Une adhésion à l’OMC n’implique pas de démantèlement tarifaire immédiat et donc n’implique pas d’augmentations immédiates des importations, contrairement aux accords de libre échanges qui eux portent sur la réduction des droits de douanes réellement appliqués.
La question de l’adhésion de l’Algérie à l’OMC s’inscrit dans une problématique plus large, celle de la définition d’une démarche cohérence de participation de l’Algérie au commerce mondial, en tenant compte de la forte vulnérabilité du pays liée à la concentration des exportations dans les hydrocarbures. L’insertion de l’Algérie dans le commerce mondial ne peut en effet être pensée indépendamment de la cruciale transformation structurelle de l’économie au travers d’une ré-industrialisation accélérée et d’une diversification du tissu productif.
Il s’agit donc de définir et mener une nouvelle politique commerciale volontariste, maitrisée, engageant la nation de manière crédible et irréversible dans un processus d’ouverture à l’économie mondiale. Cette nouvelle politique commerciale alignerait au 1er janvier 2020 tous les échéanciers d’adhésion aux traités commerciaux internationaux et régionaux (OMC, ZALE, UMA), et en cohérence avec le déroulement d’une nouvelle Politique Industrielle et plus généralement de la mise en place d’une nouvelle stratégie de développement.
En raison de l’existence de divers traités de libre échange, il s’avère nécessaire d’aligner les échéanciers d’adhésion à l’OMC et de tous les accords commerciaux (UE, ZALE) et les ambitions d’intégration régionale approfondie (UMA) sur une date. Nous proposons le 1er janvier 2020. Ceci permettra une cohérence avec la mise en œuvre d’une nouvelle politique industrielle, et plus généralement avec la mise en place d’une nouvelle stratégie de développement. Cela permettra également une ouverture à la concurrence internationale et la construction d’une communauté économique maghrébine qui soient progressives, irréversibles et coordonnées. Une démarche progressive permettra à notre pays de créer les bases d’une compétitivité plus forte de son économie, et de mettre en œuvre sans contraintes les réformes nécessaires au développement de son tissu productif.
L’adhésion à l’OMC, les accords de libre-échange et la politique industrielle visant une diversification de l’économie
Avec l’accession du Yémen le 26 juin 2014, l’Organisation Mondiale du Commerce compte désormais 160 membres et couvre la quasi-totalité du commerce mondial. Avec l’accession récente de la Russie en août 2012, l’Algérie reste un des rares pays avec un PIB supérieur à 100 milliards de dollars à ne pas en être membre, avec l’Iran, l’Irak et le Kazakhstan. La procédure d’accession de l’Algérie est ainsi devenue la plus longue qu’ait connue le système commercial multilatéral. Y a-t-il pour autant urgence ?
Les avantages qu’aurait l’Algérie à accéder à l’OMC sont de différentes natures :
– Certains avantages concernent la compétitivité commerciale avec notamment l’amélioration des conditions de l’insertion internationale à travers une plus grande rationalisation productive et une meilleure exploitation des avantages comparatifs réels mais surtout potentiels qu’un pays comme l’Algérie est amené à construire ;
– D’autres sont plus liés à la diplomatie économique avec une intégration au jeu coopératif multilatéral via la participation à l’élaboration des règles du commerce international ;
– La gestion des conflits quant à l’accès aux marchés d’exportation grâce au recours et à l’usage de la procédure de règlement des différends pour les conflits commerciaux internationaux, car cette procédure est réservée exclusivement aux membres du système commercial multilatéral[1] ;
– Enfin, et non des moindres, l’adhésion à l’OMC implique l’introduction d’une cohérence institutionnelle de la politique commerciale au niveau national, ce qui la rend plus transparente, plus lisible et engageante, et réduit l’influence des intérêts particuliers dans la définition de la politique commerciale.
