Cette contribution* est un commentaire des estimations des volumes d’hydrocarbures découverts en 2013 qu’a rendues publiques hier l’Agence nationale pour la valorisation des ressources en hydrocarbures (Alnaft).
Nous avons des estimations contradictoires pour les réserves algériennes de gaz. Là où le PDG de Sonatrach annonçait officiellement, début 2013, qu’elles étaient de 2.000 milliards de mètres cubes gazeux, selon les experts, elles sont entre 2.500 et 3.000 milliards les nouvelles découvertes comprises (et non pas de 4.500, données de British Petroluem de 1999 jamais réactualisés).
Pour le pétrole, les réserves estimées au 1er janvier 2013 sont de 12,2 milliards de barils mais ici il faut faire attention : la forte hausse du prix du pétrole voile, pour la recette globale en valeur, la chute en volume (en moyenne de 18% entre 2007 et 2013 ). Le gaz également, d’ailleurs, connaît une chute en termes de volume (entre 18 et 20% pour la même période), les différentes lois (de 2006 à janvier 2013) n’ayant eu qu’un impact mitigé sur l’attractivité du secteur des hydrocarbures algérien pour des grandes compagnies internationales.
En 2012, Sonatrach a réalisé 31 découvertes d’hydrocarbures, dont 7 en partenariat avec des compagnies étrangères et 24 en effort propre. Alnaft vient d’indiquer en ce début du mois de mai 2014 que les volumes d’hydrocarbures découverts en 2013 en Algérie étaient de 629 millions de tonnes équivalent pétrole (Tep), dont 153 millions de Tep ont été extraits. Cela représente une très faible proportion par rapport aux réserves totales actuelles. Ramenées à la production actuelle (Sonatrach produit environ 200 millions tonnes équivalent pétrole, TEP), ces volumes représentent environ trois années de production sous réserve que leur totalité soit rentable économiquement.
Rappelons que le niveau des réserves se calcule en référence au couple coût-vecteur/prix international : plus les coûts sont bas et le prix internationaux élevés, plus les réserves s’accroissent, permettant d’exploiter les gisements marginaux et vice versa. On peut découvrir des milliers de gisements non rentables économiquement pour différentes raisons, dont la croissance ou la décroissance de l’économie mondiale, la concurrence internationale et la substitution d’énergies à d’autres. La Sonatrach espère produire 225 millions TEP en 2017 mais, en réalité, elle produirait beaucoup moins du fait que selon les techniques actuelles, 30% au maximum des réserves sont récupérables et peuvent faire l’objet de commercialisation.
Se pose aussi la question de la forte consommation intérieure. Pour le gaz traditionnel, elle risque de dépasser largement en 2017 le niveau des exportations actuelles. Les capacités de production d’électricité devant doubler à l’ horizon 2017 à partir des turbines de gaz, l’on s’oriente vers plus de 70 milliards de m3 gazeux de consommation domestique alors que les exportations peinent à atteindre 50/55 milliards de m3 (60 milliards m3 en 2007, 52 milliards, en 2011, 55 milliards en 2012 et des données contradictoires pour 2013 : entre 47 et 50 milliards et seulement 45 milliards de m3 selon Nordine Aït Laoussine, ancien ministre de l’Energie). On devrait arriver, sauf découvertes exceptionnelles à coût compétitif, à l’épuisement à l’horizon 2030 des hydrocarbures traditionnels. Nous devons produire plus de 155 milliards de m3 gazeux annuellement si on veut exporter 85 milliards de m3.
La concurrence aux aguets
Selon certaines études, la consommation nationale à l’horizon 2030 doublera pour l’ensemble des hydrocarbures. En 2040, celle de gaz naturel serait de 100 milliards de m3 pour une production escomptée au double, ce qui, compte-tenu des volumes indispensables au maintien de la pression dans les gisements (88 milliards de m3 réinjectés en 2011), ne laisserait qu’une dizaine de milliards de m3 disponibles à l’exportation, soit cinq fois moins qu’en 2011. La consommation électrique prévisionnelle (200 milliards de kwh en 2040 pour une population de 60 millions d’habitants) exigerait de brûler au moins 50 à 60 milliards de m3 de gaz.
