Pousser les banques à souscrire à l’emprunt obligataire alors qu’elles risquent de manquer de financements vise simplement à déplacer le problème, sans obtenir de résultats probants.
Avec l’élargissement de l’emprunt obligataire aux investisseurs institutionnels, le ministère des finances veut réaliser un véritable tour de passe-passe. A travers des chemins détournés et des artifices de forme, il veut donner l’impression que l’emprunt va réussir, collectant une part importante de l’épargne nationale, alors que l’impact sur l’économie risque d’être très limité, voire négatif.
Lancé le 17 avril, l’emprunt est supposé collecter une partie de l’argent qui dort, mais aussi une partie des sommes qui circulent dans l’informel, en vue de les réinjecter dans les circuits officiels pour une utilisation dans le financement de grands projets d’infrastructure. Selon les chiffres -approximatifs- avancés par des membres du gouvernement et des économistes, l’argent circulant dans l’informel représenterait l’équivalent de 40 milliards de dollars, soit 20% du PIB, ou encore près de deux fois le déficit de la balance commerciale en 2015.
Quelle part le gouvernement compte en collecter ? Aucune indication n’a été donnée. Le ministre des finances, M. Abderrahmane Benkhalfa, est resté prudent. Il n’a fixé ni seuil, ni plafond. Après l’échec de l’amnistie fiscale, à travers la formule de la « mesure de conformité fiscale », le ministère ne voulait prendre aucun risque en fixant des objectifs précis. Bien au contraire, il se donne toute la marge nécessaire pour ne pas être contredit dans son évaluation de l’opération.
Rémunération proche de l’inflation
Plusieurs banquiers sont intervenus dans les médias pour affirmer que l’opération se déroule dans de bonnes conditions, que l’emprunt obligataire a suscité de l’engouement auprès du public, et que des sommes importantes ont été engrangées. Leur insistance a toutefois introduit le doute chez les initiés, qui ont interprété leur intrusion comme une volonté de rassurer les souscripteurs éventuels face à une offre peu alléchante.
Car contrairement à ce que véhicule le discours officiel, le taux proposé par l’emprunt obligataire est peu attractif. « A cinq pour cent, il n’est pas sûr que cela couvre l’inflation », assure un économiste, qui rappelle que « le gouvernement lui-même table sur une inflation proche de cinq pour cent ».
En fait, ceux que le gouvernement appelle à rescousse pour convaincre les détenteurs d’argent sont ses propres agents et auxiliaires. Ils tiennent un discours sans intérêt pour celui qui possède l’argent : celui-ci sait ce qu’il faut faire, ce n’est pas un bureaucrate ou un banquier dont le comportement ressemble à celui d’un fonctionnaire, qui va lui montrer les meilleurs options.
Effets pervers
Mais ce qui est encore plus contestable, c’est la volonté du gouvernement de pousser les institutionnels à investir dans l’emprunt obligataire, ce qui risque d’avoir de sérieux effets pervers. Pour les banquiers, souvent réduits au rôle de simples fonctionnaires, soucieux d’abord de plaire à leur hiérarchie, c’est une aubaine. Grâce à un simple jeu d’écritures, ils peuvent gagner cinq pour cent par an, et afficher des soldes positifs à chaque année. Mais aller dans cette direction signifie un abandon de fait de l’acte de financer les investissements, alors que c’est sur ce terrain que va se décider la croissance.
En effet, des fonds placés par une banque dans l’emprunt, ce sont autant de fonds qui seront soustraits du financement de l’investissement. Dans l’opération, le gouvernement peut trouver des fonds pour combler le déficit du budget de fonctionnement, mais l’investisseur trouvera moins d’argent. Ce qui devrait signifier argent plus cher, avec toutes les conséquences qui en découlent.
Concrètement, cela signifiera aussi que les banques commerciales vont placer leur argent dans l’emprunt obligataire, et demander ensuite à la Banque d’Algérie de leur fournir de nouveaux fonds. Le recours à la planche à billets est alors inévitable.