Les inconvénients de l’adhésion à l’OMC sont liés au fait de se soumettre à un corpus de règles qui s’imposent au pays et qui impliquent entre autres :
– Une obligation de se conformer aux règles et procédures du « Club », comme le fait de se plier à un examen régulier des politiques commerciales par le secrétariat de l’OMC, ou d’informer obligatoirement l’OMC et ses membres de mesures politiques ou lois spécifiques par le biais de “notifications” régulières;
– Une restriction du « champs des possibles » en matière de politique économique et de stratégie de développement, notamment en termes d’outils d’appui sectoriel dans le cadre de la stratégie industrielle. Ceci est l’aspect sans doute le plus négatif d’une adhésion à l’OMC dans la mesure où l’Etat a un grand rôle à jouer dans l’accélération de notre développement économique. L’adhésion à l’OMC le priverait d’instruments clés pour intervenir dans l’économie ;
– Le corolaire est une intensification de la concurrence pour les producteurs locaux. Ceci dit, en restant en dehors de l’OMC, un pays ne bénéficie pas de la protection de cette institution qui interdit de nombreuses pratiques commerciales déloyales. Il s’agit dès lors de faire un choix entre concurrence prévisible accrue mais encadrée et risque de pratiques déloyales non prévisibles.
L’intensification de la concurrence internationale et la perte d’instruments de politiques publiques pour soutenir le développement de notre secteur productif risquent de limiter notre champ des possibles en matière de diversification de notre économie.
Mythes et réalités des conséquences de l’adhésion à l’OMC
L’adhésion à l’OMC provoquera un déferlement de produits importés ?
Tout d’abord, il faut noter que l’accession à l’OMC n’implique pas un démantèlement tarifaire automatique, surtout pour des pays qui ont une structure tarifaire comme celle de l’Algérie. L’Algérie n’a pas un droit de douane moyen ou un nombre de « pics tarifaires » anormalement élevés. Or, à l’OMC, toutes les négociations portent sur les droits de douanes consolidés et non pas sur les droits réellement appliqués. Les droits de douanes consolidés étant des droits plafonds hypothétiques que les pays s’engagent à ne pas dépasser. Pour un produit donné, la différence entre le droit de douane appliqué et le droit consolidé à l’OMC peut être très importante, pouvant même dépasser le double . Cette marge de manœuvre, appelée « policy space », permet aux membres de l’OMC d’avoir la latitude de remonter des droits de douanes au niveau du droit consolidé, dans des secteurs jugés stratégiques. Bien sur, les droits réellement appliqués ne peuvent en aucun cas aller au-delà des droits consolidés. C’est ce qui apporte une certaine clarté et une réduction de l’incertitude aux partenaires commerciaux, car le plafond de protection potentielle est connu.
L’adhésion à l’OMC provoquera une chute des tarifs douaniers ?
Le marché Algérien n’est pas aussi protégé qu’on le pense : le droit de douane moyen appliqué par l’Algérie (hors accord préférentiel) est de 11,37%. A titre de comparaison, nos voisins immédiats, membre de l’OMC depuis sa création sont à 9,16% pour le Maroc et à 15,93% pour la Tunisie. Les droits moyens consolidés, qui sont notifiés à l’OMC, sont pour ces deux pays respectivement de 49,33% et de 41,77%. Or les réductions tarifaires corolaires des cycles de négociations s’appliquent sur les droits de douanes consolidés. De même le droit maximal (pic tarifaire) du Maroc est à 289%, celui de la Tunisie à 200%, alors que celui de l’Algérie est à seulement 30%.
Une adhésion à l’OMC n’implique pas de démantèlement tarifaire immédiat et donc n’implique pas d’augmentations immédiates des importations, contrairement aux accords de libre échanges qui eux portent sur la réduction des droits de douanes réellement appliqués.
Double tarification du gaz abandonnée ?
Un des points d’achoppement des négociations actuelles concerne la double tarification gazière. A l’instar de ce qui a été demandé à l’Arabie Saoudite(2005) ou à la Russie (2012), lors de leur adhésion, il est demandé à l’Algérie un alignement des prix du gaz pratiqués à l’intérieur et sur les marchés d’exportation.