Comme pour le court et le moyen termes, entre 2015 et 2020 doivent être pris en compte les nouvelles découvertes en Méditerranée, le rebond à terme de la production irakienne , iranienne, libyenne, la concurrence du russe Gazprom, avec le North et le South-Stream, qui contourne l’Ukraine (120 milliards de m3 gazeux, expliquant le gel du projet de gazoduc algérien Galsi avec ses 8 milliards de m3 gazeux et un coût passé de 2,5 milliards de dollars à plus de 4 milliards et donc non rentable au vu du prix actuel). Doit être prise en compte aussi la concurrence américaine avec la révolution du pétrole-gaz de schiste, le marché américain représentant 20% des recettes de Sonatrach.
Le pétrole algérien (identique au libyen, très prochainement son concurrent direct) bénéficiait traditionnellement d’une prime de 3 dollars du fait qu’il ne continent pas de souffre et aussi du fait de la proximité entre l’Algérie et l’Europe. Il n’est plus acheté qu’avec un rabais de 2 à 3 dollars du fait notamment de la crise des raffineries.
Les gisements de Hassi R’mel et Hassi Messaoud ont épuisé environ 45 à 50% des réserves qu’ils renferment ; selon Africa Energy Intelligence (2 novembre 2013), le méga-champ gazier de Hassi R’mel connaît une baisse sensible de production, faute de travaux de développement et d’entretien. Les nouvelles découvertes annoncées par Alnaft ne suppléent que très partiellement à l’accroissement de la production actuelle (exportation et consommation intérieure).
Le problème des capacités de production algériennes d’hydrocarbures est d’autant plus réel que suite à l’attentat de Tinguentourine (18% des exportations et des revenus annuels de 3,9 milliards de dollars), les installations ne sont pas encore toutes opérationnelles. Même dans un contexte de crise russo-ukrainienne, l’Algérie ne peut suppléer au gaz russe pour l’Europe (30% de la consommation européenne). Elle a perdu des parts de marché étant passé de 13 à 14% entre 2008 et 2010 à 9% en 2013, l’Italie ayant réduit substantiellement ses importations en 2013 (30% environ). En outre, l’ensemble des partenaires étrangers, dont les Européens, font pression sur l’Algérie pour une baisse des prix remettant en cause l’indexation du prix du gaz sur celui du pétrole, ce qui renvoie à un débat sur les coûts réels de l’exploitation du gaz pour déterminer sa rentabilité réelle.
Nécessaire transition énergétique
En résumé, l’Algérie se trouve confrontée à une forte consommation intérieure de gaz, d’où la nécessité, pour elle, d’arbitrer entre cette consommation et des exportations en déclin (du moins pour le gaz traditionnel, le gaz de schiste, du fait de son coût, n’étant pas pour demain). Cette situation serait d’autant plus intenable si les cours tendaient à fléchir comme le prévoient les organismes internationaux pour 2015-2017.
Un large débat sur la transition énergétique et les subventions devrait impérativement être ouvert. Le pays ne peut continuer avec des subventions sans ciblage ne profitant pas toujours aux plus défavorisés et aux secteurs inducteurs de valeur ajoutée durable. La question des subventions des prix explique, d’ailleurs, les conflits actuels sur le prix de cession du gaz, dont une des manifestations a été la rupture du contrat Total-Sonatrach pour le projet d’usine de vapocraquage d’éthane à Arzew. Cette rupture ou gel du contrat n’est pas propre à Total. Plusieurs projets fort consommateurs de gaz avec des partenaires étrangers ont achoppé et achoppent toujours sur le prix de cession de gaz.
Tout cela renvoie à l’urgence d’un nouveau modèle de consommation énergétique, lui-même lié à un nouveau mode de gouvernance, pour réaliser la transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures s’insérant dans le cadre d’avantages comparatifs mondiaux en termes de coût et de qualité, dont ceux se situant dans les espaces maghrébin, africain et euro-méditerranéen.
(*) Professeur des Universités, expert international en management stratégique.