Abdelaziz Merkel traversait confortablement le désert, en conseiller de cheikhs féodalistes, lui l’anti-réactionnaire, elle, Angela Merkel, préparait une thèse d’Etat. Elle n’est entrée en politique qu’en 1989, lorsque lui, le Merkel algérien, revenait, comme ça, pour le fun, au comité central du FLN, avant de s’en aller de nouveau, Dieu sait où, déçu qu’on n’ait proposé qu’un portefeuille de ministre à un « cerveau » comme lui, qui a toujours su mieux que tous les Algériens où se trouve leur intérêt. Et en 1998, lorsqu’il négociait avec les militaires son parachutage démocratique à la tête du pays, elle se faisait élire, elle, à la tête de son parti : on peut penser ce qu’on veut des élections dans une démocratie bourgeoise mais elles valent certainement mieux que la cooptation par les « pairs », civils et militaires. Et pendant que lui, le gonflement de la rente pétrolière aidant, savourait les insouciants plaisirs de son premier mandat et, de visite d’Etat en voyage privé, ne rentrait en Algérie que pour en repartir, elle affûtait, elle, ses armes en diverses missions parlementaires – ce qu’il aurait perçu comme une suprême humiliation, lui qui, à 77 ans, ne voit toujours au Parlement d’autre utilité que celle d’entériner les ordonnances présidentielles.
Angela Merkel a été élue chancelière en 2005 et, depuis, elle n’a jamais été hospitalisée à Val-de-Grâce ni reçu les plus hauts responsables allemands en robe de chambre, dans son salon de convalescente. Et si elle a obtenu un troisième mandat en 2013, ce n’est pas après avoir taillé la Constitution à sa mesure, quelques mois avant les élections.
Et puis, pour finir, depuis qu’elle est au pouvoir, Angela Merkel n’a jamais eu pour porte-parole officieux l’équivalent germanique d’Amar Saïdani ni pour principal conseiller un Merkel de sexe masculin.