Ce qui représente pour l’Algérie un avantage concurrentiel important est considéré par les pays membres du groupe de travail de l’accession de l’Algérie comme une forme de subvention aux industries fortes consommatrices d’énergie ou aux productions intensives en énergie, pouvant s’apparenter parfois à une subvention à l’exportation, ce qu’interdit l’OMC. Par ailleurs, il est important d’avoir à l’esprit que la double tarification à l’égard des ménages et des consommateurs, du fait de politiques sociales n’est pas concernée par l’OMC.
Tout l’enjeu de la négociation réside donc dans la capacité de l’Algérie à démontrer que le prix interne ne comprend pas de subvention et couvre les coûts de production augmentés d’une marge commerciale, et donc dans sa capacité à maintenir un écart entre prix mondiaux et prix domestique.
De ce fait, les expériences russes et saoudiennes sont riches d’enseignements et représentent un benchmark qui dresse des lignes à ne pas dépasser en matière de concessions sur le différentiel de prix. A ce titre il est important de noter que les deux pays ont fini par concéder une certaine réduction de l’écart, et ce de manière progressive. L’Algérie doit dès lors négocier des concessions moindres avec une période de mise en œuvre plus longue du fait de son statut de pays en développement, même si ce statut n’est pas formellement reconnu par l’OMC pour les processus d’accession.
NABNI préconise de manière plus globale une refonte du schéma des subventions, notamment ceux à l’énergie, pour s’orienter vers des schémas de transferts beaucoup plus rationnels et efficaces qui augmenteraient l’aide à ceux qui en ont réellement besoin, tout en réduisant significativement le coût pour les deniers publics. Aussi, il est important que la négociation avec l’OMC se fasse en cohérence avec ces réformes cruciales, tout en veillant à maintenir un avantage réel sur le coût de l’énergie, ce qui représente un des leviers de diversification industrielle.
Ainsi, l’adhésion à l’OMC ne provoquera pas une chute drastique des tarifs douaniers, suivie d’un déferlement immédiat de produits importés. Mais elle provoquera très certainement une réduction du champ des possibles en matière de politiques publiques pour supporter le développement de nos entreprises.
Il est donc crucial d’avoir une idée très précise des secteurs pour lesquels l’Algérie souhaite avoir des marges de manœuvre importantes (le fameux policy space), avant d’adhérer à l’OMC. En effet, cette différence entre les droits appliqués et les droits consolidés ne peut pas être conséquente pour l’ensemble des produits, mais seulement pour un certain nombre de produits.
Ainsi, cette question d’adhésion à l’OMC ne peut être pensée indépendamment des autres aspects de la politique commerciale (accords de libre-échange, notamment l’accord d’association avec l’UE, politique d’exportation) et surtout de la politique économique de diversification de manière générale.
Etant donné le faible développement industriel de l’Algérie et la très faible diversification de ses exportations, la politique industrielle recommandée, aux côtés des autres chantiers de diversification, requiert d’utiliser des mécanismes d’appui aux secteurs prioritaires que le cadre de l’OMC réduira. La mise en place d’aides transversales est également importante pour permettre à l’économie de rapidement réagir à la concurrence internationale et de développer les activités pour lesquelles nous pouvons être compétitifs.
Un cadre réglementaire trop stricte imposerait rapidement une contrainte forte sur la diversification du secteur industriel algérien. L’industrie représente moins de 5% du PIB et la productivité des facteurs, notamment du travail, demeure faible dans notre pays. Il faut ajouter à cela la faiblesse de nos exportations hors hydrocarbures, tant en volume qu’en contenu technologique. Il apparaît dès lors évident que sans soutien actif de l’Etat notre développement industriel sera insuffisant pour faire face à la concurrence internationale et doper nos exportations hors hydrocarbures. Ainsi il est crucial que l’Etat puisse disposer de tout l’arsenal d’instruments des politiques publiques d’appui aux secteurs prioritaires, que le cadre de l’OMC réduira inévitablement. La mise en place d’aides transversales est également importante pour permettre à l’économie de rapidement réagir à la concurrence internationale et de développer les activités pour lesquelles nous pouvons être compétitifs.
