Abdelmalek Sellal est un premier ministre prévenant. Il a invité le think thank Nabni à une tripartite à l’automne 2013. Il a écouté. Et puis, il s’est enfermé avec ses conseillers et ses ministres et il a fait une loi de finances pour 2014, puis une autre pour 2015 qui font plaisir à Abdelaziz Bouteflika. C’est-à-dire des lois de finances qui reprennent la totalité des mécanismes du syndrome hollandais que développe l’économie algérienne de manière aggravée depuis que les cours du pétrole se sont mis à augmenter en 2005.
En acceptant d’écouter ce que les citoyens-experts de Nabni avaient à dire sur la prospective le premier ministre aurait pu agir autrement. Commencer, par exemple, à tendre vers la loi d’or qui veut que la fiscalité pétrolière ne finance pas les dépenses de fonctionnement. Sellal aurait même pu écouter les alertes de Mohamed Laksaci, le placide gouverneur de la banque d’Algérie, qui l’a prévenu de toutes les fragilités qui se sont accumulées à cause du choix d’assoir croissance et revenus sur la seule dépense publique. Au lieu de quoi, il a éructé « une blague » sur le mode « tu veux me faire peur ou quoi ? », qui a tout de suite dilué la portée stratégique de l’exposé du gardien du temps des équilibres extérieurs. Conséquence, le premier ministre travaille déjà, dans la moiteur d’une peur qui monte, sur une copie béta d’une loi de finances de 2015 alors même qu’elle prend son chemin vers Zéralda pour la cérémonie habituelle de signature le dernier jour de l’année. Le rapport de prospective de Nabni 2020, situait les premières difficultés de la balance des paiements de l’Algérie vers 2017-2018 essentiellement pour cause de baisse en volume des exportations d’hydrocarbures, sur fond de hausse de la demande énergétique interne. La variable prix était pondérée de manière neutre dans ce modèle. Cela n’a pas empêché certains économistes de froncer les sourcils. Prévision alarmiste. Calcul politique. La guerre des parts de marché déclenchée par l’Arabie Saoudite, principalement en réaction au schiste américain, n’était pas incluse dans le modèle. Aujourd’hui, elle dramatise le tableau. Et dénude un Abdelmalek Sellal aussi compétent devant une telle conjoncture qu’un poète hawzi devant un krach boursier. Il suffisait juste pourtant d’entendre Nabni. Et pas seulement de faire semblant.
Le premier forum d’affaire du nouveau FCE s’est tenu à Londres la semaine dernière. Ali Haddad y a conduit une délégation d’hommes d’affaires algériens ou il a dû aussi s’accommoder d’électrons libres à neutrons lourds, comme Issad Rebrab. Mais le casting de Londres pose problème. Sur la vingtaine de chefs d’entreprises présents, seuls une toute petite poignée peut espérer faire un jour affaire sur le marché britannique. Quelques-uns pourraient devenir partenaires en Algérie d’investisseurs britanniques ou le sont déjà, comme Red Med dans la logistique pétrolière. Le gros du lot a mieux à faire. Ali Haddad et Amor Benamor, pour parler des chefs de file, ont infiniment plus de possibilité de développer leur business en Afrique qu’en Angleterre. Cela va sans dire. Pourtant aucune haute commission sur le modèle de celle avec la France, l’autre semaine, ou celle avec la Grande Bretagne, ne draine chef d’Etat et hommes d’affaires algérien en Afrique. Le retard pris par les entreprises algériennes, notamment en Afrique de l’Ouest, ces dernières années est presque irrémédiable. Lorsque le Roi du Maroc tourne entre Dakar, Conakry, Bamako, Ouagadougou et Cotonou des dizaines de chefs d’entreprise marocains sont dans le second avion. Et ils reviennent avec des contrats. Londres n’est bien sûr pas une perte de temps pour l’élite d’entreprise algérienne. Ne serait-ce que parce qu’elle aura visité la City et cerné de plus près le capitalisme ouvert que propose un marché financier dynamique, qui écume flux, capitaux et nationalités. Mais même si la prospective de Nabni 2020 ne le dit pas, le marché de demain est en Afrique. Et les Algériens n’y sont pas.
La Chine est devenue officiellement pour le FMI le 1er PIB du monde cette semaine. Ce classement est établi selon la version PIB PPA, c’est-à-dire à parité de pouvoir d’achat, sans laquelle le yuan exprimé en dollars ne donnerait pas du tout le même classement. C’était prévu pour quelques années plus tard. La crise financière américaine a précipité ce tournant symbolique de la géopolitique. Pour mesurer l’accélération du rattrapage, il faut juste visualiser un écart de 5500 milliards de dollars effacé par l’économie chinoise entre 2010 et fin 2014. C’est bien sûr spectaculaire. Le succès de la Chine doit toujours être pondéré par plusieurs autres statistiques. Celle du revenu par habitant est bien sûr la première qui vient à l’esprit. La Chine demeure de ce point de vue un pays à revenu intermédiaire. Le Pib PPA par habitant fait à peine amener la Chine dans les 100 premiers pays du monde. Il dit pourquoi la Chine est loin d’être encore la 1ère puissance économique du monde. Mais surtout les modes de calcul de la richesse Chinoise sont contestés. La valorisation des invendus -surstockage- d’une année sur l’autre, font, mais pas seulement eux, problème dans la comptabilité nationale. Le fait est que l’absence de contre-pouvoir en Chine rend l’évaluation sujette à caution. Et c’est bien sûr toute la fragilité du miracle chinois. Il y a 25 ans Belaid Abdesslam suggérait le modèle chinois pour la transition algérienne. Un régime autoritaire dirigé par un parti d’avant-garde éclairé pour réaliser une économie de marché performante. La démocratie viendrait un peu plus tard. L’ancien chef du gouvernement n’aura été exaucé sur rien. Ou presque. Le régime est autoritaire mais pas éclairé. Le passage à l’économie de marché est partiel mais pas performant. Le modèle chinois n’est pas exportable. Surtout pas en Algérie. C’est cela qu’il faut surtout retenir. Et revenir à la lecture du rapport Nabni.