Cependant, force est de constater que l’Etat tarde encore à mettre en œuvre les réformes nécessaires pour diversifier notre économie et sortir du modèle rentier. Ainsi, l’échéance stricte, irréversible et crédible d’une adhésion à l’OMC qui coïnciderait, au 1er janvier 2020, avec les échéanciers des accords de libre-échange (ZALE, UE, etc.) et de la construction d’une communauté économique maghrébine, permettrait d’exercer une contrainte forte à la fois sur les pouvoirs publics et les entreprises algériennes pour préparer cette échéance inéluctable.
Il ne s’agit pas de surprotéger trop longtemps nos industries naissantes, mais simplement le temps nécessaire pour asseoir leur développement et pouvoir s’engager sur un échéancier court et strict d’ouverture. Combiné à une politique active d’attraction des IDE et à des appuis aux secteurs industriels qui soient essentiellement axés sur leur performance à l’export (pour s’assurer qu’ils sont en concurrence internationale ouverte), cet engagement de démantèlement et d’adhésion à l’OMC permettrait d’engager la diversification sans souffrir d’excès de protection et de rentes.
Redéfinir la politique commerciale et s’engager de manière crédible et irréversible sur un calendrier d’ouverture au 1er janvier 2020.
Le collectif NABNI recommande ainsi :
- De ne pas passer à une étape supérieure dans le processus en cours pour l’adhésion à l’OMC ;
- D’entreprendre, de manière unilatérale, les réformes réglementaires et institutionnelles nécessaires pour accéder à l’Organisation ;
- D’inscrire l’ouverture commerciale dans le cadre d’une stratégie de développement globale qui ait pour ambition de réduire rapidement et de façon significative la dépense de notre économie aux exportations d’hydrocarbures ;
- De mettre en œuvre immédiatement les réformes nécessaires pour permettre un développement plus rapide de notre secteur productif, et notamment le secteur privé ;
- de planifier, de manière crédible et irréversible, un échéancier de démantèlement tarifaire qui débutera le 1er janvier 2015, et qui sera étalé jusqu’au 1erjanvier 2020, qui corresponde tant aux accords de libre-échange (UE, ZALE, etc.) qu’à celui de l’entrée à l’OMC (qui lui ne vise pas les droits de douanes appliqués, mais consolidés). La baisse des subventions énergétiques pour l’industrie nationale (conformément au Chantier 3 du rapport NABNI 2020) se fera également en parallèle, ce qui neutralisera le principal argument de pays membres s’opposant à l’entrée de l’Algérie à l’OMC.
- Redéfinir le calendrier d’adhésion à l’OMC, tout en identifiant clairement les secteurs stratégiques pour lesquels on garantira un levier d’action (policy space) en fonction des impératifs de la politique industrielle et du besoin de soutenir les exportations des industries naissantes. Cette adhésion se fera dans les 6 ans suivants le lancement de la nouvelle stratégie économique dans le cadre d’une vision stratégique de transformation structurelle du pays.
- Renégocier, lors des clauses de rendez-vous, les traités d’association à l’UE et accords de libre-échange arabe, à la lumière des impératifs et des objectifs de la politique industrielle, en y inscrivant notamment des clauses de sauvegarde et des mécanismes de protection temporaire.
- Faire de l’intégration Maghrébine un puissant levier de la diversification dans le cadre de la stratégie industrielle, en développant des filières intégrées maghrébines.
Nous préconisons également de reprendre les négociations bilatérales stratégiques, notamment avec les grandes puissances économiques émergentes du Sud (Corée, Chine, Inde, Brésil, Malaisie, Turquie) en vue de la signature d’accords de libre-échange bilatéraux qui entreraient également en vigueur le 1er janvier 2020. Nous suggérons également de mener de manière crédible les négociations relatives à la mise en œuvre de la décision du 19ème sommet de l’Union Africaine (dont l’Algérie est un membre majeur), durant lequel les chefs d’Etats se sont engagés à accélérer la construction du marché commun africain par la création d’une zone de libre-échange continentale (ZLEC) à la date indicative de 2017.
[1] Par exemple, les exportations des membres de l’OMC ne peuvent pas subir des blocages ou taxes arbitraires sur les marchés des autres membres, ce qui leur apporte une certaine protection et donc réduit l’incertitude pour les investisseurs.